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Melchior Wathelet : « Marre des yakas »

Le secrétaire d’Etat au Budget, à l’Immigration et à la Famille confie son exaspération par rapport aux « donneurs de leçon » et au « populisme » de la N-VA. Il défend la place du CDH, résolument au centre, et se fait l’apôtre de la nuance en politique.

Au gouvernement fédéral, où il seconde Joëlle Milquet, le secrétaire d’Etat CDH est réputé pour sa modération et sa bonne humeur constante. Pourtant, c’est un homme irrité que nous rencontrons. Tout juste sorti d’une séance de questions-réponses au Parlement, dont on devine qu’elle a été éprouvante.

Comment réagissez-vous par rapport aux critiques sur les libertés que prend le gouvernement par rapport à la notion d’affaires courantes ?

Au Parlement, je me trouve face à des députés N-VA qui nous critiquent parce que nous faisons un budget, alors que le gouvernement est en affaires courantes. Mais si on est contraint de faire un budget dans ces conditions-là, c’est parce qu’on n’a pas encore pu former de gouvernement. La N-VA devrait le savoir. Elle nous reproche de faire un budget. Mais heureusement qu’on fait un budget ! Et en plus, désolé, notre travail a plutôt été salué par les instances extérieures, comme la Cour des comptes ou l’Union européenne. La perception de nos paramètres budgétaires, elle est positive, même à l’étranger.

On vous sent agacé.

J’en ai un peu marre des « yakas », des solutions miracles, où le populisme est souvent de mise. A entendre certains députés N-VA, il suffirait de mettre tous les étrangers en séjour illégal dans des avions. Ce n’est pas si simple. Même quand on a pris la décision d’expulser, pour faire décoller les avions, il y a des procédures à suivre, il faut des autorisations… La N-VA le sait très bien. Mais chaque fois, c’est le même cinéma : donner des leçons sans prendre de responsabilités. A un moment, ça devient agaçant. On a envie de dire : mais faites-le ! J’en ai assez du populisme, assez des discours faciles, assez des donneurs de leçons.

La N-VA considère que le gouvernement actuel fait preuve de laxisme par rapport à l’immigration.

C’est faux, bien sûr. Je pense qu’on n’a jamais été aussi cohérent dans notre politique d’immigration. Si on décide que quelqu’un peut rester et qu’il a besoin de protection, eh bien, il sera protégé. Si, au contraire, quelqu’un ne peut pas rester, il le saura vite et il sera éloigné. Personne ne peut me reprocher de ne pas avoir pris mes responsabilités dans cette matière ô combien humaine et internationale, et donc complexe. Non, tout le monde n’est pas le bienvenu en Belgique. Oui, des gens doivent être foutus dehors. Mais vous ne m’entendrez jamais dire qu’il faut remballer tous les étrangers qui arrivent chez nous. La nuance, c’est pour moi la seule façon de faire de la politique.

A vous entendre, on pourrait se demander ce qui distingue les députés N-VA et ceux du Vlaams Belang. Vous constatez une différence entre eux ?

Oui, clairement. Les élus N-VA ont une tendance populiste, démagogue, mais ils proposent aussi de bonnes idées. Tout n’est pas à jeter dans ce qu’ils disent, loin de là. Je ne constate pas chez eux ce côté xénophobe, raciste, qu’on retrouve dans certaines interventions du Vlaams Belang. Que les députés N-VA défendent une vision très à droite, ça ne me dérange pas. Ce sont leurs manières populistes qui me déplaisent. Ils me disent : vous n’avez qu’à renvoyer les illégaux ! De temps en temps, j’aimerais bien. Mais les renvoyer vers l’Afghanistan, l’Irak ou l’Iran, ce n’est pas la même chose que de les renvoyer vers le Kosovo. Parfois, j’ai l’impression que la N-VA voudrait que je vole avec mon avion au-dessus d’un pays, que j’ouvre les soutes, et que je largue tous les illégaux.

Les sondages ne sont pas très brillants pour le CDH. Inquiétant ?

Peut-être est-ce à nous à mieux faire passer notre message. Mais en situation de crise, la tendance est à se raccrocher à des discours simples.

La faute aussi à un « effet Milquet » ? Toujours présidente du parti, avec son remplaçant désigné, Benoît Lutgen, qu’on attend mais qui ne vient pas…

Joëlle Milquet ne reste pas plus longtemps que prévu, ce sont les négociations politiques qui sont plus longues que prévu. Heureusement qu’elle est là : elle assume ces négociations de main de maître, avec la détermination et la conviction qu’on lui connaît. Joëlle et Benoît se sont fixé une date-butoir : le 31 août.

Benoît Lutgen est-il prêt à reprendre le flambeau ? On le dit peu impliqué dans les négociations…

C’est évidemment la présidente du parti qui va aux négociations. Mais Joëlle et Benoît travaillent ensemble. Il sera prêt le moment venu.

Joëlle Milquet, alias « Madame Non » : sa réputation a la vie dure en Flandre ?

Dire du mal de Joëlle en Flandre, c’est facile, c’est simple, c’est vendeur. C’est totalement injuste, mais au CDH on n’a pas l’habitude de jouer au Calimero. Toutes les décisions portées par Joëlle Milquet au moment où on a dit « non » l’ont été par tous les partis francophones. Joëlle a peut-être dit « non » plus fortement, plus honnêtement que d’autres. Qui n’a pas changé, qui n’a pas évolué depuis que les francophones n’étaient demandeurs de rien en 2007 ?

Cela paraît encore trop peu au goût des partis flamands : ils attendent toujours une révolution copernicienne sur la Belgique…

Ils ont sur la table la plus belle réforme de l’Etat avec laquelle les francophones puissent être d’accord. C’est quoi, la Belgique la plus simple possible ? C’est remettre tout au fédéral ou bien la séparation. La solution ne pourra être que complexe.

Parmi les personnalités politiques de premier plan, vous êtes avec Louis Michel le seul à être membre de B Plus, une association qui combat le séparatisme et milite pour un fédéralisme équilibré. Quel est le sens de cette adhésion ?

Je pense que la Belgique représente toujours une plus-value assez incroyable. Regardez la situation que traverse notre pays depuis un an. Si d’autres pays étaient confrontés à la même situation, je ne suis pas sûr que la population le vivrait aussi bien. Mais, chez nous, la croissance est là, les affaires reprennent, les entreprises fonctionnent. Qu’est-ce que cela signifie ? Que, malgré la crise politique, les Belges se prennent en main. Cette humilité et cette débrouillardise, ce sont justement les qualités pour lesquelles la Belgique est appréciée. Tout le monde a reconnu que la présidence belge de l’Union européenne était nickel. Gérer vingt-sept pays, ce n’est pourtant pas une mince affaire, croyez-moi. Mais dès qu’on revient sur le plan national, paradoxalement, on n’y arrive pas. C’est triste.

C’est une déclaration d’amour à la Belgique que vous faites là ?

Non. Je suis conscient qu’on ne se trouve plus dans le registre d’une déclaration d’amour. Dans ce pays, le mariage d’amour, c’est fini. Mais la Belgique représente toujours une plus-value. S’en priver, ce serait indécent et suicidaire.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT ET PIERRE HAVAUX

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