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Maxime Prévot, rédacteur en chef d’un jour: « Il faut faire du handicap un enjeu national »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le statut des personnes handicapées, le regard d’Angela Merkel, les bienfaits de l’immigration… Autant de sujets que Maxime Prévot, président des Engagés, choisirait d’aborder dans Le Vif s’il en était, l’espace d’un numéro, le rédacteur en chef.

Dans les colonnes des présidents de parti: Maxime Prévot

Le compte à rebours sera bientôt enclenché. Les élections régionales, fédérales et européennes se tiendront dans un peu plus d’un an. A cette occasion, Le Vif a demandé aux présidents des six grands partis francophones d’endosser le costume de rédacteur en chef d’un jour. Chacun à leur tour et six semaines durant, ils exposeront les choix qu’ils effectueraient s’ils étaient à la tête de la rédaction. Eux qui s’appuient sur les médias pour défendre leur projet aiment aussi, de temps à autre, à critiquer le travail des journalistes. Les voilà libres de jouer le jeu, fictivement bien entendu. Nous leur avons demandé de rédiger un éditorial, dans lequel ils s’adressent aux abstentionnistes, aux citoyens qui éprouvent de la désaffection envers la politique, pour les convaincre de se rendre dans l’isoloir. Les présidents de parti proposeront également un sujet dont ils regrettent qu’il soit tabou et estiment qu’il mériterait pourtant de faire la couverture de notre magazine. Il leur a été demandé de suggérer un reportage international, une personnalité à rencontrer pour un grand entretien et, enfin, de mettre en lumière un chiffre qui compte à leurs yeux. Cinq éléments qui seront décryptés, décodés, analysés par la rédaction du Vif.

L’édito de Maxime Prévot : « S’indigner, c’est bien, s’engager, c’est mieux!« 

Tais-toi, dans le coin, monte dans ta chambre!» Déjà tout petit, l’abstention nous a parfois été imposée. Avec le sentiment d’injustice, de bâillonnement voire de terreur. Alors quand on vous donne la parole, prenez-la!

Je comprends les abstentionnistes. La gouvernance est malmenée. Trop d’élus se servent avant de servir. L’impression d’immobilisme de ceux qui sont tentés de voter blanc est fondée. On attend six mois pour se faire soigner par un spécialiste, cinq mille policiers manquent dans les rues, vos enfants n’ont pas de profs, la fiscalité punit ceux qui bossent, le climat ne cesse de se détériorer…

Pourtant, si je comprends cette tentation de l’abstentionnisme, je ne la cautionne pas. Car le vote blanc favorise le noir. Le silence dans les urnes favorise le bruit du populisme. Nous sommes tous des acteurs de la démocratie. Avec nos doutes, nos certitudes, nos faiblesses et nos talents. Aller voter, c’est infléchir un destin. Le vôtre, celui de votre famille, de votre région, de votre nation. Un scrutin est clairement un destin individuel et collectif. Critiquer sans avoir été voter, c’est s’arroger un droit indûment.

Aujourd’hui, il peut y avoir beaucoup de raisons d’être en colère. Mais s’indigner ne sera jamais suffisant. Pour changer le système, il faut s’engager. Passer à l’action, avoir le courage de changer. C’est notre conviction et notre invitation. Alors vous aussi, soyez engagé pour la démocratie et le bien commun. Car donner sa voix, c’est aussi créer le changement politique. J’espère que le pays retrouvera de l’ambition et de l’harmonie. J’espère que vous entendrez ces mots magiques dans un peu plus d’un an: «A voté!». Merci.

Sa « cover taboue »: «Faire du handicap et de l’autisme un enjeu national»

Le président des Engagés estime que la situation des personnes atteintes de handicap et de ceux qui les accompagnent doit être mise au cœur du débat public.

Pour vous, le handicap est un tabou…

C’est en tout cas une thématique qu’on n’aborde pas assez. Elle mériterait de l’être beaucoup plus ; cette cause du handicap, et singulièrement à la fois de l’autisme et des situations de très grande dépendance, concerne 15% de la population. Quand j’étais ministre, c’était la matière que j’ai eu le plus de plaisir à gérer, car elle donne du sens quand on se lève le matin.

Pourquoi?

Etre ministre des Travaux, construire des routes, c’est très concret, et très important, mais ça n’a pas la même dimension humaine. En outre, ayant connu le handicap dans ma famille, et le connaissant toujours – un handicap profond, physique et mental – je suis éveillé à cette réalité depuis que je suis gamin. Mes grands-parents, jusqu’à leur dernier souffle, se sont inquiétés de savoir, «quand on ne sera plus là, vous occuperez-vous bien du gamin?». J’ai rencontré beaucoup de familles confrontées à la même détresse, dans l’incapacité de pouvoir adéquatement prendre leur enfant en charge.

Est-ce là le rôle de l’autorité publique?

Je pense qu’on doit jouer un rôle majeur. Des familles ont pu connaître des chutes vertigineuses, parce qu’elles ont dû réduire leur temps de travail. Souvent, le couple éclate, et ce sont les mamans seules qui restent dans l’accompagnement ; cela crée un effet boule de neige, parce que les séances de logopédie, par exemple, sont insuffisamment remboursées.

Le coup pour les finances publiques ne serait-il pas trop élevé?

Bien sûr, mais ça, c’est faire des choix. L’enjeu doit être national. C’est probablement une des thématiques qui touchent le plus grand nombre de familles et pour lesquelles l’Etat n’est pas assez présent. Pourtant, la situation est bien meilleure qu’en France. Je me souviens que quand j’étais ministre, même pas un million d’euros était dévolu à des travaux dans les infrastructures et institutions d’accueil des personnes handicapées en Wallonie. J’ai pu lancer un grand plan, baptisé Erich, pour Ensemble rénovons les institutions pour citoyens handicapés – un clin d’œil à mon oncle – et là, on a pu débloquer plus de soixante millions d’euros en une fois. Il serait nécessaire d’avoir des plans pareils fois deux, fois trois, fois quatre, fois cinq…

Sur ce sujet, quel titre mettriez-vous en couverture du Vif?

On a tendance à dire «touche pas à ceci», j’aurais envie de dire «touches-y», justement. C’est une matière qui fait peur à beaucoup. Quand on ne connaît pas le handicap et qu’on se trouve face à une personne dans cette situation, on est parfois mal à l’aise, on a peur de mal faire et on peut être tétanisé. Mais je n’ai pas conçu ma ligne éditoriale avec l’intention de faire le buzz ou de vendre. Dans la dévolution des portefeuilles ministériels, ce n’est pas celui que les gens s’arrachent, et ce n’est pas une thématique porteuse électoralement. Pourtant, c’est si essentiel.

Comment construiriez-vous ce dossier de couverture?

D’abord, un premier pilier qui serait pédagogique. Si vous demandez aux gens, dans la rue, de quelle manière les personnes handicapées sont prises en charge, beaucoup ne savent pas. A côté de ça, des témoignages, singulièrement de parents, quelques belles success stories de personnes handicapées qui assument leur autonomie grâce à des aides publiques. Et puis, un volet plus tabou sur le handicap, sur la question des unions, d’avoir ou pas des relations sexuelles, d’être marginalisé, stigmatisé. Certains sujets ne peuvent plus être tabous, comme la question de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées ; je souhaite qu’on puisse progresser là-dessus aussi. Des vécus un peu tabous doivent être abordés avec beaucoup de sérénité.

Son reportage international: Un autre regard sur les flux migratoires

Tens of thousands of migrants run from the Middle East toward EU countries, passing Greek, Serbia and Bosnia and Herzegovina which are on the border of EU

Il y en a à longueur de couvertures, d’émissions, de tweets, de TikTok, de livres choc et de déclarations tapageuses: on en cause beaucoup, de la migration. Mais Maxime Prévot voudrait l’évoquer encore, pour en discuter autrement.

«On en parle beaucoup, mais très rarement de la bonne manière. On l’aborde essentiellement comme un tsunami de réfugiés qui vont manger notre pain, avec des a priori peu heureux. Ayons une approche plus “allemande” de la question. Au moment des pics migratoires de 2015, l’Allemagne a reconnu que ça pouvait aider à faire tourner la machine économique. Nous avons un devoir de solidarité, mais comme il faudra convaincre certaines personnes que la migration peut être une vertu, ne perdons pas de vue que l’Europe ne pourra pas être à la traîne dans le concert des continents», dit-il.

Mais le contexte, politiquement, ne semble pas favoriser ce genre d’argumentaires. Maxime Prévot s’énerve presque quand on le lui signale. «Il faut que les élus puissent valoriser la diversité plutôt que de jouer sur les craintes. Narrer la question migratoire autrement qu’à travers la théorie du grand remplacement. Nous avons besoin de l’immigration! Aujourd’hui, il y a des dizaines de milliers d’emplois en pénurie, ce n’est pas parce qu’il y a déjà des flux migratoires que les gens sont empêchés d’aller bosser…», conclut-il.

Son chiffre: 5 000

Oui, c’est le code postal de Namur. Mais ça n’a rien à voir, jure le bourgmestre de la capitale wallonne. «Non, c’est le nombre d’agents de police qui font défaut à l’échelle du pays. Le ministre Jambon avait économisé sur le nombre de recrues qui pouvaient entrer en académie de police, passant de 1 200 à 800. On n’en a plus suffisamment par rapport aux postes vacants, et on n’arrive pas à en trouver. On pense, avec Les Engagés, qu’il faut cinq mille agents à la police. Et trois mille magistrats.» Et la répartition entre zones de police? «La norme KUL est complètement dépassée. Mais assurons-nous d’abord qu’il y ait des gens à répartir.»

Son grand entretien: Avec Angela Merkel, après « le mutisme de Mutti »

Il aurait voulu ouvrir nos pages à trois figures à «interviewer longuement, à une époque, la nôtre, où leur éclairage aurait été intéressant»: Winston Churchill, Steve Jobs ou Simone Veil. Mais ils refusent toute demande d’interview depuis qu’ils sont morts. Angela Merkel, elle, est vivante. Mais elle n’en est pas pour autant si accessible que ça. «Elle s’est imposée un certain silence, c’est le mutisme de Mutti, depuis qu’elle n’est plus aux commandes, déplore Maxime Prévot. Pourtant, depuis qu’elle est partie, quand on voit l’évolution effrénée de l’Europe, le recul des droits en Pologne ou en Hongrie, les pays scandinaves qui peinent à former des gouvernements sans l’extrême droite, l’Italie, je me dis qu’Angela Merkel, avec le parcours qui est le sien, grande fédéraliste et grande fédératrice, pourrait nous présenter un projet européen, une vision, susceptible de donner un second souffle à l’Europe.» Dans l’Europe d’aujourd’hui, les positions d’Angela Merkel, sur les migrations notamment, seraient difficiles à tenir. Y compris dans son propre parti… «So what?», demande le président des Engagés. «Une vertu en train de disparaître, c’est ça, c’est le courage

Décryptage | Rester centriste pour rester central

Rester central en étant centriste. C’est l’équation dérivant vers la gageure qui casse la tête de Maxime Prévot et de ses prédécesseurs depuis que l’appartenance confessionnelle catholique n’est plus, en Belgique, qu’un vecteur marginal de mobilisation politique. Le constant effritement de la base électorale du PSC, puis du CDH, a conduit à plusieurs transformations, dont la dernière fit du CDH une nouvelle formation, «régénérée», et qui a «osé se réinventer»: Les Engagé.e.s. Son socle sociologique semble toujours le même, son personnel n’a pas changé, ses ambitions sont similaires et ses espoirs, modestes: le tout tient en cette même entêtante équation de rester central en étant centriste, afin de sortir honorablement des élections et de se trouver à la fois incompatible avec personne et indispensable à tous au moment des négociations.

Les thématiques que le président Engagé, s’il lui avait été donné de diriger Le Vif, souhaite mettre à l’agenda caractérisent assez remarquablement le projet, rigoureusement centriste dans ses choix et strictement pondéré dans la manière de les aborder. Le canon engagé, comme ses aînés social-chrétien ou démocrate-humaniste, imposant de porter des sujets de gauche avec des arguments de droite ou d’évoquer des thématiques de gauche pour des raisons de droite. Surtout, aucun ne marque de rupture avec les engagements passés du CDH, et sans doute pas non plus du PSC. Ainsi de la volonté de défendre et valoriser le handicap. C’est la thématique sociale par excellence: rien ou presque ne peut s’y faire en se fiant aux forces du marché, et aucun libéral ne dira le contraire. Aider les personnes concernées doit mobiliser, consensuellement, l’ensemble des acteurs sociaux et politiques, et personne, merci mon Dieu, ne s’y opposera jamais. Rien de plus humain, rien de plus humaniste, que cette intention, et c’est même un combat très intrinsèque à l’ancien centrisme social-chrétien puis démocrate-humaniste. La députée Vanessa Matz, à la Chambre, en avait fait sa grande cause avant de devenir Engagé.e. Et la Bruxelloise Céline Frémault, qui quittera la politique en 2024, le fait en célébrant dans un livre les «mères-veilleuses» (Renaissance du livre, 128 p.), retraçant les parcours maternels face au handicap d’un enfant.

Ainsi aussi de la volonté d’engager davantage de policiers et de magistrats. C’est la thématique régalienne par excellence: rien ou presque ne peut s’y faire sans répression, et aucun socialiste ne s’y opposera jamais. Mais ce que le nouveau mouvement veut, l’ancien parti le réclamait déjà: le refinancement de la police et de la justice étaient en tête du programme du CDH pour les élections de 2019. Ainsi aussi du souhait d’aborder la migration, impulsion de droite, sous un autre angle, plus positif, inclination de gauche, et s’insérant dans l’histoire récente de la démocratie chrétienne européenne: la politique d’Angela Merkel, que Maxime Prévot voudrait voir interviewée dans Le Vif. Ces bons sujets traités pour le meilleur intègrent tout le projet engagé. Mais il s’expose à une critique d’utilité, qui mine depuis plusieurs décennies toute tentative de contenir l’effritement de sa base sociologique traditionnelle: pourquoi voter pour un parti qui défend des causes qu’aucun autre ne refuserait de défendre?

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