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« Ma vie avec un mari alcoolique a été un enfer » (témoignage)

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Epouse d’un alcoolodépendant, Martine, mère de famille bruxelloise, a vécu un long cauchemar, avant de se libérer du  » syndrome du sauveur « . Vous retrouvez son témoignage dans le nouveau podcast du Vif, Un alcoolique, ce n’est pas si facile à aimer sans sombrer soi-même. Voici la version intégrale de l’interview.

L’alcoolisme est un mal familial. Il affecte non seulement le buveur, mais aussi son travail, ses amitiés, son mariage, son rôle d’enfant ou de parent… Voir une personne aimée se détruire est un drame quotidien. « Un parent boit, la famille trinque », dit l’adage. Le chemin de croix vécu par l’entourage d’un alcoolodépendant reste souvent dans l’ombre. Raison pour laquelle nous en avons fait le sujet du nouveau podcast du Vif, Un alcoolique, ce n’est pas si facile à aimer sans sombrer soi-même (à retrouver en fin d’article). Ce podcast reprend des extraits de l’interview de Martine, une mère de famille bruxelloise dont le mari est alcoolodépendant. En voici la version écrite intégrale.

Partager son existence avec une personne souffrant d’une dépendance à l’alcool, qu’est-ce que cela signifie au quotidien ?

Pendant des années, ma vie a été un enfer. L’inquiétude est constante quand on vit avec un alcoolique. Je demandais à mes enfants de ne pas faire trop de bruit pour ne pas l’irriter. J’avais peur de ses réactions. Peur que les gosses boivent par erreur son verre de Coca-Cola rempli en partie de whisky. Peur qu’il perde son travail à cause de ses beuveries. Peur qu’il provoque des accidents sur la route. Quand il était ivre au volant, il sur-réagissait aux distractions ou négligences d’autres conducteurs. Il se lançait parfois dans des courses-poursuites dont je sortais complètement traumatisée. Je vous assure que monter dans une voiture conduite par quelqu’un qui n’a plus toute sa raison, c’est perdre soi-même la raison ! Il aurait pu nous tuer tous les deux, ou toute la famille quand nos enfants étaient à bord. Mon mari provoquait volontairement des situations à risque, comme pour me faire payer sa maladie.

« J’ai appris à respecter la personne qui souffre derrière le buveur »

Vous avez tenté de l’aider à sortir de son addiction ?

Tant que j’ai cru mon mari capable de se sortir de son addiction, je suis restée patiente, compréhensive. Mais après plusieurs rechutes dans l’alcool, j’ai commencé à lui faire des reproches, à le juger, et même à le menacer, ce qui provoquait d’incessantes disputes. Mes amis me demandaient pourquoi je restais encore avec lui. D’autant qu’il devenait agressif. Longtemps, j’ai cherché à contrôler sa consommation. Par honte ou par crainte de son attitude en société, j’ai refusé les invitations à dîner de nos amis. J’ai isolé mon mari et me suis isolée aussi par la même occasion. Je me suis tracassée et abîmée. J’ai vécu tous les drames que peut provoquer l’alcoolisme dans une famille. Devenus adolescents, mes enfants se sont rebellés, ont testé les limites de leur père et les miennes. Ils ont même flirté avec la délinquance. C’est une chance qu’ils n’aient pas sombré. Quand ils ont pu mettre des mots sur la maladie, ils se sont assagi.

La dépendance à l’alcool de votre mari lui a valu des ennuis professionnels ?

Longtemps, j’ai couvert son alcoolisme. Quand il ne parvenait pas à se lever le lendemain d’une surconsommation d’alcool, je téléphonais à son bureau. Parfois, il me demandait lui-même d’appeler pour dire qu’il était malade. J’obéissais, car j’avais peur qu’il perde son job, ce qui aurait eu des conséquences financières sur notre vie de famille. J’ai tout pris en charge à la maison. J’ai dû payer ses dettes. Je passais mon temps à chercher des solutions pour lui éviter des misères. Je ne me rendais pas compte que j’encourageais ainsi sa dépendance à l’alcool.

Comment avez-vous réussi à sortir de cet enfer quotidien ?

En prenant conscience que l’alcoolisme est une véritable maladie, qui est complexe, car elle est évolutive. La consommation d’un alcoolodépendant augmente avec le temps et peut devenir dramatique. Face à une addiction, les menaces des proches ne servent à rien. Elles ne mènent qu’au conflit permanent. J’ai compris cela après avoir rejoint un groupe de discussion Al-Anon, une association qui propose un programme de « rétablissement » de l’entourage. Les membres partagent en groupe leurs expériences et réfléchissent ensemble à des solutions. J’y ai reçu une grosse claque ! Les souvenirs douloureux de mon passé familial ont refait surface.

« Vivre et laisser vivre » est devenu ma devise »

Quels souvenirs ?

Dans ma famille, il fallait boire pour être considéré comme un homme. Mon père était gros buveur, ses frères et mes cousins aussi, ce qui me mettait très mal à l’aise. Quand mon père ne buvait pas, il perdait sa bonne humeur, ne riait plus du tout. Alors, ma mère l’encourageait à recommencer à boire, pour que la vie familiale redevienne « normale ». Un jour, complètement ivre, il s’est défoncé le crâne contre une armoire. J’ai cru qu’il allait mourir devant nous. J’avais un sentiment d’abandon et, dans le même temps, la volonté de sauver le monde.

Retrouvez notre dossier complet sur le sujet:Vivre avec un alcoolique, l’enfer au quotidien.

Ce sentiment et cette volonté ont persisté ?

Adolescente, je voulais aider les amis de mon âge à sortir de leur consommation excessive d’alcool. A 20 ans, j’ai rencontré un homme qui buvait beaucoup. Dix ans plus tard, j’ai épousé un alcoolique, que je pensais sauver de son addiction par mon amour. Mais la seule personne qui pouvait le rendre abstinent, c’est lui. Les réunions Al-Anon m’ont aidé à travailler sur soi-même, à remettre mon ego à sa place, pour aller vers le rétablissement. J’ai lâché prise et retiré mon vêtement de « sauveur ». Je me suis occupé de mes propres besoins, ce qui a eu pour effet de soulager aussi mes enfants. « Vivre et laisser vivre » est devenu ma devise. En clair, vivre ma propre vie et laisser vivre l’autre, quelles que soient les décisions qu’il prend par rapport à l’alcool. Si je fais tout à sa place, aucun doute qu’il restera dans le déni. S’approprier un rôle de « soigneur » sans comprendre ce qu’il y a derrière l’alcoolodépendance ne conduit qu’à de la frustration quand les efforts ne donnent aucun résultat.

Votre mari a tenté de sortir de son addiction ?

Il s’est rendu, à ma demande, chez les Alcooliques Anonymes. Après la première réunion de groupe, il a renoncé à poursuivre : « Ce n’est pas pour moi, m’a-t-il dit. J’aime boire, aller au café, où je retrouve mes amis. C’est ma vie. » Nous nous sommes séparés après quinze ans de vie commune. Aujourd’hui, je dois reconnaître que j’avais ma part de responsabilité dans nos affrontements. J’avais des accès de colère, à force de vouloir tout contrôler et d’avoir des attentes auxquelles il ne répondait pas. J’étais certainement aussi malade que lui sur le plan émotionnel. Les discussions entre nous sont revenues possibles quand j’ai attendu le bon moment pour lui parler. Nous sommes restés en contact et les relations se sont apaisées. Il continue à boire, mais j’ai appris à respecter la personne qui souffre derrière le buveur.

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