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L’idéologie, insulte à la bonne gouvernance

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La gauche accuse Michel Ier de verser dans l’idéologie déplacée, bête et méchante. Tout est bon pour faire passer les ministres de droite pour de dangereux entêtés. Jusqu’à brandir le spectre de Pinochet

Que du bonheur pour l’entrepreneur. Enfin une sécu où « le client » sera roi. Le consommateur ? Livré sans protection au bon vouloir des patrons. L’armée ? Dans la rue : aujourd’hui pour cause de menace terroriste, demain pour étouffer l’agitation sociale. Le nucléaire ? Remis sur les rails. Les étrangers en situation irrégulière ? Ravalés au rang d’illégaux à éloigner au plus vite. Squatteurs, mendiants, sans-abri ? Catalogués sous la rubrique criminalité.

Bienvenue dans un monde et une politique de droite. Et donc, alerte rouge. Du PTB aux socialistes avec un détour par les Verts, l’opposition sonne le tocsin : Michel Ier, vraie coalition de droite (N-VA – CD&V – Open VLD – MR), part en croisade idéologique. Et tout son programme est imprégné de ce noir dessein.

Le lourd reproche tourne en boucle au sein de l’opposition parlementaire progressiste. Les doigts accusateurs des députés se tendent vers les ministres fédéraux, tour à tour pris en flagrant délit de « posture idéologique ». Une expression, un mot, peut suffire à les démasquer.

Maggie De Block, ministre Open VLD des Affaires sociales, prétend ainsi ne plus vouloir d’une sécu caricaturée en « hamac et en source de profitariat ». Noble intention ? Vraie supercherie, traduit Raoul Hedebouw, député PTB. Il n’y aurait derrière ces belles paroles que « volonté de stigmatiser les plus fragiles, présentés comme de potentiels profiteurs ». Voilà comment « on donne idéologiquement raison à ceux qui, aujourd’hui, sapent les fondements de la sécurité sociale en la dépeignant comme une source d’abus ».

Daniel Bacquelaine, ministre MR des Pensions, porte sur ses épaules la charge écrasante de devoir faire bosser les gens plus longtemps. Question de bon sens ? Tout faux, bondit, là encore, le député radicalement de gauche : « Dire qu’il faudrait allonger les carrières à cause de l’augmentation de l’espérance de vie procède d’une prise de position purement idéologique. »

Willy Borsus, autre libéral francophone en charge des PME et des Classes moyennes, n’agit pas autrement. Encore un ministre « dans la posture idéologique », que le député socialiste Paul-Olivier Delannois a pu démasquer : « Au lieu de créer de l’emploi de qualité, il va augmenter la flexibilité des employés et généraliser la précarisation des emplois. » Etrange conception de la « valeur du travail ». Infortuné consommateur, lui aussi sacrifié sur l’autel de l’aveuglement idéologique. « On va alléger les règles et les obligations en matière de protection du consommateur. La FEB, Febelfin, Assuralia et consorts remercient d’ores et déjà le ministre », lance la députée Fabienne Winckel (PS) à l’intention du ministre de l’Economie, Kris Peeters (CD&V).

Où est le mal ?

Lecture tendancieuse des chiffres et des rapports d’experts, conclusions à sens unique : la suédoise oserait tout pour parvenir à ses fins. Au nom du PS, Paul-Olivier Delannois sonne la charge : « De tous les maux de la terre, ce sont les charges scandaleusement ponctionnées aux patrons qui sont les pires aux yeux de ce gouvernement. Nous ne sommes pas assez compétitifs, nos travailleurs coûtent trop cher. Le gouvernement fait essentiellement dans l’idéologie et les poncifs. » Jusqu’à donner froid dans le dos.

Marco Van Hees, parlementaire PTB, a délicatement posé la cerise sur le gâteau servi au N-VA Jan Jambon, ministre de l’Intérieur mais aussi de la Sécurité. « Je ne peux m’empêcher de comparer la situation actuelle à celle du Chili suite au coup d’Etat de Pinochet. La manière dont le ministre évoque des problématiques sociales (mendicité, sans-abris) conduit à une criminalisation des plus faibles. Ces problèmes sont évoqués sous l’angle de la sécurité alors qu’il s’agit principalement de problèmes sociaux. Le ministre souhaite associer l’armée au maintien de l’ordre public. Pour rappel, l’intervention de l’armée était monnaie courante au XIXe siècle : on y avait recours lors des manifestations ou des grèves d’ouvriers qui étaient le plus souvent considérés comme des délinquants. »

Michel Ier, ou l’inquiétant retour en force de l’idéologie au pouvoir. De droite, s’entend. La gauche parlementaire s’épargne même la peine de le préciser : faire passer l’adversaire pour une bande d’entêtés qui persistent dans leurs erreurs et refusent de voir la réalité, doit suffire à jeter le discrédit. « L’opposition espère ainsi saper la crédibilité du gouvernement en le dépeignant comme composé d’idéalistes qui se laissent emporter par leur vision du monde », décode Pierre Verjans, politologue à l’Université de Liège. Un bien vilain défaut au royaume du compromis et de la recherche du consensus : « Dans le modèle politique belge, l’idéologie prend une dimension péjorative. »

Où est le mal ?

Pascal Delwit, politologue à l’ULB, parle de mauvais procès : « Faire preuve d’idéologie, c’est exprimer une vision de la société. Il n’ y a rien de condamnable à cela. C’est d’ailleurs ce que l’on attend d’un parti politique. Tous les gouvernements sont idéologiques puisqu’ils sont plus ou moins marqués politiquement. » Quoi de plus normal que la suédoise, en s’affichant de droite, avance moins masquée qu’une alliance contre-nature qui tourne autour d’un axe gauche-droite.

Les partis aiment convoquer un congrès idéologique pour se ressourcer, recharger leurs batteries, nourrir un programme électoral. Mais sitôt au gouvernement, les voilà priés de ranger au vestiaire leurs convictions et de mettre leur phraséologie en sourdine. L’idéologie élevée au rang d’insulte à la bonne gouvernance. Le N-VA Jan Jambon l’a bien compris en se défendant : « Je ne fais pas de l’idéologie. Je parle d’efficacité. »

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