Claude Demelenne

Lettre à Stéphane Moreau, pauvre petit homme riche (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Ils ont osé, cher Stéphane. Ils t’ont traité comme un parrain de la mafia. Tout cela pour quelques millions, gagnés à la sueur de ton front. Ceux qui s’acharnent sur toi sont des médiocres. Des gagne-petit.

Tout a commencé vendredi. Par un petit matin blême, ils sont venus t’interpeller à ton domicile. Ils t’ont conduit sans ménagement au commissariat. Comme un vulgaire truand. Ils t’ont interrogé en te posant des tas de questions indiscrètes sur Nethys, son management, ton salaire, tes indemnités secrètes, dites de « rétention », que tu as perçues. Cela t’a mis mal à l’aise, de parler de tout cela. Je te comprends : tout homme a ses petits secrets, qu’il n’a pas envie de partager avec le premier inspecteur financier venu. Surtout qu’à l’Office central de répression de la corruption, ce ne sont pas des gais lurons. Les heures défilaient, tu as reçu à manger un sandwich au mauvais jambon. La soirée était déjà bien avancée quand les enquêteurs t’ont annoncé qu’ils n’avaient pas encore fini d’enquêter et que tu passerais donc la nuit en cellule.

Le lendemain matin, le cauchemar a continué. Jusque tard dans la soirée, tu as subi des interrogatoires en rafale. Puis tu as été placé sous mandat d’arrêt et incarcéré à la prison de Lantin. Je ne m’exprimerai pas sur le fond du dossier. Apparemment, les enquêteurs te cherchent des poux sur le crâne pour des indemnités d’un peu moins de 10 millions d’euros, que tu aurais empoché indûment. Une broutille quand on a joué tant d’années, comme toi, dans la cour des grands.

Justice de classe ?

Cela m’a choqué, cette façon de s’acharner sur un honnête citoyen. Justice de classe ? C’est évidemment ce que tu as ressenti, cher Stéphane, en ce moment douloureux. Les petits loubards qui volent une veste en faux cuir chez Primark, et qui visitent comme toi le commissariat, sont libérés dans les deux heures. Toi qui n’as jamais fait de mal à une mouche, tu es traité comme un parrain de la mafia.

Tu es devenu un symbole à abattre. Pour une raison simple : tu es la preuve vivante qu’à condition de compter chaque sou, et de bien choisir ses amis – François Fornieri et Pierre Meyers, plutôt que les gréviculteurs de la FGTB – un homme du peuple peut réussir sa vie. L’attitude de la justice à ton égard est une offense faite à la classe ouvrière, dont tu es un pur produit – comme ton pote Fornieri, tu viens d’un milieu populaire.

« Enrichissez-vous, camarades ! »

A gauche, on fustige ta cupidité. Certains ont même déclaré que ton salaire, environ un million d’euros par an, était « indécent ». Ils devraient plutôt être fiers de la réussite d’un capitaliste rouge comme toi qui a créé, à Liège, « la plus grande intercommunale du monde ». Certains, à gauche, ont décidément du mal à soutenir la liberté d’entreprendre. Ce qui mine les socialistes, c’est leur rapport complexé à l’argent. Au lieu de vitupérer « J’en ai marre des parvenus », Elio Di Rupo aurait dû lancer un pétaradant « Enrichissez-vous, camarades ! ».

Les socialistes sont des gagne-petit

Dans la précédente lettre que je t’ai envoyée, le 15 novembre 2019 – le temps passe vite… – et qui a été publiée dans ‘Le Soir’,La lettre de Claude Demelenne à Stéphane Moreau: « Tes …j’ai écrit qu’il fallait défendre tes acquis sociaux, ton salaire et tes primes. Je n’ai pas changé d’avis. Tes anciens camarades du PS sont des gagne-petits. Ils manquent d’ambition. Ce n’est pas ainsi qu’on redresse une région, a fortiori un pays. Quand il était professeur d’Université, Paul Magnette se contentait d’un salaire de misère. Aujourd’hui, il dirige le PS et la Ville de Charleroi pour des clopinettes. Elio Di Rupo trône aux avant-postes de la politique belge depuis plus d’un quart de siècle et il n’a pas amassé le quart du dixième de tes gains, obtenus à la sueur de ton front en une poignée d’années.

Tu n’as pas répondu à ma lettre. Pas étonnant, tu étais débordé de boulot. Avec cette meute de « chiens » à tes trousses, tu as accumulé les réunions avec tes avocats. Mais je sais que mes mots t’ont touché. D’autant que, quand tes ennuis ont commencé, tu n’as pas pu compter sur le soutien de tes ex-camarades. Depuis des mois, même Jean-Claude Marcourt changeait de trottoir lorsqu’il te croisait. Ce bon Jean-Claude a longtemps été subjugué par ton intelligence et ta maîtrise des montages financiers les plus osés.

Vive le capitalisme rouge

Le capitalisme rouge, voilà l’avenir. Tu as ouvert la voie. Tu as été un précurseur. Oserais-je dire, un génie incompris ? Aujourd’hui, tu paies le prix de tes audaces, tu as été exclu du parti, tu es sans doute la personnalité la plus détestée de Belgique francophone. Tes comptes bancaires sont bloqués. Tu es un pauvre petit homme riche.

Libérez notre camarade !

Cher Stéphane, je n’ai pas de conseil à te donner. Mais permets-moi de t’en donner un quand même. Je connais ta pudeur. Tes réticences à évoquer les questions d’argent. Pourtant, quand tu sortiras de la prison de Lantin, avec tes comptes bloqués, tu auras besoin de quelques pièces jaunes. N’hésite pas à faire appel aux vrais amis. Tu gardes des supporters, des idéalistes qui croient qu’un autre monde est possible, moins impitoyable, moins mesquin. Fais un appel aux dons, crée une cagnotte sur internet. Continue le combat, cher Stéphane. Et s’il le faut, nous organiserons une manifestation devant les grilles de Lantin. « Libérez notre camarade ! ». La solidarité, cher Stéphane, est la plus belle valeur de la gauche. Oublie les envieux qui hurlent avec les loups. Ce n’est pas cela, le socialisme.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire