Christine Laurent

L’esprit et la lettre

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Vous êtes le premier citoyen du pays, placé au-dessus de nos batailles coutumières, peut-être comme le voyageur au sommet de la montagne qui découvre un plus large horizon, verrez-vous mieux que vos conseillers en proie aux soucis de la plaine les nuages noirs qui là-bas se forment et s’amoncellent, et l’orage qui menace. Il faut donc que je vous parle. »

Remuer le passé pour rechercher des repères, c’est ce que nous avons choisi de faire cette semaine en nous penchant sur le très beau texte que Jules Destrée adressait à Albert Ier le 15 août 1912. Cent ans tout juste ! 2012 : une année faste pour redécouvrir ces 24 pages qui traduisent le désarroi d’un homme inspiré. Et dont l’envolée lyrique et politique a sonné, alors, comme un coup de tonnerre dans le silence feutré du palais royal. Un événement, un vrai.

Pas moins de 20 personnalités, du Nord comme du Sud, de gauche comme de droite, ont accepté notre proposition : envoyer, eux aussi, par l’intermédiaire du Vif/L’Express, une missive à Albert II, petit-fils d’Albert Ier, dans laquelle elles couchent leur vision, leurs états d’âme, leurs craintes pour l’avenir de notre pays. Une Belgique désormais sonnée, fragilisée, victime de ses aveuglements passés.

Leurs messages ne sont pas écrits au clairon, comme celui de Destrée. Pas de bombe cachée au détour de leurs phrases non plus. Adapter les valeurs à notre époque, décoder, rompre avec les vieux tabous… nos épistoliers, plus déterminés que guerriers, ont trempé leur plume dans l’encre des certitudes et des incertitudes. La lettre et l’esprit. Belle leçon « d’opti-pessimisme », si cher à Edgar Morin ; ou de ce pessimisme joyeux incrusté dans notre ADN depuis toujours.

Mais, comme Destrée, ils avancent leurs arguments sur la trame de l’Histoire, en acteurs et observateurs de la chose publique. Nul grand mot ici pour cacher les grands maux dont nous souffrons, non. Mais on devine parfaitement qu’en ce début du XXIe siècle le doute est dans les esprits. Dans ces déclarations, publiées cette semaine par notre magazine, il est question de folie communautaire, de réformes, de confédéralisme, de séparatisme, de frontières linguistiques, de populisme, de mesquinerie, de médiocrité, de solidarité, de cupidité, d’espérance. On croise également Thémistocle et sa précieuse injonction « Frappez, mais écoutez ». Et on entend ce cri : « Il est impossible de diviser la Belgique. Pourquoi personne n’ose-t-il pas l’admettre à haute voix ? »

Bonne question, en effet. Surtout à l’heure de la réunion « historique » des fédérés (entendez les gouvernements flamand et wallon) la semaine dernière à l’Elysette. Courtoisie, accolades, sourires, on se pâme devant les caméras, on se congratule, on signe même des accords culturels. Oublié le Nord honni « des flamingants », le Sud fustigé des chômeurs. Tout va bien, on s’aime. Qui s’en plaindrait ? Mais qui joue à quoi ? Comme pour les vieux couples, dans notre pays faire ses valises et s’éloigner quelque temps pour prendre l’air peut être salutaire. Et s’il n’y a pas de Belges, comme le prétendait Destrée, nul doute que Flamands et francophones n’ont pas encore divorcé définitivement. Ce serait même le temps des retrouvailles. Mais au fait, les Bruxellois, si décriés par Destrée, aujourd’hui, qui s’en préoccupe ?

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