Eric Domb © Francky Verdickt

« Les Wallons ne sont pas assez ambitieux »

Han Renard

Le 22 mars, un bébé rhinocéros blanc baptisé Sethemba Vasta a vu le jour à Pairi Daiza, même si cette journée entrera plutôt dans l’histoire comme le « 11 septembre de Bruxelles ». À quatre-vingts kilomètres de la capitale, les conséquences du drame sont bien visibles.

À l’entrée du parc animalier, les visiteurs doivent passer par un détecteur de métaux et faire scanner leurs sacs. Le jardin a définitivement perdu son innocence. D’après Eric Domb, cette innocence a été brisée le 13 novembre 2015.

« Ce jour-là, je fêtais mon anniversaire, avec quelques amis », raconte-t-il. « C’était une belle soirée surprise, mais le soir j’ai été consterné de voir ce qui s’était passé au Bataclan. J’avais aussi quelques appels manqués, notamment de la banque française BNP Paribas, qui avait loué notre parc le lendemain pour une grande fête du personnel de plus de 20 000 invités. La direction parisienne souhaitait savoir si Pairi Daiza était assez sûr pour leurs collaborateurs. Depuis lors, notre parc a connu une période avant et après attentats », explique Eric Domb, le directeur de Pairi Daiza, à nos confrères de Knack.

Des détecteurs de métaux dans un jardin zoologique? Voilà qui n’a pas dû être une décision facile ?

Eric Domb: Non, mais il fallait faire quelque chose, sans exagérer et sans effrayer inutilement nos visiteurs. Ces mesures nous ont coûté très cher, j’estime entre 1 et 1,5 million d’euros. En soi, je ne trouve pas que ce soit si grave, mais c’est de l’argent qu’on ne peut plus investir dans le parc.

Que pensez-vous des réactions politiques aux attentats? Les chamailleries entre les Flamands et les francophones, et la façon dont les politiques se rejettent les responsabilités ?

C’est douloureux. En Europe, nous sommes tous les enfants du philosophe français René Descartes. Ce dernier pensait en termes de « ceci ou cela », alors qu’en réalité il s’agit généralement de « ceci et cela ». Nous devons miser sur la sécurité et la prévention. Mais la population a peur, et la peur est mauvaise conseillère. Les gens veulent qu’on impose des sanctions, que la police et les militaires patrouillent sur chaque carrefour, mais ils ne réalisent pas que ces mesures portent gravement atteinte à notre liberté individuelle. Je ne voudrais pas être à la place de nos politiques. Les médias bondissent sur le moindre incident et les politiques doivent avoir une opinion toute prête sur les choses les plus divergentes. Il n’y a pas assez de réflexion.

Les attentats salissent l’image de la Belgique à l’étranger. Ne craignez-vous pas que Paira Daiza en subisse les conséquences ?

Elles sont déjà visibles. Le jour des attentats, trois koalas devenaient venir du zoo de Brisbane, mais leur arrivée a été postposée parce que les Australiens ont peur.

Attendez-vous moins de visiteurs?

C’est difficile à estimer. La saison vient de commencer, et un jardin zoologique dépend de la météo. Nous avons eu des messages de consolation d’amis du monde entier, mais on ressent la peur. À Lille, le préfet a même interdit aux écoles d’encore planifier des voyages scolaires à Pairi Daiza. C’est invraisemblable. Depuis les attentats de Paris, ces élèves ne peuvent-ils plus se rendre nulle part en France non plus ?

Vous avez été président de l’Union Wallonne des Entreprises pendant quelques années, et vous avez été fort impliqué dans le plan Marshall pour la Wallonie. Celui-ci a-t-il fonctionné ?

Ces dernières années, on va dans la bonne direction, mais c’est encore trop peu et trop lent. Les Wallons ne sont pas assez ambitieux, et pour beaucoup, l’idée de croissance économique reste taboue. En Wallonie, la croissance économique est trop souvent synonyme d’exploitation et d’abus : l’employeur qui l’emporte, gagne de l’argent et se remplit les poches, contre l’ouvrier qui perd et reste pauvre. Ce cliché est tellement dépassé.

Les Wallons ne font-ils pas confiance à leurs entrepreneurs?

Malheureusement pas, et c’est un gros frein sur notre redressement économique. Quand j’ai fondé ce parc, tout le monde m’a traité de fou. Je le reconnais, ce n’est pas la région la plus touristique d’Europe. (rires) Mais prendre des risques n’est pas toujours apprécié. Beaucoup préfèrent penser petitement. En Wallonie, l’illusion de Karl Marx que les ouvriers du monde entier se réuniront pour s’opposer ensemble au grand capital et à l’économie de marché règne toujours. Mais que voit-on aujourd’hui ? Les ouvriers de Chine et du Brésil se moquent de leurs frères wallons. Ils réalisent que leur vie est courte, qu’ils peuvent envoyer leurs enfants dans une bonne école, et qu’en travaillant dur ils pourront peut-être voyager.

À Pairi Daiza, je coopère très bien avec les collaborateurs, mais qui entend-on sans cesse dans les médias wallons ? Pas les employeurs, mais les syndicats, les politiques et les professeurs. Où sont les entrepreneurs et les indépendants dans ce débat ? Les dirigeants de petites et moyennes entreprises qui tous les jours doivent prendre des décisions difficiles et qui influencent l’avenir de nombreux employés ? Beaucoup de Wallons ne réalisent pas que leur revenu, leur sécurité sociale et leur pension dépendent d’un petit groupe de dirigeants d’entreprises qui prennent des risques et créent de l’emploi. »

Vous êtes proche du Parti Socialiste et d’Elio Di Rupo. Êtes-vous un homme de gauche ?

Je suis préoccupé par l’injustice. Comment faire en sorte que les enfants nés du mauvais côté de la rue aient les mêmes chances ? Je partage effectivement cette inquiétude avec le PS. Mais je trouve aussi qu’il faut davantage aider les gens qui souhaitent entreprendre. J’ai des amis dans tous les partis politiques : du PS à Ecolo en passant par le cdH et le MR. La gauche et la droite devraient coopérer. Et au lieu de cours de citoyenneté, j’instaurerais un cours de budget wallon. D’où vient l’argent et où va-t-il ? Si vous ne voulez pas que la démocratie reste purement théorique, les citoyens doivent être informés. Un professeur ne pourra plus prétendre que les dirigeants d’entreprise sont des salauds sans préciser que son salaire est payé par les impôts des sociétés.

Vous êtes invités à une journée d’étude du PS sur l’identité wallonne? Existe-t-il une identité wallonne ?

Il y a une différence entre nationalisme et patriotisme. Le nationalisme, c’est unir les gens contre quelque chose, le patriotisme, c’est unir les gens pour quelque chose. On a certainement besoin de patriotisme. Le sous-régionalisme est une des grandes maladies de Wallonie : les intérêts locaux priment sur l’intérêt général. En outre, nous évoluons vers un état confédéral, que ça nous plaise ou non. Les transferts d’argent s’assèchent et tôt ou tard les Wallons devront prendre leur avenir en main. Les Wallons devront donc se distancier résolument d’idéologies simplistes du passé et cesser d’opposer les employés aux employeurs. Nous avons besoin d’un projet collectif qui donne envie aux gens d’entreprendre, et qui motive les jeunes talentueux à devenir professeurs, car pour une économie de savoir, la qualité de l’enseignement est primordiale.

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