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Les seniors devraient-ils subir un examen médical pour pouvoir continuer de conduire?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Notre code de la route persiste à ignorer le poids des ans lorsqu’on prend le volant. Faut-il s’en inquiéter à l’heure du vieillissement?

Mark Tant (responsable du CARA, Centre d’Aptitude à la Conduite – VIAS)

Limiter à cinq ans la durée de validité du permis de conduire à partir de 70 ans et imposer un examen médical ou une remise à niveau du code de la route pour pouvoir le conserver. La Commission européenne est-elle bien inspirée de l’envisager?

Non, je ne comprends pas une telle intention. La grande majorité des experts invités par la Commission à remettre un avis sur cette question – dont moi – ont souligné que cette idée d’imposer un examen médical lié à l’âge d’un conducteur ne reposait pas sur des arguments suffisamment étayés. Il est donc étonnant que cette piste soit maintenue dans la dernière version du projet de révision de la directive européenne relative au permis de conduire, vu l’absence de consensus.

Le ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet (Ecolo), n’en veut pas. A-t-il raison de fermer aussi brutalement la porte?

Oui, tout à fait. Il n’existe aucune raison scientifiquement validée pour introduire une mesure qui lie l’aptitude à la conduite au seul critère de l’âge. Rien, jusqu’ici, n’a permis d’établir que la sécurité routière s’en trouverait améliorée.

La plupart des pays européens organisent pourtant un contrôle médical pour les automobilistes âgés. Font-ils fausse route?

Certains pays imposent même un tel contrôle régulier à vie, indépendamment de l’âge du conducteur, sans pour autant, comme c’est le cas de l’Espagne, afficher de bonnes statistiques en matière de sécurité routière. Il ne s’agit pas d’une mauvaise mesure, pourvu qu’elle ne soit pas discriminatoire. Après tout, chaque véhicule est soumis à un contrôle technique annuel (NDLR: dès qu’il a plus de quatre ans), quelle qu’en soit la marque. Pourquoi ne pas envisager un tel examen pour tous les conducteurs et conductrices, quel que soit leur âge? Les déclins physique ou cognitif dans l’aptitude à la conduite se manifestent sans doute plus sensiblement avec l’âge mais ils ne concernent pas uniquement les personnes âgées. Un bon ou un mauvais état de santé n’est pas qu’une affaire de vieillesse. Un travail de remise à jour ou de rééducation à la circulation routière devrait aussi pouvoir s’appliquer à toutes les tranches d’âge.

Mark Tant «Il n’existe aucune raison scientifiquement validée pour introduire une mesure qui lie l’aptitude à la conduite au seul critère de l’âge.

Depuis mai 2013, la validité du permis de conduire octroyé en Belgique n’est plus illimitée mais renouvelable tous les dix ans, moyennant une déclaration médicale sur l’honneur signée par son titulaire. Est-ce suffisant?

Non, il faudrait qu’une telle déclaration soit accompagnée d’une attestation du médecin de famille. Mais je ne suis pas sûr que la profession soit preneuse d’une telle démarche.

Il paraît pourtant difficile de nier le poids des ans au volant: vision déclinante, perte de réflexes et de sens de la coordination. Le vieillissement croissant ne rend donc pas les routes moins sûres?

Non, les statistiques de sécurité routière ne font pas des seniors une catégorie de conducteurs à risque. Ils roulent plus prudemment, accomplissent moins de manœuvres dangereuses, prennent moins de risques. Au regard du nombre de kilomètres parcourus, leur implication dans des accidents dont ils sont la cause ne présente pas un danger particulier, excepté à partir de 85 ans. Et lorsque les conducteurs âgés sont impliqués dans des accidents mortels de la route, ils n’en sont pas majoritairement la cause mais plutôt la victime. Sur cinq mille dossiers ouverts chaque année au Cara pour un test d’aptitude à la conduite automobile, 40% concernent des conducteurs de plus de 65 ans. Dix pour cent du total des examens effectués débouchent sur une évaluation négative, et ce taux peut monter jusqu’à 15% pour les seniors. Cette hausse n’est pas assez significative pour justifier un examen médical obligatoire à leur égard.

Mark Tant
Mark Tant © National

Si les seniors n’ont rien de «Fangio» sur les routes, n’est-ce pas leur excès de prudence et leur manque de sûreté au volant qui les rendent potentiellement dangereux?

Ce n’est pas la vitesse qui constitue le critère le plus déterminant mais les différences de vitesse pratiquées qui sont à considérer comme un facteur de risque. Où est le problème? Est-ce le jeune qui roule trop vite ou le senior qui roule trop lentement?

Boom des vélos et des trottinettes électriques, aménagement de sites propres pour les transports en commun: les obstacles potentiels se multiplient, surtout en milieu urbain. Les seniors sont-ils encore armés pour gérer ces sources de stress au volant?

Il est exact que l’évolution des moyens de transport ne facilite pas le comportement dans le trafic routier. Même si leur temps de réaction face à un obstacle est plus important et peut engendrer des conséquences plus sérieuses, les seniors ne sont pas les seuls conducteurs à être surpris par un speed pedelec qui les dépasse sur la piste cyclable. Ils ne sont pas non plus responsables de ce qui relève d’un problème d’infrastructures routières.

L’aménagement de ces infrastructures prend-il suffisamment en compte les besoins de la catégorie croissante des conducteurs âgés? Le principal point noir du senior au volant est le carrefour régi par des signaux de priorité, selon une étude de Vias

Des efforts sont fournis en la matière. C’est le cas des carrefours protégés (NDLR: où cyclistes et piétons sont séparés des véhicules motorisés) dans lesquels le fonctionnement des feux est calibré par catégorie d’usagers, automobilistes, cyclistes, piétons. Ce qu’il faut éviter aux seniors, c’est d’avoir à accomplir simultanément deux tâches au volant et à devoir les combiner. Il leur est plus difficile de compenser par des réflexes une manœuvre à effectuer.

La sophistication des équipements des voitures peut aussi multiplier les motifs de distraction. Les constructeurs automobiles veillent-ils assez à faciliter le confort de conduite des seniors?

Non. Le problème est que les ingénieurs ne se parlent pas suffisamment quand il s’agit de mettre en place des dispositifs d’aide à la navigation automobile.

Ne faudrait-il pas, à partir d’un certain âge, imposer l’emploi d’un véhicule pourvu de dispositifs d’assistance à la conduite: aide au stationnement, boîte de vitesse automatique, rétroviseur panoramique, système anticollision…

La réflexion est intéressante mais il importe de garder à l’esprit que le système d’assistance à la navigation automobile doit rester un système de confort. Si le conducteur en a impérativement besoin, c’est que se pose un réel problème d’aptitude à la conduite qu’il convient alors de gérer adéquatement.

Pourrait-on plutôt envisager de restreindre la prise du volant à partir d’un certain âge, en l’interdisant par exemple à des moments de la journée plus sensibles en matière de trafic routier, ou pour emprunter certains types de voies?

De telles restrictions se pratiquent déjà au terme d’une évaluation de l’aptitude à la conduite et sont mentionnées sur le permis. Comme le fait de ne pouvoir conduire que dans un rayon de dix ou de quinze kilomètres autour de son domicile, de ne pas être autorisé à circuler durant la nuit ou sur autoroute. Mais il faut que des preuves médicales puissent justifier l’imposition de telles restrictions et non une simple prise en considération de l’âge.

Mieux vaudrait peut-être encourager les conducteurs âgés à se déplacer autrement qu’en voiture, par le biais d’incitants à se réorienter vers les transports en commun, comme cela se fait en Allemagne.

Je n’en suis pas convaincu. Les statistiques d’hospitalisation montrent que les seniors encourent davantage d’accidents mortels en tant que piétons que lorsqu’ils sont conducteurs.

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