Echange de maillots entre Charles Michel et Theo Francken : c'était la belle époque du fair-play. © ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Les grandes manoeuvres des partis politiques pour survivre

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le marché des transferts en janvier est une tradition du football moderne. Mais à l’heure où les partis traditionnels sont en crise, en début d’année électorale qui plus est, ils doivent montrer leur capacité à se renouveler. S’ils veulent éviter la relégation, eux aussi doivent transférer d’urgence. Revue des effectifs.

On raffole des analogies footballistiques, du côté des commentateurs politiques sans trop d’imagination. Les tacles des uns, les séquences de football-panique des autres, les balles dans le camp de chacun sont à l’analyse politique ce que Luc Varenne était au reportage sportif : une figure du journalisme de papa.

Tout récemment, un chroniqueur comparait ainsi la N-VA, dont le président est pourtant plus friand de couronnes de laurier que de ballons d’or, au Real Madrid, et ses penauds adversaires au  » FC Savates « . Quelques mois plus tôt, le président du PTB, Peter Mertens, qualifiait son porte-parole Raoul Hedebouw de  » Lionel Messi de la politique « , sans d’ailleurs que personne ne l’avertisse des constructions fiscales douteuses, ni même du solisme permanent, du génie argentin. Bref, de cet art noble corrompu par l’argent ou de ces grands principes gangrenés par les petitesses tactiques, la politique comme le football, le football comme la politique peuvent souvent paraître partager un vocabulaire, sinon des pratiques. Pour le moment, ce qui agite les deux pelouses, en tout cas, c’est le mercato d’hiver.

C’est nouveau, pour le monde politique. Depuis quelques années, celui du foot s’était habitué à ce que clubs et joueurs s’achètent et se vendent pendant tout le mois de janvier. Cette fois, en Belgique francophone, le marché concerne aussi les partis. Eux aussi ont tous beaucoup à perdre et à gagner des prochains mois, et pour eux aussi, c’est maintenant que ça se joue. La saison régulière se termine, et s’annonce l’heure décisive des playoffs législatifs de 2019. Ils seront précédés, en octobre 2018, d’un tour préliminaire communal et provincial, pour lequel chaque équipe devra, sous peine d’élimination ou de division de ses points par deux, démontrer que son dispositif est déjà bien en place. Les besoins des uns et des autres diffèrent. Qu’ils jouent le maintien ou la montée, le titre ou les accessits, certains en sont encore à se chercher une identité de jeu, d’autres doivent renforcer prioritairement un secteur, ou tous, d’autres encore veulent se réconcilier avec leur public, d’autres enfin se sépareront d’éléments trop coûteux ou pas assez performants. Mais tous, ouverture et renouvellement obligent, sont à la recherche de nouvelles recrues.

Comme un mercato de janvier pour un manager de club en difficulté, les premiers mois de 2018 seront, pour les présidents de parti et leur staff, la dernière fenêtre d’opportunité pour se refaire avant le grand tournoi. Alors, comme le font ses excellents confrères de Sport-Foot Magazine, Le Vif/L’Express passe les effectifs en revue.

Bart De Wever en meneur de jeu, à Anvers mais pas seulement.
Bart De Wever en meneur de jeu, à Anvers mais pas seulement.© JOHN THYS/BELGAIMAGE

Du côté du MR, on a signé une convention de collaboration (technique) avec un grand club étranger à l’entame de la saison 2014. Cette synergie a permis à tout le noyau réformateur de goûter au plus haut niveau, il a même pu faire tourner son effectif (Wilmès pour Jamart, qui en fin de carrière, a commis plusieurs fautes de marquage, Bellot pour Galant, qui n’a pas su garer le train devant son but, Ducarme pour Borsus après son transfert à Namur) sans que la rotation ne lui coûte trop de points dans les sondages. Son gros, gros problème, c’est que le partenaire (technique), qui joue dans une division supérieure, se fiche du championnat belge, et qu’on dirait même qu’il s’amuse de voir son équipe satellite encaisser goal sur goal sur un terrain qu’au fond il méprise. Qu’importe que les bleus aient du mal chez eux, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent. Ce qui compte, pour le président jaune et noir, celui avec lequel les bleus ont tissé cette synergie (on vous a dit que ce n’était que technique ?), c’est, en fait, que le terrain francophone se dégrade : lui, il veut faire jouer son club dans une ligue fermée, sur de belles pelouses bien vertes, dans de beaux stades bien remplis et avec de beaux joueurs bien blonds. Et, surtout, dans une ligue où personne ne parlerait français. Tant mieux donc si toutes les compétitions nationales sont annulées pour terrains impraticables ou infrastructures non conformes. Et tant pis pour le partenaire (technique).

Au PS comme à Anderlecht, la base reproche au président de ne pas être constant

Le MR, lui, veut conserver au championnat belge tout son attrait, surtout qu’il n’est installé que depuis peu de temps au sommet de l’élite. Les liens familiaux qui unissent certains de ses dirigeants l’ont aidé à monter dans la hiérarchie. Aux mains désormais d’une famille jadis contestée, le club semble dirigé par un petit frère que tout le monde trouve sympathique mais, en réalité, c’est l’aîné du clan, celui pourtant qui se dispute avec tout le monde depuis tout le temps, qui décide de tout, des transferts et du budget, de l’effectif et des partenariats stratégiques. Voilà pourquoi, tous comptes faits, le Mouvement réformateur, c’est le Sporting de Charleroi cette saison, et Charles Michel et Olivier Chastel en sont les frères Bayat. Une identité un peu surjouée (avec  » Je suis pour  » en pendant bleu pâle du creux  » Carolos are back « ) mais des résultats surprenants, fondés sur un jeu attentiste qui profite bien à l’aise d’énormes espaces laissés par ses adversaires sur le flanc droit pour perforer les systèmes de jeu adverses. Comme le Sporting zébré, le MR vit ses plus belles saisons, mais il lui faut renforcer son milieu du jeu, voire même un flanc gauche qu’il n’a plus emprunté depuis des années, s’il veut marquer l’histoire et s’installer dans la cour des grands. Il pourrait, sinon, se retrouver disqualifié, personne ne voulant plus jamais jouer avec lui, les Flamands parce qu’il est francophone, les francophones parce qu’il est trop droitier. Ce mercato politique le verra tenter de s’attirer le soutien de personnalités plutôt consensuelles, fussent-elles venues de championnats aussi exotiques que l’universitaire, l’économique, le sportif ou le médiatique pour occuper ces secteurs pleins de places à pourvoir, surtout aujourd’hui qu’il a un solide budget. Mais il continuera quand même à déborder sur le flanc droit.

Elio Di Rupo cherche à mieux défendre son flanc gauche contre les percées du PTB.
Elio Di Rupo cherche à mieux défendre son flanc gauche contre les percées du PTB.© BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Du côté du PS, on mise gros sur ce mercato, qu’on entame pourtant avec l’incompréhension fébrile du champion déchu. Du côté du PS, on a accumulé les trophées pendant des années, mais il semble que le système de jeu ne fonctionne plus et le public boude. Du côté du PS, on compte changer de propriétaire, et on est fort tenté par un jeune aventurier charismatique et fort populaire pour prendre les choses en main. Parce que du côté du PS, on reproche au président, qui n’est plus tout jeune, de ne pas être constant. Voilà pourquoi le PS, c’est le Sporting d’Anderlecht de cette saison, celle de la crise. Il lui faudra peut-être changer de président plus tôt que prévu, d’ailleurs, parce que les ailiers gauches Dermagne et Laaouej, montés au jeu à la place des fatigués Onkelinx et Collignon, ont renforcé un flanc en déshérence, mais ils n’ont pas encore le muscle pour faire la différence à eux tout seuls. La base défensive est assez solide et expérimentée pour éviter la raclée au tournoi communal et provincial, mais manque de classe pour pouvoir briller plus haut. Quelqu’un de gauche, pas inconnu, pas usé par le pouvoir, et pas compromis par des affaires, bref, légitime. La perle rare, que toutes les équipes recherchent. Et qui a déjà son business seat au PTB.

Du côté du CDH, onpense aux playoffs en se disant que diviser ses points par deux serait déjà un honneur. Il est loin le temps où on tutoyait les gros bras régionaux. Toutes les opérations de renouvellement, depuis deux décennies, échouent à contrer l’effritement de sa base sociologique. Le stade est toujours vaste, mais il est de plus en plus vide. Et le dernier changement de logo n’a pas inversé la tendance. Voilà pourquoi le CDH, c’est l’Olympic de Charleroi de ces dernières décennies. Il a besoin de tout : d’une philosophie claire et d’un staff nouveau, d’un noyau plus complet et d’infrastructures plus modernes. Mais, parce que ses sponsors historiques le quittent et que ses supporters disparaissent, il a toujours moins de moyens à investir. Alors personne ne veut le rejoindre. C’est pas gagné, ni à la Neuville ni aux Deux-Eglises.

Le KV Ostende, comme DéFI, devra apprendre à vivre sans le président qui l'a fait grandir.
Le KV Ostende, comme DéFI, devra apprendre à vivre sans le président qui l’a fait grandir.© VINCENT VAN DOORNICK/ISOPIX

Du côté de DéFI, onjoue avec le vent depuis quelques mois. On était déjà le deuxième club favori de tout le monde, les bons perdants qui ne dérangent personne. Le président, qui incarne presque à lui seul le club, l’a mené ces derniers mois dans la cour des grands. Il décide de tout, et on se dit même que s’il voulait il pourrait s’acheter qui il voudrait. Y compris un autre club. Cela dit, à y regarder de plus près, on ne voit pas bien en quoi ce président serait si différent de ses collègues. Voilà pourquoi DéFI, c’est Ostende ces dernières années. Il devra consolider son statut de club de haut niveau, et c’est pourquoi il recrute dans les pays pauvres et parmi les professionnels revanchards, en Wallonie surtout. Et, surtout, il devra apprendre à vivre sans son président.

Du côté d’Ecolo, ona un rapport particulier à la compétition. Les résultats, croit tout le monde, on s’en fiche, tant qu’on s’est bien amusé. On est certain d’être du côté des gentils, et d’ailleurs tout le monde nous aime, même les adversaires sauf quand on les bat. Mais nous, en fait, on est comme tout le monde, et ce qu’on veut, comme tout le monde, c’est gagner. Là, justement, on est dans une bonne période. Un peu en surrégime, et d’ailleurs on joue dans un grand stade dont les sièges sont verts. Voilà pourquoi Ecolo c’est l’Union saint-gilloise des années 2010. Un parti qui dispose de bons joueurs et d’automatismes bien huilés, mais d’un noyau très étriqué. Pour tenir la longueur, il lui faudra éviter les transferts sortants (ça ne devrait pas être trop difficile) et, surtout, les blessures. Donc, engager un préparateur physique pas trop porté sur la piquouze.

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