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Les experts économiques ont-ils viré à gauche ?

Hier, nos économistes vedettes nous expliquaient pourquoi les marchés financiers avaient raison. Aujourd’hui, ils s’inquiètent du creusement des inégalités sociales. Auraient-ils tous viré à gauche ?

Bruno Colmant, Etienne de Callataÿ, Eric De Keuleneer, Roland Gillet, Paul De Grauwe, Geert Noels. Ils sont partout, ont réponse à tout. Affaire Fortis, crise de l’euro, dette grecque… : ils décodent vite et bien des matières techniques, ils traduisent les grands enjeux en mots simples et, surtout, ils sont d’une disponibilité à toute épreuve. Toujours les mêmes mais ils ne disent plus la même chose. Après nous avoir mille fois décodé les arcanes des marchés financiers, nous expliquant leur logique propre, ils s’inquiètent beaucoup aujourd’hui du creusement des inégalités sociales. Revue des troupes.

Bruno Colmant : ex-banquier, ex-chef de cabinet du libéral Didier Reynders lorsque celui-ci pilotait les Finances, ex-patron de la Bourse de Bruxelles, il est le père des intérêts notionnels, cette mesure fiscale phare qui permet aux entreprises de déduire un montant proportionnel à leurs fonds propres et qui n’en finit pas de susciter la controverse. Début 2008, il affirme que « le capitalisme est dans l’ordre naturel des communautés humaines ». A l’époque, ses innombrables sorties médiatiques sonnent comme une litanie : les marchés financiers ont raison. Six ans plus tard, il affirme que « l’économie de marché sans partage n’a aucun sens » et que « le grand débat des prochaines années sera celui de la réduction des inégalités » (Le Vif/L’Express du 21/3).

Roland Gillet : le professeur de finance à la Sorbonne et à Solvay (ULB) a gagné en visibilité en 2008 lorsque la Cour d’appel de Bruxelles le nomme expert dans le dossier Fortis. Il a beaucoup écrit sur l’efficience des marchés et la gestion de portefeuille mais, depuis quelques années, il s’intéresse également de près au creusement des inégalités sociales en Europe. « En Grèce, des retraités ne savent plus comment se nourrir après chaque 18 du mois, se soigner ou même se loger est devenu impayable pour beaucoup. Idem en Espagne où les jeunes sont nombreux à déserter le pays pour tenter d’échapper au chômage. Des besoins primaires ne sont plus rencontrés, et ça se passe en Europe, zone privilégiée s’il en est et forte en acquis sociaux. C’est dramatique et très alarmant. »

Eric De Keuleneer : le professeur à Solvay rappelle avoir « toujours défendu l’économie de marché mais, depuis longtemps je critique l’influence néfaste d’un capitaliste prédateur sur cette économie de marché. Selon moi, une économie de marché, avec de bonnes règles simples et efficaces pour garantir une vraie concurrence, cela donne de bons résultats. Le problème, c’est qu’au-dessus de cette économie de marché, il y a une sphère financière qui peut être dangereuse en utilisant les mécanismes pour les détourner à son avantage. »

Etienne de Callataÿ : le chief economist de la Banque Degroof, qui fut chef de cabinet adjoint de Jean-Luc Dehaene-Premier ministre, reconnaît son changement. « Moins que d’autres je crois, mais tout de même. La crise a renforcé mon côté libéral de gauche, le goût de l’initiative privée mais aussi la préoccupation pour les plus faibles. Le centre quoi. »

Paul De Grauwe : proche du libéral Guy Verhofstadt lorsqu’il occupait le 16 rue de la Loi, le professeur d’économie politique à la London School of Economics explique que « si je dis qu’il faut réintroduire une progressivité dans l’imposition des revenus, taxer moins les bas revenus et beaucoup plus les hauts revenus, ce n’est pas seulement pour des raisons morales. C’est aussi pour des motifs strictement économiques : ces inégalités qui deviennent de plus en plus grandes, c’est un facteur d’instabilité et donc d’inefficacité pour nos économies. »

Geert Noels : Le chef économiste chez Econopolis, ex-expert de Petercam, affirme que « chacun, de son côté, commence à s’apercevoir que la politique monétaire ultra accommodante menée depuis 2008 est injuste : elle a pour effet de gonfler les actifs financiers au profit d’une infime minorité mais elle n’est nulle part suivie d’effets positifs pour l’homme de la rue, ni sur les revenus disponibles des classes moyennes, ni sur le chômage. On a parfois eu une vision unidimensionnelle, alors qu’un économiste doit voir une vision très large parce qu’une économie soutenable ne se conçoit pas sans intégrer les dimensions sociale et écologique. »

Par Paul Gérard

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le dossier. Avec l’interview des six experts :

Bruno Colmant « Nous étions anesthésiés par la logique pure des marchés »
Roland Gillet « Aujourd’hui, je suis plus concerné par cette déglingue sociale »
Eric De Keuleneer « Je me sens mieux compris »
Etienne de Callataÿ « Avant, on négligeait les vertus de la coopération »
Paul De Grauwe « Le marché et l’Etat : on a besoin des deux »
Geert Noels « Je suis plus à l’aise depuis que je suis indépendant »

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