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« Les étudiants n’ont pas une perception assez claire des risques du coronavirus »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Face à la recrudescence de l’épidémie de coronavirus et la hausse de contamination auprès des jeunes, le virologue Marc Van Ranst met les étudiants en garde. « Ce n’est pas le moment de faire la fête », dit-il. Comment sensibiliser les jeunes aux dangers de l’épidémie ? Nous avons posé la question à Olivier Luminet, professeur en psychologie de la santé à l’UCLouvain.

À l’heure où l’épidémie regagne du terrain auprès des jeunes, les images d’étudiants se claquant joyeusement la bise avant de rentrer passer le week-end chez leurs parents interpellent. Comment expliquez-vous ce comportement?

Olivier Luminet : Ces étudiants n’ont pas une perception des risques assez claire. Celle-ci peut être relativement basse chez des gens qui savent que les symptômes qu’ils vont développer vont être minimes. Par conséquent, ils ne vont pas prendre automatiquement conscience des effets à plus long terme sur leurs parents et leurs grands-parents. C’est un phénomène fréquent en psychologie : les gens perçoivent ce qui est le plus proche d’eux, et jamais ce qui est plus loin et dans le plus long terme, ce qui explique tous les autres comportements dangereux pour la santé comme le tabagisme ou l’exposition le soleil. Quand le problème est loin les gens ne s’en préoccupent pas.

C’est seulement quand les gens voient le danger proche d’eux qu’ils changent. Aujourd’hui, la plupart des gens ont de plus en plus connaissance de cas de contamination et de malades autour d’eux, et cela va les inciter à faire plus attention, parce que c’est beaucoup plus concret que simplement les chiffres à la télévision. Cette perception concrète va nécessairement les conduire à faire plus attention, et c’est une bonne chose.

Comment renforcer cette perception du risque auprès des jeunes et les faire réfléchir à leurs comportements (fêtes, embrassades, etc.)?

Il faut parler des risques de ces comportements. Ils ont été fort mis en évidence au début, mais plus assez par la suite. Certains jeunes ont du mal à remettre à plus tard une activité agréable. Il faut souligner que les conséquences vont être encore plus négatives s’ils continuent à faire la fête, et pas seulement pour les autres. Continuer ce genre de rassemblements va inévitablement leur nuire sur le long terme. Il faut mettre en évidence cette notion de sacrifice commun maintenant, pour un mieux-être à plus long terme pour tous.

Pensez-vous qu’une mesure comme le couvre-feu dans le Brabant-wallon soit une bonne idée ?

Cela peut donner un signal d’alerte. Pour certains, il faut des mesures fortes pour que le signal rouge se mette à clignoter dans leur tête. Je pense que c’est la notion de couvre-feu en tant que telle qui peut-être impressionnante, car elle est souvent associée à une notion de guerre. À côté de cet effet annonce, il y a toujours un risque d’avoir des mesures uniquement restrictives, parce que fondamentalement elles n’expliquent pas le problème. Ça ne peut vraiment marcher que dans les moments très aigus et exceptionnels, mais sur le long terme, ça ne peut pas fonctionner. Les gens vont nécessairement contourner ce genre de mesures.

Permettre les activités de manière légale et contrôlée est certainement mieux que de penser qu’on va tout pouvoir interdire. C’est quelque chose qui a été ignoré par nos autorités. Pour le moment, tout ce qui est festif se passe dans l’illégalité, ce qui laisse toujours libre cours à des dérives. Cela vaut pour toute une série de domaines : quoi que l’on pense de la prostitution par exemple, la prostitution légale crée moins de problèmes que la prostitution illégale. La consommation de drogues dures régulée et contrôlée donne lieu à moins d’accidents que quand elle se passe de manière illégale.

Dans le cas de l’épidémie de coronavirus, on encourage malheureusement les pratiques illégales. La fermeture et l’interdiction de certains lieux qui permettent de répondre à des besoins fondamentaux (les jeunes ont fondamentalement besoin de sortir, se voir, de danser, de s’amuser), c’est simplement ignorer une réalité énorme. Au-delà de ces mesures exceptionnelles comme le couvre-feu, il faut sérieusement réfléchir à des mesures festives encadrées de manière autorisée et légale en responsabilisant les organisateurs. Ces gens de l’événementiel sont certainement prêts à fournir des efforts importants et responsables pour reprendre leurs activités, certes d’une manière moins active qu’avant, mais au moins une certaine activité.

Comment convaincre les jeunes de l’importance du respect des mesures ?

Pour s’assurer de leur adhésion, il faut des règles claires et simples (le port masque obligatoire dès que l’on sort de chez soi par exemple, sauf quand on est seul), et revenir sur cette idée d’importance pour les autres. Respecter les gestes barrière, c’est un geste d’altruisme, de solidarité envers les autres. « Je le fais pour les autres, je suis généreux avec les autres en faisant l’effort de porter un masque. » Il faut non seulement rappeler les règles, mais c’est important aussi de rappeler les raisons de les appliquer. Il faut que les gens aient l’impression d’avoir le contrôle sur ce qui se passe, que par leurs actions ils peuvent voir des changements notables.

Comment faire passer le message de prévention à un maximum de personnes ?

Les autorités pensent que les médias sont le moyen d’informer tout le monde, mais ce n’est pas le cas. Il faut beaucoup plus de campagnes d’informations sur d’autres types de médias privilégiés par les jeunes, qui ne vont pas lire les journaux, les réseaux sociaux, notamment. C’est capital de toucher toute la population. Il y a certaines catégories de la population qui sont beaucoup moins exposées aux messages de prévention pour le moment.

Il faut être extrêmement pédagogique pour justifier ces mesures, et aussi remercier les citoyens pour les efforts, car les efforts sont énormes. C’est important qu’il y ait un message de gratitude de la part des autorités. Ce type de message est très important qui permettra aux gens de garder du sens à ce qui font pour l’instant.

Ce qui est important aussi, c’est d’éviter de donner des faux espoirs. Les gens savent s’ajuster. Si on leur donne un horizon temporel de douze mois en disant pendant douze mois, il y a des efforts à consentir, mais aussi des moments où ça ira mieux, les gens s’ajustent. Si on leur dit « à Noël vous pourrez partir à l’étranger », et ce n’est pas possible, c’est pris comme une catastrophe. Il est important que les autorités ajustent leur discours au long terme et soient réalistes. Les gens s’adaptent et s’organisent autrement, et ne sont pas malheureux pour autant.

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