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Les aéroports de Liège et de Charleroi survivront-ils au dérèglement climatique ? «La préoccupation environnementale est dans leur ADN»

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Guidé par  le sens de l’urgence climatique, Philippe Henry (Ecolo), ministre wallon du Climat et de l’Energie, recommande d’engager les aéroports wallons sur la voie de la décroissance. Nicolas Thisquen, patron de la SOWAER, la Société wallonne des aéroports, juge ce signal peu compatible avec vingt ans d’une politique aéroportuaire wallonne qui élève l’environnement au rang de préoccupation.

Le ministre Philippe Henry ouvre une piste dans la croisade contre le changement climatique: imposer aux aéroports de Liège et de Charleroi de réduire la voilure. Nouveau plan de vol en perspective?

Je vois dans cette sortie médiatique un message peu clair qui me surprend. On a l’impression que la version actualisée du plan Air Climat Energie 2030 (NDLR: déposée par le ministre Henry sur la table du gouvernement wallon) ne tient pas du tout compte de la politique aéroportuaire extrêmement construite que porte depuis plus de vingt ans la Région wallonne et qui intègre parmi ses outils un modèle de mesure environnementale. La Sowaer n’a évidemment pas à s’immiscer dans une décision politique et l’exécutera loyalement, nous sommes des légalistes. Mais tout de même…

Faut-il y voir l’amorce d’un virage sur l’aile dans la politique aéroportuaire wallonne?

Cette prise de position est, en tout cas, en décrochage avec l’adoption par le gouvernement wallon, pas plus tard que fin avril dernier, d’une stratégie de gestion des nuisances sonores à long terme et d’un cahier des charges acoustique: mise à jour de l’enveloppe maximaliste du développement acoustique des aéroports et du plan d’exposition aux bruits. Il y a donc là deux messages qui ne collent pas. A ma connaissance, le transport et la logistique figurent toujours parmi les six pôles de développement économique retenus par la Région wallonne mais, en même temps, on fait passer le message qu’un aéroport, ça pollue. Je demande de la clarté, de la cohérence. Et que les choses soient claires: la Sowaer n’est pas le porte-voix du lobby aérien mais celui du gouvernement wallon, qui est notre seul actionnaire.

Faut-il accepter d’avoir injecté pour rien autant d’argent dans deux success stories, y compris environnementales?

Ce que le ministre Henry attend visiblement des deux aéroports wallons, ce n’est pas seulement qu’ils soient moins bruyants mais qu’ils s’adaptent aux effets du dérèglement climatique…

Pour chaque euro dépensé en Wallonie en infrastructures aéroportuaires, un euro l’est aussi en mesures d’accompagnement environnemental. Soit 500 millions d’euros mobilisés depuis plus de vingt ans. Faut-il donc jeter aux orties tout ce qui a été accompli, faut-il accepter d’avoir injecté pour rien autant d’argent dans deux success stories, y compris environnementales? La préoccupation environnementale a toujours fait partie de l’ADN des aéroports wallons, on ne s’en est jamais moqué et nous n’avons jamais fait preuve de cynisme dans sa prise en considération. Le développement durable, c’est plus que de l’environnement. Il est bon de rappeler que Liege Airport, c’est la transformation en un hub d’envergure mondiale du petit aéroport militaire de Bierset fermé en 2011, c’est le recyclage en un territoire civil d’une friche de 2 000 hectares qui n’était pas dépolluée. Si ça, ce n’est pas investir dans l’environnement…

Nicolas Thisquen, président du comité de direction de la Sowaer.
Nicolas Thisquen, président du comité de direction de la Sowaer. © belga image

Les enjeux se cumulent: économique, social, climatique. Où penche la balance?

La politique aéroportuaire wallonne a toujours eu cette vertu d’établir un équilibre entre ces trois composantes de la durabilité: ce n’est jamais le tout à l’économique ou au social ou à l’environnemental. Si je devais pointer un parent pauvre, je désignerais le volet social qui n’est toujours pas stabilisé dans le paysage wallon. On a racheté des maisons, rasé des quartiers, il a fallu reloger des gens, on a déconstruit des villages. Il y a là un passif qui reste à gérer, un tissu social à reconstruire.

Investir dans une politique aéroportuaire à l’heure du changement climatique reste un bon placement à moyen et long termes?

Oui, changer de cap serait une erreur à mes yeux. Il faut s’atteler simultanément aux trois priorités que nous avons fixées. Il faut restaurer la durabilité financière des aéroports en faisant en sorte que le modèle économique tienne la route, ce qui n’est pas encore gagné pour un secteur aérien qui a été frappé de plein fouet par la crise sanitaire. Il faut améliorer l’offre pour les utilisateurs et répondre aux demandes des passagers. Et il est nécessaire de remplir nos obligations internationales et climatiques: diminuer l’empreinte carbone, plus de digital, davantage d’intermodalité rail-avion-navigation fluviale-route.

Comment se conçoit un aéroport écologique?

En travaillant sur tout ce qui est certification. Le plus facile à réaliser, c’est l’activité au sol: le recours au photovoltaïque, l’emploi de chariots électriques pour les bagages, etc. On investit à fond dans le kérosène vert, le «sustainable aviation fuel», parce qu’on croit à l’émergence de cette filière même si nous évoluons encore dans ce qui paraît être de la science-fiction. Liege Airport est d’ailleurs engagé dans un projet de station à hydrogène (NDLR: Hayrport, avec le groupe John Cockerill) dans lequel le ministre Philippe Henry s’investit, soit dit en passant… Et non, ce n’est pas du pétrole déguisé! Il ne faut pas non plus sous-estimer l’évolution technologique, ne pas hésiter à faire la danse du ventre devant la mutation réellement bluffante vers les avions du futur, nettement moins polluants et recyclables. Au lieu de les laisser pourrir dans le désert de l’Arizona ou du Maroc, on s’occupera de démanteler les vieux zincs, ici en Wallonie, au travers d’une filière de recyclage intégral qui est en projet.

Le secteur des aéroports wallons évitera-t-il d’être la sidérurgie wallonne de demain?

Cette comparaison avec une industrie historique, sans doute déclinante mais qui a de beaux restes, est un peu facile. La Wallonie n’a pas d’accès à la mer, son port d’Anvers à elle, ce sont ses aéroports, il lui faut des hubs si elle veut s’inscrire dans un monde globalisé. Rien n’est jamais définitivement acquis, il faut se battre, avoir de l’ambition. Si l’ambition est de se passer d’un modèle aéroportuaire wallon dont on peut être fier, qui a vingt ans d’avance dans son secteur, qui est envié dans toute l’Europe, jalousé par les Flamands, alors…

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