On a beau dire. Nuancer. Recouper. La victoire de Donald Trump est incontestablement un bras d’honneur des peuples aux élites. C’est la seule lecture vraisemblable.
Certes, les millionnaires ont voté massivement pour leur collègue fortuné, ce milliardaire soi-disant anti-système et post-truth (après-vérité). Certes, les revenus inférieurs à 30.000 dollars bruts annuels davantage pour Hillary Clinton. Mais la cartographie des élections présidentielles américaines montre un pays central industrieux, victime des délocalisations, votant massivement contre les élites médiatiques de la côte Est (Congrès, New York Times, universités), les élites numériques (Silicon Valley) et artistiques (Hollywood) de la côte Ouest et les élites pétrolières de la côte Sud (Texas). Zones côtières où Hillary Clinton fait des scores bien meilleurs. Le centre « blanc » à Donald, les côtes « multiethniques » à Hillary : une dichotomie habituelle entre républicains et démocrates mais qui s’est aggravée.
Bien sûr le « peuple » et les « élites » sont avant tout des groupes d’individus sans existence propre. On ne peut utiliser ces concepts que pour les schématiser.
Cette réserve d’usage étant posée, on observe qu’en Europe aussi, peu nourris à la culture référendaire des Suisses, les peuples s’emparent de toutes les occasions possibles (Traité de Maastricht, Brexit, réforme de la Constitution italienne) pour exprimer leur colère. Ce n’est plus le sujet qui importe mais la personne qui pose la question (Cameron, Renzi).
Ce phénomène est la conséquence de décennies pendant lesquelles élites ont mené la population dans des directions opposées à ses aspirations qu’elle estime avoir aggravé ses conditions de vie.
L’euro tout d’abord. Très pratique pour voyager ou se protéger contre le risque de change. Mais une hérésie économique, la charrue avant les boeufs. Une monnaie est le thermomètre d’une économie, pas le reflet de 17 aussi diverses que la Grèce, la Belgique, l’Italie, l’Allemagne ou la France. Sosie du mark, l’euro a desservi les pays qui n’étaient pas arrimés à la monnaie allemande. Ce qui explique la relative santé économique de la Belgique accrochée au mark depuis au moins les gouvernements Martens-Gol. Après le constat amer d’une perte substantielle de pouvoir d’achat pour les produits de consommation courante, les peuples ont traversé en 2012, pendant près de deux ans, la fameuse crise de l’euro, se demandant s’il allait passer l’hiver. La confiance s’est altérée.
Elargissement à l’Est
L’élargissement à dix pays de l’Est avait achevé d’apeurer les peuples ouest-européens, craignant à juste titre le dumping social (le fameux « plombier polonais »). Cette concurrence déloyale est réelle et toujours de mise aujourd’hui, notamment dans la construction. « Certains travailleurs sont payés 2 à 3 euros de l’heure sur les chantiers », s’est plaint Brahim Hilami, secrétaire fédéral Centrale générale FGTB-Construction. « C’est une concurrence déloyale qui mène à des licenciements. Les travailleurs détachés ne paient pas leurs cotisations sociales en Belgique. » Merci M. Bolkenstein. Pour les élites européennes, il s’agissait de grossir le plus vite possible à 500 millions d’âmes pour peser face aux BRICS.
Les peuples s’emparent de toutes les occasions possibles (Traité de Maastricht, Brexit, réforme de la Constitution italienne) pour exprimer leur colère.
Les accords de Schengen signés dès 1985, mis en oeuvre plus tard ? Une belle idée pour la libre circulation des citoyens. Mais qui, elle aussi, s’est fracassée sur le principe de réalité : une Grèce aux 6.000 îles ou la Hongrie à peine remise du communisme qui se résout à construire un mur. La population, dans sa sagesse, avait bien versé une larme sur la disparition des douaniers aux frontières les trouvant somme toute efficaces. Mais bien sûr, les gens sont sots. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Aujourd’hui, on songe à un Schengen à double étage et les frontières nationales se sont remises en place progressivement. La possibilité, une fois admis par un membre de l’espace Schengen, de circuler dans le reste du dispositif sans entrave, s’est révélée également un casse-tête lors de la crise des réfugiés.
Cette fois, ce sont les élites patronales allemandes, à la peine devant les pénuries de main-d’oeuvre, qui ont profité du grand coeur d’Angela Merkel pour en appeler près de deux millions. À côté des familles fuyant réellement les combats et ayant tout perdu, le téléspectateur constate qu’une bonne partie des réfugiés sont des hommes de 18 à 30 ans, dont beaucoup viennent non de Syrie mais d’Afrique pour trouver chez nous des conditions de vie plus décentes. Comment les en blâmer ?
La gestion des migrants a été considérée à gauche comme à droite comme catastrophique. Les populations n’ont pas la mémoire si courte : 25 ans plus tôt, on nous promettait un multiculturalisme apaisé. Tout le monde admet aujourd’hui que l’immigration est avant tout un défi. Des civilisations très diverses ne s’entrecroisent pas sans difficulté de cohabitation. Les quelques lanceurs d’alerte (Daniel Ducarme…) furent rapidement réduits au silence. Plus récemment, l’affaire opposant l’Etat belge à une famille syrienne provoque dans l’opinion des réactions qui contrastent avec celles des juges, des parlementaires et des experts (On refait le monde, RTL-TVI, 8 décembre). Peur de l’appel d’air d’un côté, droits de l’Homme de l’autre.
Libre-échange
Le libre-échange avec la Chine et les émergents ? On nous promettait monts et merveille. Mais les ouvrières du textile et les petits blancs du Midwest voyaient eux leur job disparaître en Asie. Réciprocité ? Le Libre-échange, en principe, c’est échanger ce que l’on fait de mieux, selon la théorie économique classique. Or le consommateur n’a guère l’impression que les produits fabriqués en Chine sont d’une solidité à toute épreuve.
L’Europe ne peut évidemment s’exclure de la mondialisation. Un conflit commercial dur avec la Chine ferait disparaître des millions d’emplois en Europe comme aux USA. Mais la Commission européenne doit veiller à ce que la distribution internationale du travail s’exerce dans le respect mutuel. Paradoxe : les accords de libre-échange servent justement à cela…
Plus récemment, la révolution numérique, sans foi ni loi, a débouché sur des restructurations massives dans le secteur bancaire. Adieu, la destruction créatrice à la Schumpeter, voici qu’on annonce le remplacement rapide de l’homme par la machine.
Devant l’arrogance des élites (lire ‘Pourquoi les experts se trompent tout le temps’, Trends-Tendance), quoi d’étonnant que chaque fois que l’occasion s’en présente, la population exprime sa frustration par des votes en faveur des partis populistes ?
A moins d’en revenir au suffrage censitaire et capacitaire qui reconnaissait jadis aux seuls fortunés, magistrats, avocats, notaires, universitaires et officiers supérieurs le droit de vote, on voit mal un changement de tendance s’amorcer à court terme. Déjà Jean-Claude Junker supplie les dirigeants européens de renoncer aux référendums… Supprimer le symptôme au lieu de soigner la maladie…
Sommes-nous revenus dans les années 30 ? Découvrez les similitudes et les différences dans le dernier roman historique de Nicolas de Pape, Le Secret d’Eva Braun.
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