Stéphan Jourdain. © Belga

Le parquet réclame 20 millions à Stéphan Jourdain

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Faux et usage de faux, détournements, abus de biens sociaux… L’homme d’affaires Stéphan Jourdain, fondateur du Cercle de Lorraine et ex-propriétaire des Jardins d’Annevoie, est cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, a appris Le Vif/L’Express.

Ce n’est pas la première fois que la justice s’intéresse aux activités de Stéphan Jourdain. Mais la citation directe du parquet de Bruxelles qui le vise en qualité de prévenu, depuis ce mois d’octobre, ajoute assurément un épisode sans précédent au parcours de l’homme d’affaires bruxellois de 57 ans. Les faits qui lui sont reprochés s’étendent sur plus de 18 années, « sans interruption durant plus de cinq ans », comme le confirment les informations recueillies par Le Vif/L’Express. Ils portent en grande partie sur l’échiquier d’asbl et de sociétés via lesquelles Jourdain aurait organisé ses activités ces dernières années : du Cercle de Lorraine, dont il est le fondateur, jusqu’aux Jardins d’Annevoie, en passant par sa reprise éclair et très controversée des Laminoirs de Longtain en 2015.

Faux et usage de faux, infractions liées à l’état de faillite, abus de biens sociaux et abus de confiance… Le montant du préjudice, tel que chiffré par la citation du parquet, atteindrait plus de 19,9 millions d’euros. Si certains faits sont passibles de peines criminelles, le substitut du procureur du Roi Thibaut Radar, spécialisé dans les matières fiscales, requiert une peine correctionnelle, en l’absence de condamnations antérieures du même ordre pour des faits similaires. Le Vif/L’Express n’a pas pu prendre connaissance de la date de comparution de Stéphan Jourdain devant le tribunal correctionnel de Bruxelles.

Du philanthropique au lucratif

Les premiers faux énumérés portent sur les statuts de quatre associations entre 1998 et 2010 : les asbl Cercle de Lorraine, Cercles et Clubs, Annevoie Lorraine et Cercle de Lorraine – Club van Lotharingen. Le parquet reproche à Jourdain d’avoir dissimulé « sous une fausse apparence philanthropique des activités à vocation principalement voire exclusivement lucrative » et d’avoir profité « indûment des avantages qu’offre ce mode de structure sociale ». Il épingle en outre un « protocole d’accord » établi le 1er mars 1998 entre le prévenu et deux autres fondateurs de la première asbl. Ce document consacre la cession, pour un franc, de la dénomination « Cercle de Lorraine » à l’asbl. Dans les faits, il permet surtout à Stéphan Jourdain de racheter l’élément au même prix… Tout en percevant une rémunération de 25 % du résultat positif d’exploitation s’il en concède l’usage. Cette manoeuvre, illicite d’après le substitut du procureur, ne serait « qu’un habillage permettant au prévenu d’assurer sa mainmise sur le Cercle de Lorraine ».

Une mainmise accréditée, en septembre 2015, par le putsch orchestré contre Baudouin Velge, qui avait repris la présidence du Cercle depuis le départ de Stéphan Jourdain en juin 2014. Ce dernier dénonçait la gestion désastreuse du club d’affaires de la part de son successeur. Baudouin Velge, de son côté, accusait son prédécesseur d’avoir occulté la situation réelle des finances du Cercle, plombées entre autres par une régularisation au fisc de 385 000 euros et par une ardoise de 600 000 euros à la suite des travaux réalisés sans permis de bâtir. Avant que Jourdain porte plainte pour calomnie et diffamation à son encontre. Ambiance…

Le fondateur du Cercle de Lorraine aurait finalement renoncé à exercer son « droit supposé » du protocole d’accord, en contrepartie d’une « indemnité » d’un million d’euros actée le 27 juin 2014, sous couvert de la SA Vieux Waleffe. Une société notamment au centre de la brève acquisition, en mars 2015, des Laminoirs de Longtain, aux côtés de la Société wallonne de gestion et de participations (Sogepa), l’un des bras financiers de la Région wallonne. Début 2016, des anciens travailleurs de Longtain avaient déposé plainte au parquet de Charleroi pour faux et usage de faux, fraude sociale, abus de confiance et corruption de la part de Jourdain. Des accusations qu’il avait fermement démenties.

L’homme est également poursuivi pour des infractions liées à l’état de faillite d’une sprl, Fond’Roy Exploitation, dont il aurait « détourné ou dissimulé une partie de l’actif » (3,9 millions d’euros) vers la SA Cercle de Lorraine en janvier 2011, où il siège en tant qu’administrateur délégué aux côtés de son épouse. Il lui est par ailleurs reproché d’avoir « omis » de déclarer la faillite de Fond’Roy Exploitation au 1er février 2011, alors que son insolvabilité était connue depuis le 31 décembre 2010 au minimum.

Le carrousel des créances

Le préjudice global proviendrait, pour 10,6 millions d’euros, d’un glissement de créances ou de capitaux entre trois structures en liquidation (Fond’Roy Exploitation, les asbl Prince d’Orange et Les Jardins d’Annevoie) et la SA Compagnie Fond’Roy, dont Stéphan Jourdain serait devenu, sans coût, l’unique actionnaire. De 2004 à 2014, l’homme d’affaires aurait en outre effectué « de nombreux prélèvements (principalement affectés au paiement de dépenses privées du prévenu) » d’un montant total de 2,2 millions d’euros, au détriment de douze sociétés dont il a la responsabilité.

Enfin, il est soupçonné d’avoir organisé l’insolvabilité de l’asbl Cercle de Lorraine, à l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire. Le 15 novembre 2005, Jourdain y faisait conjointement adopter sa dissolution au 31 décembre 2005, l’arrêt de l’exploitation du Cercle de Lorraine et, surtout, « l’apport gratuit des actifs incorporels liés au Cercle de Lorraine à une nouvelle entité constituée le même jour », l’asbl Cercles et Clubs. L’administration fiscale avait pourtant sollicité, auprès de l’asbl Cercle de Lorraine, une rectification de 4,1 millions d’euros à l’impôt des personnes morales, avance le parquet.

En 2009, le tribunal correctionnel de Dinant avait condamné l’homme d’affaires à remettre en état les Jardins d’Annevoie, après des travaux illicites, ainsi qu’à une amende de 13 750 euros. Un an plus tard, devant le tribunal correctionnel de Namur, les préventions liées à une affaire de fausses factures au Cercle de Lorraine avaient abouti à une simple déclaration de culpabilité, en raison du dépassement du délai raisonnable – les faits remontaient à 1998. La justice dispose-t-elle encore d’autres munitions ?

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