Marie-Eve Lapy-Tries

Le droit à une enfance

Maman de trois jeunes enfants, j’ai appris comme tout le monde dans la presse que des associations de parents, dont la Ligue des familles, réclamaient de porter le temps d’école jusque 17 h, voire 19 h.

Je ne me sens pas du tout représentée par ces associations de parents et souhaiterais faire entendre la voix des autres parents, ceux pour qui une relation personnelle avec leur enfant est importante.

Nous connaissons tous, nous les parents, la difficulté de concilier notre vie professionnelle avec notre vie de famille. En tant que travailleur, il est évidemment plus facile de ne pas avoir de contraintes horaires ou d’enfants qui sortent à 15 h 30 de l’école. C’est effectivement compliqué à gérer. Mais il existe bien d’autres solutions bien moins contraignantes pour se faire et résoudre les problèmes pointés par les associations de parents.

Les associations de parents pointent le fait que les devoirs seraient faits à l’école. Tout d’abord, rappelons qu’il existe des écoles qui ne donnent pas de devoirs aux enfants. La surenchère de travail scolaire est souvent réclamée par certains parents, mais n’est pas un gage de qualité de l’école. Ensuite, s’il existe des budgets pour allonger le temps scolaire, pourquoi ne pas proposer, après l’école, une étude surveillée facultative, mais gratuite ?

Les associations de parents pointent la lutte contre les inégalités. Je ne vois pas comment l’allongement du temps scolaire répondrait à ce problème. Par contre, s’il existe des budgets pour allonger le temps scolaire, pourquoi ne pas, plutôt, financer une école qui serait réellement gratuite, l’intégration de certains types d’enseignement spécialisé dans la filière classique ainsi que des remédiations intégrées directement au temps de classe, comme cela se fait en Finlande ?

Les associations de parents pointent l’accès aux activités parascolaires, qui pourraient se donner sur le temps de midi. Tout d’abord, les activités extrascolaires ont ceci de particulier qu’elles se font en dehors de l’école avec une infrastructure adaptée : terrain de foot, salle de danse, salle de musique… Ensuite, le décret ATL visait déjà un accompagnement de qualité du temps extra-scolaire : nous avons déjà un outil. Pourquoi ne pas l’utiliser ? De plus, quid de la liberté de l’enfant de choisir ce qui lui plaît le plus, ou de ne pas faire du tout d’activités s’il préfère lire dans son coin ? Enfin, s’il existe un budget pour allonger le temps scolaire, pourquoi ne pas le consacrer à une garderie de qualité, et des parascolaires facultatifs, mais gratuits pour les enfants dont les parents choisissent de les laisser à l’école ou sont dans l’obligation de le faire ?

Bref, si je suis la première à soutenir une revendication de garderie gratuite, de parascolaires gratuits, d’étude surveillée et personnalisée ou de prévention « à la source » de l’échec scolaire, je refuse l’allongement du temps scolaire pour les raisons suivantes

  • Les parents sont par priorité responsables de l’éducation de leurs enfants. Pour cela, il faut leur laisser exercer cette responsabilité. Pour certains parents, cela passe par le choix d’une relation de qualité qui ne s’établit pas en une demi-heure au moment du rush bain-souper-dodo. Eduquer, cela prend du temps.
  • Adapter les enfants au travail des parents, ce serait encore dire qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme marchand. L’enfant n’a pas à s’adapter à l’entreprise. L’enfant a droit à sa vie d’enfant. Pourquoi ces parents qui disent ne pas avoir le choix ne réclament-ils pas plutôt une réduction du temps de travail pour passer plus de temps en famille, mais préfèrent-ils réclamer qu’on garde leur enfant plus longtemps en classe ? C’est symptomatique de notre temps !
  • L’école est faite pour instruire les enfants, pas pour les garder quand les parents travaillent. C’est une insulte au travail des instituteurs de leur imposer d’énormes journées au détriment des préparations, donc de la qualité des cours qu’ils donnent. Etre attentif au bien-être au travail de nos enseignants, c’est aussi bon pour nos enfants !
  • Certains enfants supportent mal la collectivité ou sont harcelés à l’école. Plusieurs suicides d’enfant ont d’ailleurs été rapportés ces derniers temps dans la presse. Pour ces enfants-là, l’allongement du temps scolaire, c’est l’enfer qui se prolonge. D’ailleurs, s’il existe des budgets pour allonger le temps scolaire, pourquoi ne pas réduire le nombre d’élèves par classe et prévenir le harcèlement ?
  • Je ne cache pas ma crainte d’un certain embrigadement. L’école, aussi bonne soit-elle, ne donne qu’un point de vue sur le monde. Il est important que mes enfants puissent voir d’autres sortes de gens que ceux qu’ils fréquentent à l’école, à commencer par côtoyer d’autres adultes et des personnes âgées. Nous ne sommes pas, nous parents, toujours d’accord avec ce qui se passe à l’école, et transmettons d’autres valeurs quand nous sommes avec nos enfants. Par exemple, j’ai lu avec effroi hier que la ministre de l’Enseignement propose une camisole de force pour les enfants difficiles. Pour moi qui suis strictement non-violente, cela s’apparente à de la maltraitance. J’ai heureusement confiance dans le fait que l’école de mes enfants ne pratiquera pas cela, mais en allongeant le temps scolaire, nous aurons encore moins de prise sur ces choses qui contreviennent gravement à nos valeurs. L’allongement du temps en collectivité est d’ailleurs souvent observé dans les pays dictatoriaux.
  • Pour finir, ce n’est pas très à la mode de dire qu’on aime passer du temps avec ses enfants et qu’on n’a pas très envie de s’en débarrasser. Ca fait mère ou papa poule et les psys n’aiment pas. Pourtant, c’est mon expérience et celle d’une multitude d’autres parents. Je pense que ce temps paisible passé ensemble est aussi important pour leur éducation que l’instruction en classe.

En conclusion, s’il existe des budgets pour allonger le temps scolaire, je vois beaucoup d’autres utilisations plus judicieuses pour cet argent. Je demande donc que tous les parents soient entendus, même ceux qui sont contents des horaires de cours actuels et donc, crient moins fort que les autres.

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