A Gouvy, en province de Luxembourg, Idelux a réussi la reconversion d'un site désaffecté de l'Otan en parc d'activité économique, sur une superficie totale de trente hectares. © DR

Le difficile « stop béton » des parcs économiques

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le nécessaire ralentissement de l’artificialisation des sols risque-t-il de freiner le développement économique de la Wallonie? Si les parcs d’activité économique deviennent plus durables, le recours au neuf reste trop systématique, jugent les experts. Alors que l’offre de seconde main, elle, n’est pas suffisamment exploitée.

Ils ne couvrent qu’un petit pour cent du territoire wallon. Depuis 1985, les parcs d’activité économique ne grappillent certes que 1,5 km2 par an, selon les données de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). C’est beaucoup moins que les 10,7 km2 par an utilisés pour construire de nouveaux logements. Mais ils contribuent eux aussi à l’artificialisation perpétuelle des sols, principalement au détriment des surfaces agricoles. Bien qu’en partie inévitables, étant donné les niveaux record de précipitations, les inondations sans précédent de juillet ont remis cette problématique au-devant de la scène. Peu de temps après, le gouvernement wallon a d’ailleurs fait part de sa volonté d’accélérer sa politique du « stop béton » en 2050, qui prévoit une diminution progressive de la consommation de terres non artificialisées, jusqu’à l’arrêter à cette échéance.

Pendant longtemps, et cela continue aujourd’hui, on a sans doute surévalué le rôle des parcs d’activité dans le développement économique wallon.

Cette artificialisation pose un triple problème. Elle accroît le risque d’inondations et le coût des infrastructures nécessaires pour les limiter. Elle aggrave les problèmes de mobilité, singulièrement quand elle se développe en bandeau le long des voiries ou dans une rase campagne nécessitant l’usage de la voiture. Et elle menace l’autonomie alimentaire, puisque les superficies agricoles wallonnes ont perdu 596 km2 entre 1985 et 2020, toujours selon l’Iweps, tandis que la population augmente. Il devient urgent, dès lors, d’exploiter davantage le bâti existant, mais aussi de densifier les lieux de vie ou de travail actuels, là où c’est possible.

La gestion plus parcimonieuse des sols entrera-t-elle en conflit avec le développement économique du sud du pays? A court terme, probablement pas. Les huit intercommunales de développement économique (une par province wallonne, hormis dans le Hainaut, subdivisé en trois sous-régions) ont encore bon nombre de projets de parcs ou d’extension dans les cartons, tout comme d’autres opérateurs. Après avoir été souvent confrontées à des niveaux de saturation frôlant les 100% dans le courant des années 2000, elles disposent désormais de réserves foncières pour plusieurs années, bien qu’inégales dans leur répartition géographique. « Si la Wallonie manque de très grands terrains, la plupart des entreprises ont aujourd’hui la possibilité d’en trouver un en parc d’activité économique, constate Samuël Saelens, directeur du pôle Compétences et expert en aménagement du territoire à l’Union wallonne des entreprises (UWE). Mais à l’avenir, il sera crucial de concilier la fin de l’artificialisation et la place que requiert l’activité économique. »

Le règne des parcs remis en cause

Depuis plusieurs années, la Conférence permanente du développement territorial (CPDT), à laquelle contribue le centre de recherche Lepur de l’ULiège, évalue les besoins de la Wallonie en parcs d’activité économique et émet des recommandations pour un usage raisonné des sols. Si le déploiement de tels parcs s’avère nécessaire, le développement économique serait toutefois loin d’être corrélé à la disponibilité de terrains pour accueillir des entreprises. C’est l’un des enseignements d’une thèse menée par Marie-Caroline Vandermeer en 2016, sous la direction de Jean-Marie Halleux, professeur de géographie économique à l’ULiège. « Pendant longtemps, et cela continue aujourd’hui, on a surévalué le rôle des parcs d’activité dans le développement économique, relève-t-il. Il est frappant de voir à quel point ce sujet de la disponibilité foncière est sans cesse mis en avant par le monde du développement économique wallon. Or, quand on consulte la littérature scientifique, le prix des terrains dans les parcs d’activité n’y apparaît pas comme un facteur de développement économique. Pour une raison assez simple: pour la plupart des entreprises, les coûts d’un terrain et d’un bâtiment sont faibles par rapport à d’autres, notamment ceux du travail. »

Les exemples de parcs misant sur la mitoyenneté sont peu nombreux. C'est toutefois ce qu'a réalisé la SPI en 2008, en rénovant le quartier Saint-Léonard (Liège), sur le site Pieper.
Les exemples de parcs misant sur la mitoyenneté sont peu nombreux. C’est toutefois ce qu’a réalisé la SPI en 2008, en rénovant le quartier Saint-Léonard (Liège), sur le site Pieper.© BELGA IMAGE

Pour les administrateurs de parcs, il convient plus que jamais d’intégrer la gestion raisonnée du territoire aux sites existants et futurs. A cet égard, la densité moyenne d’emplois dans les zonings wallons (17 par hectare) s’avère par exemple bien plus faible qu’aux Pays-Bas (46 par hectare), selon une étude menée en 2010 par Jean-Marc Lambotte, coordinateur scientifique du centre Lepur. Toutefois, cette donnée dépend grandement des secteurs d’activité, certains nécessitant beaucoup plus d’emprise au sol que d’autres. « Il ne faudrait pas qu’une approche basée uniquement sur la densification des emplois par hectare mène à une situation ubuesque, où l’on encouragerait pour cette raison des entreprises susceptibles de s’installer en ville à migrer vers les parcs d’activité », ajoute Samuël Saelens.

En Wallonie, on n’arrive pas suffisamment à faire le lien entre l’offre et la demande sur le marché de seconde main, là où Bruxelles y parvient avec sa base de données Inventimmo.

La marge de progression des parcs ou de leur extension serait encore importante. « Les intercommunales de développement économique semblent dorénavant soucieuses d’une gestion plus parcimonieuse du sol, à des degrés variables, déclare Jean-Marc Lambotte. Elles y sont d’ailleurs contraintes, puisqu’elles doivent justifier les révisions de plans de secteur nécessaires pour obtenir les terrains. Elles savent aussi qu’il faut faire du développement durable. Mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elles sont toutes conscientes du fait qu’il faut tendre vers le « stop béton ». Précisément parce que leur mode de financement repose en partie sur la plus-value liée à la vente de nouveaux terrains. Pour certaines, cela ne représente pas grand-chose. D’autres, en revanche, ne font pratiquement que ce métier-là. »

Vers les parcs de nouvelle génération

En province de Luxembourg, les 51 parcs d’activité économique gérés par Idelux procurent 12 500 emplois directs et constituent une superficie brute totale de 1 672 hectares. « Cette surface ne représente que 0,38% du territoire provincial« , souligne Georges Cottin, conseiller général d’Idelux. D’ici à 2040, l’intercommunale prévoit d’ajouter de nouveaux parcs ou des extensions pour une superficie brute supplémentaire de 265 hectares. « Notre objectif est de privilégier la reconversion de zones désaffectées, l’extension de parcs existants et enfin, de réfléchir à la création de quelques grands parcs, afin d’avoir une masse critique nécessaire pour y développer des équipements de très haut niveau », énumère Fabian Collard, le directeur général d’Idelux. Fin 2020, l’intercommunale a en outre adopté un « référentiel du parc d’activité de nouvelle génération », où figurent entre autres des critères de durabilité, d’inclusion de la biodiversité ou encore de participation citoyenne. De son côté, la Wallonie picarde dispose de peu de zones industrielles à reconvertir. « L’analyse de l’aménagement du territoire témoigne qu’il n’est plus possible d’envisager l’équipement de parcs d’activité de grande taille, indique Dominique De Vos, directrice des équipements économiques chez Ideta. Nous devons donc dépasser le cadre de nos parcs structurants pour étudier l’extension des anciens et l’aménagement de parcs plus petits ou plus accessibles aux noyaux d’habitat ruraux. Par ailleurs, nous mettons un point d’honneur à ce que nos parcs soient accessibles en mobilité douce. »

La réhabilitation du Val Benoît, à l'entrée de Liège, constitue un bel exemple de reconversion avec une mixité de fonctions, tout en misant sur une gestion parcimonieuse des sols.
La réhabilitation du Val Benoît, à l’entrée de Liège, constitue un bel exemple de reconversion avec une mixité de fonctions, tout en misant sur une gestion parcimonieuse des sols.© MIYSIS

Ces deux exemples illustrent les réponses que les intercommunales apportent face aux enjeux liés au territoire, à la mobilité ou à l’environnement. Mais de nombreux obstacles demeurent. Ces dernières années, le différentiel entre la superficie brute des parcs et la surface nette commercialisable augmente, comme le signale une expertise réalisée en 2017 par le centre de recherche Lepur, toujours dans le cadre de la CPDT. Le taux de perte, à savoir la part de superficies non valorisables, s’élève désormais à 15,48%, là où l’expertise de 2007 l’estimait à 12%. Les raisons sont nombreuses: diminution de la taille moyenne des parcelles vendues, aménagement de bassins d’orage naturels plus étendus, nécessité de concevoir des voiries plus larges qu’auparavant (pour le charroi de camions et les critères de mobilité douce)…

Notre objectif est de privilégier la reconversion de zones désaffectées et l’extension de parcs existants.

Dans une précédente étude, le centre Lepur avait émis douze recommandations pour un usage plus parcimonieux des sols dans les parcs d’activité, en encourageant par exemple les possibilités de mitoyenneté, en diminuant les règles de recul des bâtiments, en limitant les terrains réservés pour des extensions d’activités, souvent surévaluées ces dernières décennies. Plus de dix ans plus tard, ces recommandations restent tout autant d’actualité et s’avèrent encore trop rarement transposées dans les projets de parcs, si ce n’est ce dernier point, observent les experts.

Recycler le bâti existant

Des experts qui notent un autre enjeu majeur: comment mieux valoriser l’offre de bâtiments de seconde main, pour orienter les entreprises vers ces espaces disponibles? « Pour de nombreuses raisons, il n’est pas facile de densifier les parcs d’activité, poursuit Jean-Marc Lambotte. C’est bien pour cela qu’il faut essentiellement viser à recycler le bâti existant. En Wallonie, on n’arrive pas suffisamment à faire le lien entre l’offre et la demande sur le marché de seconde main, là où Bruxelles y parvient avec sa base de données Inventimmo. A l’heure actuelle, beaucoup d’entreprises se tournent vers les intercommunales quand elles cherchent un terrain, et celles-ci ont trop rapidement tendance à proposer du neuf. »

Bien sûr, de nombreux sites délaissés ne sont plus aptes à accueillir en l’état de l’activité économique. « Selon une étude réalisée par Immoquest (NDLR: un agence immobilière liégeoise), sur un stock de bâtiments logistiques et semi-industriels de huit millions de m2 en Wallonie, un million de m2 est non conforme aux nouvelles tendances européennes de durabilité et de sécurité, pointe un rapport de l’UWE. La démolition de ce vieux bâti pourrait potentiellement libérer un million de m2 de terrains pour de nouvelles constructions. »

Dans les faits, les préceptes de l’aménagement du territoire du XXIe siècle s’exposeront d’autant plus à un autre obstacle, déjà perceptible depuis de nombreuses années, à savoir la cohabitation souvent délicate entre l’activité économique et les zones résidentielles. Dans ce contexte, les critères de participation citoyenne apparaissent tout aussi urgents que la nécessité désormais incontestée de mettre progressivement fin à la bétonisation du sol wallon.

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