Pascal De Sutter

La société de la mort interdite

Pascal De Sutter Psychologue politique à l'UCL

L’accident de Michael Schumacher a fait la une de tous les médias pendant plusieurs jours. Que ses proches soient émus et affligés me paraît parfaitement légitime et compréhensible. Ce qui me semble plus étonnant, ce sont tous ces gens qui paraissent atterrés par ce qui est arrivé. Je le comprendrais s’il s’agissait d’un enfant en pleine santé foudroyé par le malheur. Mais nous parlons d’un homme qui a consacré sa vie à prendre des risques, à taquiner la mort et à se mettre continuellement en danger.

Et quand la chance le quitte lors d’un stupide accident (mais y a-t-il des accidents intelligents ?), tout le monde semble surpris.

Nous vivons en Occident dans une étrange société où l’on voudrait que les gens ne meurent plus. Même ceux qui choisissent volontairement le danger. Les soldats doivent aller au combat sans se faire tuer, les reporters de guerre ne peuvent pas mourir et les pilotes de courses doivent sortir indemnes de tous les accidents.

D’ailleurs, à chaque fois qu’une personne dans la force de l’âge meurt, on exige une enquête pour trouver un responsable. Comme si c’était « anormal » de mourir. Il n’y a plus que les vieux qui ont la permission de mourir. Et encore, dans la plupart des pays Occidentaux, on leur dénie ce droit (1) : ils peuvent mourir mais le plus tard possible. Proprement et discrètement, s’il y a moyen. De préférence seuls dans une maison de retraite. On n’expose plus leur corps car il faut cacher cette mort. Comme quelque chose de honteux, d’indécent. On bâcle un petit cérémonial rapide et on les brûle (2) vite fait, pour ne pas encombrer les cimetières (et devoir penser apporter des fleurs à la Toussaint).

Or, comme me le confie la psychologue spécialiste du deuil, Emmanuelle Zech (3), les rites sont importants. En organisant un cérémonial d’enterrement approprié, on rassemble un groupe social et familial qui peut offrir du support aux proches du défunt. Il ne faut certainement pas forcer une personne à voir le cadavre d’un proche mais il n’est pas approprié non plus de l’en empêcher, s’il en exprime la demande. Chaque individu possède sa propre capacité de résilience. Et ses propres façons de traverser un deuil. Mais cacher ou nier l’existence de la mort ne prépare pas à cette réalité.

Le professeur Zech exprime aussi le paradoxe de notre société où les enfants (et les adultes) voient chaque jour à la télévision de vrais cadavres ou dans les films des morts « virtuelles » très réalistes. Et en même temps, on a tendance à leur cacher la personne proche quand elle décède.

Savoir que nous allons tous mourir devrait nous permettre de recevoir avec encore plus de joie, de bonheur et de plaisir tous les cadeaux de la Vie. La souffrance psychologique vient du refus, du rejet et de la négation de la mort. Ce n’est pas en refusant la réalité de notre mortalité que l’on peut l’empêcher. C’est en prenant la pleine conscience de notre finitude que nous pouvons mieux vivre notre présent. C’est en acceptant que les humains meurent que l’on peut apprendre à mieux les aimer. Gandhi disait : « Vis comme si tu devais mourir demain. Apprends comme si tu devais vivre toujours ». Voilà ce que je vous souhaite pour 2014. Penser à la mort de temps à autre, pour mieux se réjouir de la vie et mieux savourer la présence de ceux et celles que vous aimez. Mais rien ne vous oblige à penser comme moi…

(1) Seuls, la Belgique et les Pays-Bas ont légalisé l’euthanasie.

Pascal De Sutter, psychologue politique

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