Michael Verbauwhede

La SNCB du 21e siècle sera une entreprise publique et moderne

Michael Verbauwhede Député PTB au Parlement Francophone Bruxellois

Selon le ministre Van Overtveldt (NVA), le gouvernement réfléchit à une privatisation d’entreprises publiques, et notamment de la SNCB. Pourtant, il n’existe aucun argument rationnel pour privatiser le rail.

Jordon Cox, un adolescent anglais, devait se rendre de Sheffiel à Essex. Après une rapide comparaison de prix, il a pris… l’avion via Berlin : le vol lui coutait 16% moins cher que le train. Bienvenue en Grande-Bretagne, le pays où les chemins de fer ont été totalement privatisés en 1995.

Selon le ministre Van Overtveldt (NVA), le gouvernement réfléchit à une privatisation d’entreprises publiques, et notamment de la SNCB. Pourtant, il n’existe aucun argument rationnel pour privatiser le rail. Tous les exemples de pays étrangers montrent justement à quel point cette idée peut avoir des conséquences catastrophiques. Le seul objectif d’une compagnie ferroviaire privée est de faire du profit. Du profit sur le dos des usagers, du profit sur le dos des travailleurs, du profit sur le dos du climat. Ce n’est donc pas un hasard si 60% des Britanniques soutiennent une renationalisation du rail. Et que mondialement la page des privatisations de services publics est tournée : on voit apparaitre un large mouvement de renationalisations. Les économies annoncées ne sont pas au rendez-vous, les services deviennent de plus en plus coûteux: la privatisation semble loin d’être le Saint-Graal.

Une SNCB privatisée : plus chère pour les usagers, jackpot pour les actionnaires

Un argument souvent utilisé par les défenseurs des privatisations est que ces dernières permettent des économies budgétaires. Jetons un oeil à l’exemple britannique. Un rapport anglais de 2013 (« The Great Train Robbery ») indique que les dépenses publiques pour le rail sont six fois plus élevées (en termes réels, donc après annulation de l’inflation) qu’elles ne l’étaient au début de la privatisation au milieu des années ’90.

Un rapport de mars 2015 calcule pour sa part que la renationalisation de 11 lignes dont les licences arrivent à échéance permettrait une économie pour l’Etat de 602 millions de Livres en cinq ans.

Une autre leçon intéressante nous vient des Pays-Ba où a éclaté le scandale lié au train FYRA, du nom de ce train à haute vitesse acheté par la NS (société de chemins de fer néerlandaise) et la SNCB pour relier Amsterdam à Bruxelles. Ce train n’aura roulé que… 14 jours ! Dans le cadre de l’enquête parlementaire qui a suivi la débâcle FYRA (qui a pris une ampleur de scandale national aux Pays-Bas), l’ex-président de la NS (Jan Timmer) a affirmé que la mère de tous les malheurs dans ce scandale était la privatisation de la NS. En 2001, la NS a mis 178 millions d’euros sur la table pour obtenir de l’Etat hollandais l’exploitation de la ligne Amsterdam-Bruxelles. Cette somme importante a provoqué des problèmes financiers pour la filiale de la NS chargée d’exploiter la ligne (HSA). En manque d’argent, la société a acheté un train moins cher (le FYRA) qui n’était pas adapté aux infrastructures. Le coût pour la NS et la collectivité se chiffre en centaines de millions d’euros. Van Overtveldt croit-il vraiment pouvoir baisser la dette publique avec la privatisation de la SNCB?

Et pour le passager (entretenu devenu « client » ?). Toute personne ayant déjà pris le train en Grande-Bretagne en témoignera : les tarifs y sont beaucoup plus élevés et kafkaïens. Une analyse de Action for Rail (une campagne qui plaide pour renationaliser le rail) démontre que l’abonnement mensuel entre Brighton et Londres engloutit en moyenne 17% du salaire du navetteur britannique. Pour un trajet similaire, le montant est de 9% pour un usager allemand et seulement 6% pour un collègue italien.

Si ce ne sont ni les usagers, ni la collectivité, qui a donc intérêt à la privatisation du rail ? Alors que le gouvernement britannique injecte des milliards de Livres pour subsidier les compagnies ferroviaires privées, celles-ci ont, rien qu’en 2013, distribué 200 millions de Livres de dividendes à leurs actionnaires (selon The Guardian). Entre 2007 et 2011, les 5 plus grandes compagnies ferroviaires privées ont reçu 5 milliards de Livres de subsides, dont 466 millions de Livres ont été versées aux actionnaires.

La privatisation prépare de nouveaux Buizingen

La privatisation est un grand danger pour la sécurité. Au Royaume-Uni, il y a eu 1.800 accidents de train (de toutes tailles) entre 1996 et 2000 (la privatisation a eu lieu en 1995). C’est cinq fois plus qu’en France pour la même période. Après de graves accidents de train qui ont coûté la vie à des dizaines de personnes, la Grande-Bretagne a décidé de renationaliser en partie les chemins de fer.

Le même scenario s’est déroulé en Argentine. Le pays vient récemment de renationaliser son transport ferroviaire. Un élément déterminant dans cette décision a été la multiplication des accidents, notamment l’accident ferroviaire de Buenos Aires en 2012, dans lequel 51 personnes sont décédées. Le leader syndical Roberto Nunez avait ainsi critiqué l’entreprise privée Trenes de Buenos Aires (TBA) pour ses « irrégularités et ses défaillances » sur la ligne de banlieue Sarmiento sur laquelle l’accident a eu lieu. TBA a admis n’avoir dépensé que 12 % de son budget pour l’entretien du matériel. TBA a ainsi acheté du vieux matériel hors d’usage dans d’autres pays.

Les compagnies ferroviaires privées détruisent l’environnement

En Angleterre, des trains au diesel roulent encore sur des lignes importantes. Ce n’est plus le cas chez nous. Quand la logique de marché doit choisir entre le profit et un air non pollué, le choix est vite fait.

La vague de libéralisation et de privatisation a aussi touché le transport de marchandises par train. Les compagnies ferroviaires sont maintenant en concurrence entre elles, mais aussi avec la route et les camions. Les parts de marché du transport de marchandises par rail ont baissé au profit… des camions. Tout cela sur le dos de l’environnement car les camions sont largement plus polluants.

La SNCB du 21e siècle sera une entreprise publique moderne

Les privatisations rendent le service moins performant, augmentent les prix, et réduisent l’offre. Au lieu d’épargner sur les transports publics pour les abandonner ensuite au marché, nous devons au contraire y investir pour les développer. Nous avons besoin d’une SNCB du 21e siècle. Une entreprise publique et moderne qui répondra aux deux enjeux de notre temps: la mobilité d’un côté, et le défi climatique et environnemental de l’autre. Le rail dispose d’énormes atouts en comparaison avec d’autres modes de transport de passagers et de marchandises beaucoup plus polluants et onéreux. Le développement de transports publics performants est essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique. Au lieu de détruire ce fantastique moyen de transport et d’abandonner les voyageurs à leur sort, nous ferions mieux d’investir dans notre société de chemin de fer et lui donner la place qu’elle mérite dans notre société.

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