Woluwe-Saint-Pierre, la commune de Benoît Cerexhe (ici, avec Rudi Vervoort), est la seule à avoir donné le nombre total de procurations. © HATIM KAGHAT/BELGAIMAGE

La quasi-absence de transparence des procurations électorales à Bruxelles

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le contrôle journalistique et citoyen des procurations électorales est impossible à Bruxelles. Un constat interpellant de l’association Transparencia.

A la suite de l’affaire Dimitri Fourny (CDH) à Neufchâteau, la question des procurations électorales – surtout à l’approche du scrutin du 26 mai prochain – est devenue brûlante. Le député-bourgmestre inculpé a insinué que les fraudes en matière de procurations étaient légion ailleurs… Cette stratégie de défense classique n’est pas très honorable. Cela dit, le système des procurations suscite des interrogations. Quelle influence les procurations ont-elles sur le résultat final des votes ? Les règles en la matière sont-elles bien respectées ?

Au lendemain des élections communales du 14 octobre dernier, bien avant que n’éclate le scandale Fourny, l’association Transparencia, qui agit pour un meilleur accès aux informations détenues par les autorités publiques, a interrogé à ce sujet les 19 communes bruxelloises. Elle leur a demandé de lui fournir, pour chaque bureau électoral, le nombre de votes émis par procuration, ainsi que la liste des personnes mandataires de ces procurations (celles qui vont voter à la place de…). Et s’est enquise de savoir s’il a été constaté que des personnes avaient voté avec plusieurs procurations, ce qui serait contraire au code électoral qui ne permet qu’une seule procuration par mandataire.

On n’est jamais au bout de ses surprises en matière de transparence à Bruxelles : les différents baromètres  » Brussels-Papers  » que Le Vif/L’Express a publiés depuis 2017 l’ont déjà démontré. On s’attendait, ici, à recevoir un minimum d’informations, car il s’agit du fondement de l’exercice démocratique… Eh bien,  » clache !  » comme on dit en brusselaire, on n’a rien eu ou presque. Sept communes n’ont tout simplement pas répondu : Molenbeek-Saint-Jean, Evere (la commune du ministre-président Rudi Vervoort, PS), Saint-Josse-ten-Noode, Anderlecht (juste un accusé de réception, puis rien), Bruxelles-Ville, Ixelles, Koekelberg.

La plupart des autres ont affirmé qu’elles ne disposaient pas des documents demandés, que ceux-ci avaient été envoyés tantôt à la justice de paix de canton tantôt au Collège juridictionnel, qui doivent contrôler et valider le scrutin. Concernant la liste nominative des mandataires, les communes qui ont répondu à Transparencia ont expliqué que cela relevait de toute façon de la vie privée, surtout avec les nouvelles règles européennes du RGPD. Quant au nombre de procurations par mandataire, elles ont simplement rappelé les règles en la matière. Watermael-Boitsfort a souligné que la vérification se fait grâce aux listes de pointage et au cachet  » a voté par procuration  » apposé sur la convocation du mandant et du mandataire.

5 % des votes de la commune

Ganshoren a, tout récemment, accepté d’envoyer à Transparencia le procès-verbal que dresse, à l’issue du dépouillement, le bureau de vote principal à l’intention du Collège juridictionnel. Un double de ce PV, certifié conforme par ses membres, doit être déposé au secrétariat de chaque commune, si l’on en croit le prescrit du Code électoral bruxellois (article 60). Mais aucune information sur les procurations, même pas leur nombre, ne figure dans ce document. C’est le cas dans toutes les communes, selon le Collège juridictionnel. Ce PV reprend uniquement le nombre de voix par liste et candidat ainsi que la répartition des sièges.

Sept communes n’ont tout simplement pas répondu.

Le 6 novembre dernier, Schaerbeek répondait à Transparencia qu’elle ne disposait pas du nombre total de procurations, seulement du nombre de certificats pour séjours temporaires à l’étranger, qui sont délivrés par ses services : il y en avait 875. Cela ne couvre pas les procurations pour autres motifs, professionnels, médicaux, etc.

Woluwe-Saint-Pierre est la seule commune à avoir donné le nombre total de procurations, soit 1 161 (5 % du total des votes de la commune), ainsi que la répartition de ces procurations parmi les 27 bureaux de vote. Cette réponse a été rédigée en la séance du collège du 24 octobre 2018. Plutôt rapide. Curieusement, elle n’est parvenue à Transparencia que le 19 mars dernier, tout juste avant l’annonce de l’inculpation de Dimitri Fourny.  » C’est un couac administratif, regrette le bourgmestre Benoît Cerexhe (CDH). Cela n’a rien de volontaire, d’autant que la réponse était publiée sur notre site Web dès le 8 novembre.  »

Quant aux procurations, elles ont été comptées manuellement juste après les élections, car il y avait eu un souci de double convocation.  » Nous voulions nous assurer que tout avait été fait dans les règles pour le scrutin, explique le bourgmestre Cerexhe. Ce comptage n’a pas pris beaucoup de temps. Lors des élections de mai, le nombre de procurations devra, cette fois, figurer sur le PV des bureaux de vote « . Conclusion logique : si Woluwe-Saint-Pierre est parvenu à fournir une réponse détaillée à la première question de Transparencia, pourquoi pas les autres ?

Aucune info du côté du Collège

Le Vif/L’Express s’est aussi tourné vers le Collège juridictionnel bruxellois pour voir si ces informations y étaient disponibles. Sa présidente, Joëlle Sautois, nous a répondu avoir renvoyé les dossiers électoraux aux communes.  » De toute façon, ceux-ci ne sont consultables chez nous que par les candidats, pendant dix jours après les élections « , précise-t-elle. Sur son site, le Collège a d’ailleurs publié peu avant les élections un avis stipulant que seuls les candidats étaient  » autorisés à consulter les dossiers électoraux préalablement à l’introduction éventuelle d’une réclamation  » (le délai légal, lui, n’était pas indiqué). Nouvelle règle ? Non, selon la présidente.

Pourtant, lors de précédentes élections, des journalistes avaient pu consulter ces documents. Ce fut le cas de Mehmet Koksal, qui a beaucoup enquêté sur le sujet des dépenses électorales à Bruxelles.  » Je regrette que les journalistes ne puissent plus désormais faire leur boulot de vérification « , nous dit celui-ci. De son côté, Claude Archer, de Transparencia, suggère que le délai de consultation par les candidats soit prolongé au-delà de dix jours.  » Cela n’empêcherait pas la validation des élections par le Collège et cela permettrait d’encore saisir la justice en cas de fraude constatée « , argumente-t-il.

Après les élections communales, le Collège juridictionnel bruxellois n’a enregistré que trois réclamations, dont deux à Saint-Josse pour un même dossier. Dans ce dernier, les réclamations portaient sur 127 procurations non accompagnées d’un certificat attestant d’un séjour à l’étranger. Finalement, le Collège a retenu sept procurations litigieuses. Mais celles-ci n’auraient pu influencer la répartition des sièges communaux, a-t-il simplement constaté sans indaguer plus avant.

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