Thierry Fiorilli

La marche des révolutions

Thierry Fiorilli Journaliste

La mémoire n’est pas la première qualité des foules. Politiques et médias n’y échappent pas. De la même façon, personne n’est capable d’annoncer, péremptoire et infaillible, de quoi demain sera vraiment constitué. Dommage. Doublement.

Se rappeler permet souvent d’imaginer ce qui risque bien de se produire. Et donc, d’anticiper. De gagner du temps. De se préparer. Soit à vivre avec ce qui adviendra. Soit à développer les stratégies alternatives.

A observer ce qui se joue pour l’instant, en direct, retransmis partout, comme les matches de l’Euro, il est évident que ce sont des révolutions auxquelles nous assistons. Non plus seulement celles qui éclatent ci et là, presque en vase clos, à l’intérieur de frontières délimitant un Etat ou une région. Non. Des révolutions bouleversant tous les continents. Dans tous leurs secteurs. Avec des répercussions, donc, pour tous leurs habitants.

L’impact de Daech en est l’illustration la plus spectaculaire. L’Europe, l’Amérique, l’Asie et l’Afrique en ont déjà fait les frais. Affirmer que cette ère de terreur était prévisible relèverait de la mauvaise foi. Mais il est évident que ses germes étaient discernables depuis belle lurette. D’abord en des lieux éloignés, quelque part au Proche-Orient, en Afghanistan, en Irak, en Algérie… Ensuite beaucoup plus proche de nous, au coeur de quartiers délimités. Dans les deux cas, on a peu cherché à éviter que le pire s’y propage. Puis en déborde, jusqu’à venir nous inonder.

Une autre révolution gagne ce qu’on appelle parfois trop légèrement « la scène politique » de nos pays. Trop légèrement, parce que, on l’a vu avec l’avènement de tous les mouvements terroristes, islamistes ou non, c’est toujours la gouvernance d’un ou de plusieurs pays qui les a engendrés. Concrètement : c’est la manière dont on administre, dont on aborde une réalité – la laisser pourrir ?, y trouver un remède ?, modifier le système ? – qui nourrit les mouvements de résistance, de contestation, de déstabilisation. Autre chose, par conséquent, qu’un simple spectacle, chiqué ou pas.

Cette révolution-là bouscule les jusqu’ici inébranlables donnes politiques occidentales : un peu partout, les partis traditionnels sont débordés, sur leur droite ou sur leur gauche, par de nouveaux venus. Organisés eux aussi en formations structurées ou issus de démarches beaucoup plus spontanées. Beaucoup s’en moquaient. Beaucoup les ignoraient. Beaucoup les relativisaient. Personne ne les imaginait, sérieusement, il n’y a pas même deux ans, à même de viser le pouvoir. Encore moins d’y accéder. Et pourtant : voilà que soit ils le détiennent ou y participent, localement ou à l’échelon national, soit ils peuvent y prétendre à brève échéance. En vrac : Syriza en Grèce, Podemos et Ciudados en Espagne, le Movimento Cinque Stelle en Italie, Donald Trump et Bernie Sanders aux Etats-Unis, Geert Wilders aux Pays-Bas, le FN et peut-être un jour Nuit Debout en France, la N-VA en Flandre…

Chez nous aussi, viendra le jour d’une gouvernance non plus réservée aux seuls PS, MR, CH, Ecolo et Défi

Et, demain, le PTB, en Wallonie (surtout) et à Bruxelles ? Objectivement : pourquoi pas ? Sa progression électorale, le mépris dont il a longtemps fait l’objet de la part des autres formations politiques et des médias, sa faculté à profiter des circonstances économiques et sociales, l’affaissement du PS, la voie tracée au Nord par Bart De Wever et les siens (vieilles revendications mais vitrine neuve) et la fulgurance des succès, ailleurs, de tous ces prétendus menus frottins interdisent qu’on écarte l’hypothèse : chez nous aussi, viendra le jour, peut-être sous peu, d’une gouvernance non plus réservée aux seuls PS, MR, CH, Ecolo et DéFi.

Il est donc temps de se préparer à cette possible future nouvelle donne. Enfin, « nouvelle »… L’évocation, ces jours-ci, pour les trente ans de sa disparition, de Coluche, donc de sa candidature aux présidentielles françaises et des 15 % d’intentions de vote qu’il avait recueillis avant de renoncer, rappelle que, cette soif et cette possibilité « d’autre chose » ne date pas d’hier.

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