Le Botanique, Centre culturel de la Communauté française. © BELGA

La direction du Bota accusée de dénigrement du personnel, abus de pouvoir, conflit d’intérêts…

Catherine Joie

Une lettre considérée par ses destinataires comme « interpellante » a été envoyée par email ce jeudi 19 janvier à plusieurs organismes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont le cabinet de la ministre de la Culture, Alda Greoli. Elle émane d’employés, anciens et actuels, du Botanique, Centre culturel de la Communauté française. Ce document, anonyme, fait état d’un profond malaise, depuis dix ans, au sein de l’institution culturelle bruxelloise.

Le document, qui compte onze pages et que Le Vif/L’Express a pu se procurer, reprend une liste d’accusations très lourdes à l’encontre de la direction, qualifiée de « maritale » : « pression constante » sur le personnel du centre culturel, « méthodes d’intimidations », « abus de pouvoir », « dénigrement » à l’égard des employés… La direction ferait, entre autres, « planer des menaces de licenciement en cas d’arrêt maladie » et aurait tenu des « propos racistes et islamophobes à l’encontre de membres du personnel ou de candidats potentiels ». D’autres griefs font état du règlement de travail qui « n’a pas été mis à jour depuis 2005 » et évoquent des « abus liés à l’absence de descriptif de fonction », ce qui permettrait à la direction de « profiter de sa position hiérarchique pour exiger de ses employés des tâches qui n’ont pas trait à leur fonctions », comme « amener une voiture au garage » ou « rédiger des courriers personnels ».

Le document dénonce encore l’ « absentéisme de la direction » , des problèmes de communication interne, une « non-correspondance entre fonction exercée et barème utilisé » et sur le fait que la direction occupe elle-même le poste de conseiller en prévention (ce qui est interdit pour toute entreprise dépassant 20 employés).

Dix démissions, dix licenciements

Le nombre de « manquements » cités dans cette lettre est particulièrement impressionnant. Le point le plus détaillé – et le plus symptomatique d’un éventuel malaise au Botanique – est celui de la rotation du personnel. En chiffres, cela donne, selon le courrier envoyé jeudi : dix démissions depuis 2011, dont six depuis 2015 ; dix licenciements depuis 2009, dont quatre durant des arrêts maladie. Le « turn-over » est particulièrement important, lit-on, au poste d’assistant(e) de direction : trois licenciements et deux démissions entre février 2012 et mars 2015. Notons que le nombre total d’employés au Botanique tourne autour de quarante personnes.

D’après nos informations, le collectif qui a rédigé ce courrier est composé d’une petite vingtaine d’employés actuels et d’anciens employés. Voici ce que certains d’entre eux nous ont précisé :

  • « Il y a, au Botanique, un vrai problème de considération de l’individu. La direction n’a aucune considération pour le travail réalisé par les employés. Tout est minimisé ; on nous donne le sentiment que l’on ne sert à rien. Il n’y a pas de communication entre les services. On ne sait jamais qui fait quoi, comment, à quelle vitesse… Pour les Nuits du Botanique, gros festival à Bruxelles, il n’y a pas de réunions. Ni en amont, ni en aval. Pas de briefing, pas de débriefing. »
  • « Les employés sont terrorisés à l’idée de se retrouver face à la directrice. Ne serait-ce que pour discuter d’une idée pour le boulot. Elle peut être très agressive et hurler sur les gens. Elle a la capacité de mettre quelqu’un dans la position d’un enfant de 6 ans qui se fait crier dessus par son instit’. Il y a un climat de terreur. »
  • « Tous les mois et demi environ, Annie Valentini (directrice générale) et Paul-Henri Wauters (directeur adjoint) partent ensemble une semaine à l’étranger. Ils disent qu’ils vont travailler, qu’ils seront joignables, qu’ils répondront à leurs mails… Mais durant ces moments-là, on n’a jamais de réponse. Ce qui paralyse tout le monde. Parfois, on réalise même qu’ils sont partis à l’étranger sans prévenir personne du Bota. Et personne ne sait quand ils comptent rentrer. »
  • « On n’est jamais tenus informés des changements dans les équipes. Quand quelqu’un se fait licencier, on l’apprend par hasard, parfois beaucoup plus tard. Il m’est arrivé de réaliser avec un mois de retard que la comptable ne travaillait plus au Botanique et qu’elle n’avait pas été remplacée. »
  • « Il arrive de se faire convoquer dans le bureau de la directrice le vendredi à 17h50. Pas avant. Et si tu rates un appel de la direction, tu dois justifier pourquoi tu n’as pas pu décrocher. On va te dire : « J’ai essayé de t’appeler, où étais-tu ? » On est traité comme si l’on était les employés de la direction, et non les employés du Botanique. »

Les expéditeurs de la lettre demandent, en conclusion de leur courrier, qu’une analyse « de la gestion actuelle de l’institution » soit faite, ainsi qu’un « bilan des compétences de la direction ». Puisque le Botanique est subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles (trois millions d’euros par an, ce qui en fait le centre culturel le plus subventionné de la FWB), « sa gestion et son avenir nous concernent tous », soulignent-ils.

Le document a été envoyé, anonymement donc, à plusieurs organismes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le cabinet de la ministre de la Culture, Alda Greoli (CDH), en fait partie. Le Service général de l’Inspection de la Culture (FWB) et le cabinet de Philippe Close (PS), Echevin du Tourisme, du Personnel et des Finances de la Ville de Bruxelles, aussi. Les auteurs du courrier rappellent qu’ « une partie de [leur] constat avait déjà été effectuée en 2006. Et que  » force est de constater que plus de 10 ans après, les choses n’ont malheureusement pas changé » Or « le Botanique est une institution subventionnée. Sa gestion et son avenir nous concernent tous. »

« Un catalogue de frustrations »

La direction a pris connaissance de la lettre ce vendredi en fin de journée, après en avoir été informée par le cabinet d’Alda Greoli. Contactée par nos soins, Annie Valentini, directrice générale du Botanique, a commencé par déclarer que toutes ces accusations étaient « très anecdotiques. Je ne vois pas de quoi on parle. Je ne sais pas qui est concerné par toutes ces accusations. Du rabaissement de personnes ? C’est tellement vague comme affirmation, cela ne me dit rien… Je ne vois pas à quoi tout cela fait concrètement référence. Cette lettre est basée sur des états d’âmes, pas sur des choses concrètes. C’est un catalogue de frustrations. » Elle a ensuite ajouté qu’elle n’a pas l’intention d’ignorer cette lettre et qu’elle souhaite « objectiver la situation ».

Annie Valentini a aussi insisté sur les démarches qu’elle mène actuellement avec la délégation syndicale du Botanique, notamment pour organiser une analyse des risques psycho-sociaux au sein du centre culturel. La direction et la délégation syndicale se sont d’ailleurs entretenues… ce vendredi après-midi. Sans discuter de la lettre écrite par certains employés du Botanique, puisque l’existence dudit courrier n’était pas encore connue de la direction. Ni de la délégation syndicale, précise Johanne Boca, l’une des quatre délégués. Elle regrette d’ailleurs que certains de ses collègues aient choisi la manière forte, plutôt qu’une « discussion sereine », pour parler de leurs vécu. « On ne le cache pas : il y a des problèmes au Botanique. Comme partout ailleurs… Mais j’aurais préféré que cela se discute autrement. »

Au cabinet de la ministre de la Culture, on déclare que les allégations contenues dans la lettre sont « interpellantes ». Mais que le caractère anonyme du courrier l’est tout autant, ce qui pousse le cabinet à faire preuve « de prudence ». C’est d’abord au Botanique et à son conseil d’administration de se pencher sur cette situation, nous signale-t-on. « Ou aux organes à mêmes de recevoir des plaintes de cet ordre, comme le Centre pour l’égalité des chances pour les questions de racisme. »

L’échevin bruxellois Philippe Close (PS) n’a, de son côté, pas souhaité réagir. Il donne deux explications à ce refus, qui correspondent à deux points soulevés par le cabinet d’Alda Greoli. Premièrement, en substance, il n’est pas dans l’habitude des politiques de rentrer dans l’engrenage des mails anonymes. Ensuite, bien que largement subventionné, le Botanique est une association indépendante et les cabinets n’ont pas à interférer avec les affaires internes de ce type d’institution.

Le Botanique est un Centre culturel de la Communauté française, situé au coeur de Bruxelles. Sa programmation, presque exclusivement composée de concerts et d’expositions, comprend aussi Les Nuits du Botanique, un festival de musique qui rencontre un franc succès. En novembre dernier, le Botanique a perdu l’exploitation de la salle du Cirque royal (2 000 places). Le Cirque sera repris, dès l’été 2017, par la Ville de Bruxelles. Une décision qui passe mal, au Botanique, où la direction affirme que son « travail demande une énergie considérable, surtout pour assumer la résistance à la situation vécue au Cirque Royal ». Ce qui fait dire à certains que le courrier envoyé jeudi, « un réquisitoire excessif et uniquement à charge qui révèle bien plus de haine que de bon sens », selon la direction du Bota, est peut-être à considérer dans ce contexte.

Une hypothèse qui semble, à ce stade, mise à mal par le nombre d’employés actuels du centre culturel ayant rédigé et validé le document, accablant pour leur direction.

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