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La culture historique des ados résiste

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

« Des têtes moins pleines mais mieux faites » : la nouvelle vocation du cours d’histoire n’a pourtant pas eu raison du « modeste » savoir historique des élèves du secondaire, révèle une étude financée par l’Université de Liège. Parce que les profs feraient de la résistance…

Napoléon, c’était avant ou après Hitler ? Luther, qui c’est encore celui-là ? Louis XIV, Roi-Soleil ? Inconnu au bataillon. La guerre de Cent ans ? Holà, faut pas pousser ! La Révolution française ? Appel à l’équipe ! C’est Mao sur la photo ? Première info.

La nouvelle faisait il y a peu l’effet d’une bombe en Flandre : des élèves du secondaire étaient bien en peine de citer les nations qui en étaient venues aux mains en 14-18, certains allant même jusqu’à situer la zone de conflit quelque part du côté du… Nil. La rumeur est tenace, l’intime conviction chevillée au corps : demander aux ados de jeter un coup d’oeil dans le rétro, c’est l’embardée assurée. Comme si remonter dans le temps relevait du parcours du combattant. Ils mélangeraient tout, confondraient tout, victimes d’un manque cruel de repères.

L’histoire pour les nuls ? La Communauté française refuse de s’y résigner. Il y a quinze ans, le cours d’histoire dans le secondaire francophone a reçu sa nouvelle feuille de route, fixée par décret en avril 1999. Mission : « Aider le jeune à se situer dans la société et à la comprendre afin d’y devenir un acteur à part entière. » Mais encore ? Pour amener l’élève à découvrir les grands moments clés de l’Histoire des Hommes et lui faire prendre conscience de ses racines, il faut lui donner les moyens de mener l’enquête, de se poser les bonnes questions et d’aiguiser son sens critique. Priorité donc à l’étude de textes et au décryptage de documents. Une manière de donner le coup de grâce au simple bourrage de crânes et de délaisser quelque peu la bonne vieille ligne du temps.

Lancée en 2001, la mini-révolution laisse d’emblée les enseignants majoritairement sceptiques et inquiets. A 58 %, leur religion est faite : la culture historique des élèves sera la grande perdante dans cette histoire. Comme si connaissances et compétences étaient vouées à se faire concurrence.

Jean-Louis Jadoulle et Xavier Stevens, du service de didactique de l’histoire à l’Université de Liège, ont voulu en avoir le coeur net : y a-t-il vraiment eu un « avant » et un « après » réforme du cours d’histoire ? Quelque 1 300 rhétos issus de 75 établissements du réseau libre ont été testés à sept ans d’intervalle sur leurs « acquis culturels » : premier coup de sonde en 2002, auprès d’une cohorte encore instruite sous « l’ancien régime » ; rebelote en 2009, auprès de la première vague d’élèves à sortir des études en ayant expérimenté le changement de cap.

Verdict : grande stabilité des performances. Et pointe de soulagement : « l’approche par compétences » tant redoutée n’a pas entraîné une déperdition des savoirs culturels. Il y a même d’heureuses surprises, épinglées par Jean-Louis Jadoulle, professeur de didactique de l’histoire à l’ULg : « La maîtrise des notions clés enregistre des progrès significatifs. Ainsi les élèves maîtrisaient mieux en 2009 qu’en 2002 des notions comme la Réforme, le parlementarisme, la révolution industrielle, le capitalisme, le socialisme, en les situant dans le temps. »

Score également encourageant quand il s’agit pour les élèves d’identifier une expression ou un symbole historique qui a fait date et qui est régulièrement resservi dans les médias ou au hasard d’une conversation : « la der des ders » est plutôt bien associée à la Première Guerre mondiale, le « jeudi noir » au krach de Wall Street de 1929, « la Longue Marche » au périple de Mao et des communistes chinois. Le drapeau rouge, la croix gammée, l’étoile jaune ou encore la signification symbolique de l’agneau dans le triptyque de l’Agneau mystique : les symboles sont ce que les élèves maîtrisent le mieux. Un maillon faible plombe la moyenne : « Les élèves ont toujours autant de mal à rattacher les types de traces du passé à leurs périodes de l’histoire. » Ils pataugent souvent, quand il faut associer le cliché d’un coron à la révolution industrielle, ou une miniature au Moyen Age.

Au final, le pire serait donc évité. « Les connaissances culturelles des élèves sont restées stables, à un niveau moyen de maîtrise mesuré entre 41 et 52 % », conclut l’étude de l’ULg. Tandis que les évaluations scolaires ultérieures attestent que « les élèves ont développé la maîtrise des compétences prescrites ».

L’enseignement revisité de l’histoire n’aurait donc pas rendu les élèves plus incultes. Et le mauvais pressentiment des profs ne s’est pas vérifié. Ils y ont veillé, en ne changeant pas fondamentalement de logiciel : « Leurs pratiques restent très majoritairement orientées vers l’apprentissage de connaissances. La préoccupation première des enseignants d’histoire demeure de faire apprendre et de mettre l’accent sur le savoir », a pu constater Jean-Louis Jadoulle à l’occasion d’une autre recherche.

Faut-il faire de la résistance pour sauver les meubles ? Atteindre entre 41 et 52 % de moyenne en histoire : si ce n’est pas une cote d’exclusion, c’est loin d’être une franche réussite. Jean-Louis Jadoulle ne se risque pourtant pas à qualifier ce résultat : « Les adultes de 40, 50 ou 60 ans, feraient-ils mieux ? Nous n’en avons strictement aucune idée. » L’histoire garde ses mystères.

Un colloque consacré à la culture historique des jeunes se déroulera le 10 novembre à Liège. Inscription : www.uclouvain.be/310326.html

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