Nicolas De Decker

Koen Geens et Jan Jambon, une certaine idée de la dureté

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ce gouvernement fédéral est un gouvernement de combat. Surgi d’une mêlée politique inédite, il bombe le torse, il serre les dents et il plisse les yeux depuis son intronisation.

C’est normal. Il est là pour ça.

Il a jeté la gauche dehors. Il a jeté dehors les laxistes, les angéliques, les politiquement corrects, les bien-pensants, les Bisounours, et toutes ces couilles molles.

C’est un gouvernement de durs.

Depuis, il mène son combat. Un combat de durs. Et il y a eu des attentats en France. Quand on mène un combat de durs, c’est du tout bon, parce qu’on peut même alors dire que ce que l’on mène c’est une guerre, contre un ennemi très méchant et sans pitié contre qui tout est permis. Après ça, les durs ont pu expliquer qu’il fallait rendre la loi plus dure, et c’est passé.

Ces attentats, ils avaient été préparés en Belgique à cause des laxistes, des angéliques, des politiquement corrects, des bien-pensants, des Bisounours, et de toutes ces couilles molles parce que mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde, n’est-ce pas ?

C’est du tout bon aussi parce qu’à Verviers, les services de sécurité ont tué des méchants qui allaient nous faire beaucoup de mal. Après ça, les durs ont pu expliquer qu’il fallait rendre la loi plus dure, et c’est passé.

C’est du tout bon parce que du coup tout le monde voyait dans le fracas des grenades et le hululement des sirènes que les Bisounours avaient perdu le pouvoir.

Le pouvoir, le vrai, le régalien, celui qui drape d’autorité les autorités, était désormais dans les mains bien fermes de Koen Geens et Jan Jambon. On ne les avait pas mis là par hasard. Koen Geens et Jan Jambon étaient les deux ministres les plus compétents d’un escadron de novices, les deux plus rigoureux d’une équipe de rêveurs. Et les deux plus durs d’une petite bande de durs, avec à chacun sa dureté, complémentaire.

Ils le tenaient bien, leurs rôles de durs.

À la Justice, Koen Geens, le frêle clerc de chez Dickens, qui connaît tout, dépoussière les registres, et sait trouver comment mieux rendre justice en privant la Justice des moyens qu’elle n’a déjà plus.

À l’Intérieur, Jan Jambon, le costaud de chez Breughel, qui ramène des Duvel aux gentils héros qui arrêtent les méchants, et qui se fait prendre en photo avec son copain Charles devant les camionnettes tunées des gentils robocops qui arrêtent les méchants.

Et puis il y a eu le 22 mars. Il y a eu Zaventem et il y a eu Maelbeek.

Il y a eu des mois d’enquêtes minutieuses pour que par hasard les durs envoyés par les durs voient Salah Abdeslam s’encourir sur un toit, alors qu’il y avait quatre mois qu’un Malinois avait dit qu’il était sous ce toit.

Il y a eu des mois de traque impitoyable des foreign fighters et des returnees, tout ça pour qu’Ibrahim El Bakraoui soit découvert, trois trimestres après son retour de Syrie, juste après qu’il se fût fait sauter, mais qu’il s’en est fallu de peu : la Turquie n’avait prévenu qu’en juin, et on était fin mars.

Il y a eu un Organe de coordination pour l’analyse de la menace qui, le matin du 22 mars, n’a pas haussé assez vite le niveau de la menace, et il ne s’en est pas fallu de peu : une demi-heure plus tôt, et le métro était évacué et aucune rame ne roulait au moment où Khalid El Bakraoui en cherchait une à faire sauter.

Ce qu’il y a eu, en fait, c’est que les deux plus durs de la petite bande de durs n’ont même pas été capables de bien faire appliquer les lois, y compris et surtout les lois qui existent depuis l’époque où le Royaume était gouverné par les Bisounours. Alors, ils veulent faire adopter d’autres lois, des lois qui seraient plus dures et donc encore moins applicables que celles qu’ils n’ont pas pu faire appliquer et qui pourtant dataient des Bisounours.

Jan Jambon et Koen Geens, les rigoureux, les compétents, les durs de durs, se sont foutus du monde, alors qu’il y avait des morts partout

Et ce qu’il y a eu, en fait, c’est que les deux plus durs de la petite bande de durs ont fait mine de démissionner pour montrer qu’ils étaient conscients, dans leur conscience de durs, que cette tragédie engageait leur responsabilité. Les durs de durs se sont ensuite arrangés pour que chacun soit au courant que leur conscience de durs avait été atteinte.

« Le gouvernement a délibérément choisi de ne pas céder à la panique, ni à la peur », a dit un des durs de durs, Jan Jambon, à la Chambre, vendredi.

S’il n’a pas cédé à la panique, ce gouvernement par les durs pour les durs, c’est qu’aucun des durs de durs ne paniquait quand il a présenté sa démission, qu’aucun des durs de durs ne paniquait quand il savait qu’elle ne serait pas acceptée, qu’aucun des durs de durs ne paniquait quand il l’a annoncé à la presse.

Si ce n’était pas de la panique, alors qu’il y avait des morts partout, c’est donc que c’était quelque chose d’autre.

Et cette autre chose ne peut être que du cynisme.

Jan Jambon et Koen Geens, donc, les rigoureux, les compétents, les durs de durs, se sont foutus du monde. Alors qu’il y avait des morts partout.

La sécurité, disait la reine des sorcières Hécate dans Macbeth, est la pire ennemie des mortels. Elle est aussi une amie capricieuse des politiques. Surtout des durs et des durs de durs.

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