La voiture de police a percuté l'enfant de 12 ans dans le parc Elisabeth, à la frontière entre Ganshoren et Koekelberg, suite à une course poursuite. BELGA PHOTO MARIUS BURGELMAN

Mort d’un enfant de 11 ans à Ganshoren après une course-poursuite: «On compare la voiture de police à une arme»

Un enfant de 11 ans a été mortellement percuté par la police qui l’a poursuivi alors qu’il circulait sur une trottinette, à Ganshoren. A nouveau, la formation à la conduite prioritaire donnée aux policiers pose question.

Un enfant de 11 ans est décédé, lundi à soir à Ganshoren, après avoir été percuté par un véhicule de police qui avait démarré une course-poursuite quelques minutes plus tôt, à Koekelberg. Le jeune garçon, qui circulait à trottinette avant d’être percuté par la voiture de police dans le parc Elisabeth, a été réanimé sur place avant d’être transféré à l’hôpital, où il est décédé.

L’affaire est dans les mains du Comité P, et ni le Parquet, ni la zone de police ne font de commentaires. Ce drame intervient quelques jours après qu’une autre personne ait été percutée par un combi de police en conduite prioritaire à Schaerbeek, et deux semaines après la mort d’un motard dans les Marolles, percuté par une voiture de police dont le chauffeur n’avait pas de permis.

A l’école de police, «on compare la voiture à une arme»

Ces incidents parfois mortels s’ajoutent à une liste morbide, en Belgique, directement liée à une course-poursuite impliquant la police. Fin mars, Le Vif publiait une enquête sur l’affaire du jeune Mehdi Bouda, mort en 2020 après avoir été percuté par une voiture de police roulant à 100 km/h au niveau du Mont des Arts, à Bruxelles. Il était 23h48, le 20 août 2019, aux environs de la place Fontainas à Bruxelles, quand K.O. et son collègue A.R. se mirent en route à bord de leur Golf noire de la BAA (la brigade antiagression) après un appel au dispatching. Un particulier avait déclaré qu’un cambriolage avait eu lieu dans sa maison: «Nous avons estimé que la mission était très urgente», plaidera K.O. auprès de ses collègues.

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Au volant, K.O. roule pied au plancher. Sur le boulevard de l’Empereur, le véhicule de 1.414 kilos atteint les 109 km/h. Au bas du Mont des Arts, il avance à 98 km/h. K.O. relâche alors l’accélérateur, redescend à 90 km/h avant de remettre des gaz pour rouler à nouveau à 98 km/h au moment de percuter mortellement Mehdi Bouda, 17 ans, qui déboule de la galerie Ravenstein, sur la droite. Pour K.O., sa vitesse était «adaptée à la configuration des lieux», malgré un passage clouté, malgré un camion poubelle garé en double file qui obstruait la vue, malgré l’obscurité de la nuit, malgré la sirène éteinte (mais les feux bleus allumés). Pour la chambre du conseil aussi, d’ailleurs: celle-ci a décidé que ces éléments étaient insuffisants pour poursuivre les policiers. «Monsieur O. ne s’est pas écarté du comportement attendu d’une personne exerçant la même fonction et ayant la même qualification que lui», statuera la juge, qui évite ainsi le procès aux deux policiers.

Marcher avant de courir

Mais de quel «comportement attendu» parle-t-on? Avant d’entrer en service, chaque policier reçoit une formation théorique de huit heures à la conduite prioritaire. La pratique, elle, est optionnelle.

A safe.brussels, le centre de formation des métiers de la sécurité en Région bruxelloise, une formatrice à la conduite prioritaire nous a ouvert les portes des salles de classe. «L’objectif principal est d’arriver sur le lieu d’intervention, pas de ne pas arriver, ni de créer un suraccident, ou du stress dans le véhicule qui affecterait les réactions une fois sur le lieu de la mission. Il est important de connaître ses limites, de gérer l’adrénaline et le stress, parfois occasionné par le dispatching.»

C’est l’objectif de la cellule de conduite prioritaire. Apprendre à marcher avant de courir. «On compare un peu la voiture à une arme. Si elle est utilisée n’importe comment, ça ne peut pas aller. On explique à l’aspirant qu’il doit en être maître.» Si un apprenti policier doit connaître son arme de service, la dégainer, la charger, l’armer jusqu’à ce que cela devienne un réflexe et qu’aucun tressaillement ne le perturbe sous la pression, l’instructrice aspire à la même chose pour les véhicules d’intervention. «Je dis toujours à mes étudiants que s’ils s’énervent à chaque conduite prioritaire, ils n’atteindront pas l’âge de la pension. Il faut savoir laisser le temps au citoyen de voir le véhicule prioritaire. Il faut voir et être vu.»

La formation pratique est courte, deux jours seulement. Le matériel, lui, est pointu. Dans la salle, une fausse Skoda break est posée sur un système reproduisant les vibrations de la conduite, entourée de trois écrans qui dessinent un paysage urbain. Deux caméras traquent le regard du conducteur et le formateur peut simuler la pluie, la nuit, une vache sur la route ou un piéton qui «envahit la chaussée». A l’extérieur, 28 véhicules permettent aux aspirants de travailler les manœuvres de base sur le parking avant de se lancer dans la circulation rurale d’abord, urbaine ensuite. Chaque année, sur le campus de Haren, dans l’agglomération bruxelloise, environ deux tiers des aspirants policiers bruxellois et une cinquantaine d’agents déjà engagés revoient, sur base volontaire, les bases de la conduite, de l’ergonomie et de la sécurité. Cette formation ne leur donne toutefois pas la priorité du volant sur un collègue non formé lorsque vient le moment d’allumer le gyrophare. C’est au feeling.

Le politique à contre-sens

Le 1er octobre 2020 a marqué un tournant dans l’encadrement légal de la course-poursuite. Avant cette date, les véhicules prioritaires (y compris pompiers, ambulances, police militaire…) ne pouvaient enfreindre le code de la route, sauf dérogations. Depuis, la philosophie s’est inversée et les conducteurs ne sont plus tenus de respecter le code, à quelques exceptions près. Pour protéger les fonctionnaires de la sécurité, le monde politique a donc impliqué les usagers classiques de la voie publique, mais n’a pas diminué pour autant la responsabilité pénale, ni même civile, puisque les zones de police peuvent la reporter sur leurs employés en cas de faute grave ou de faute légère mais répétitive. Alors que la question s’est posée lors des débats au Parlement, l’idée d’une formation obligatoire n’a pas été poursuivie, au grand dam du délégué permanent de la CGSP Police, Patrick Baus: «J’ai déjà vu, lors de stages, qu’on reprochait à des jeunes de ne pas assez bien conduire alors qu’ils n’avaient reçu aucune formation à la conduite.»

Il est donc possible que de jeunes policiers non formés mais responsables de leurs actes soient envoyés en mission dans des véhicules parfois boostés. «Souvent, ceux qui viennent en formation partent dans un effet tunnel lors des entraînements sur le simulateur. Ils se disent qu’il faut foncer, et ne sont pas conscients des conséquences que cela peut avoir aussi pour eux», soupire la formatrice, qui voit la proportion de jeunes policiers désireux de réapprendre les bases de la conduite augmenter, contre une part minoritaire de candidats en recherche d’adrénaline.

Prise de conscience sur le danger de la course-poursuite

Patrick Baus, 41 ans de métier et des milliers de kilomètres en course poursuite «toujours fluide, coulée», plaide donc pour une formation obligatoire à la conduite «offensive», comme on l’appelait auparavant. C’est d’ailleurs déjà le cas pour les hommes de la police fédérale amenés à conduire les véhicules les plus rapides de la flotte. «A partir du moment où il y a une prise de confiance de l’apprenant, un déclic dans sa façon de conduire a lieu», assure la formatrice de safe.brussels.

Mawda, Adil, Sabrina et Ouassim sont d’autres noms inscrits à côté de celui de Mehdi sur la liste des personnes décédées à la suite d’une course poursuite qui a mal tourné. «J’inclus ces faits dans ce qu’on peut appeler, au sens large, des violences policières, déclarait d’ailleurs l’ex-boss de l’école régionale bruxelloise de police, Jacques Gorteman, au parlement régional en octobre 2020. L’attitude agressive de ces [policiers] au volant peut entraîner chez le citoyen un sentiment d’agressivité de leur part.»

Questionnée, la zone de police Bruxelles-Ixelles, celle des inspecteurs impliqués dans la mort de Mehdi, n’a pas pris de mesure concernant la conduite prioritaire. Elle s’en réfère à la police fédérale qui ne dispose d’aucun chiffre en la matière. Le Comité P (la police des polices) non plus n’a pas d’indicateur clair. Bruxelles Mobilité recense les accidents impliquant des véhicules prioritaires avec blessés (entre cinq et dix par an), mais ce chiffre ne comprend pas les véhicules de police. Enfin, il existe tout de même un groupe de travail dédié à la conduite prioritaire au sein de la police fédérale, mais il n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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