peine de mort
L’abolition de la peine de mort est un «marqueur civilisationnel» dans notre société, selon Vincent Lefebve. © Belga

La peine de mort, définitivement aux oubliettes? Voici ce qu’en disent les partis politiques

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’abolition de la peine de mort est inscrite depuis 20 ans dans la Constitution. Et la dernière exécution sur le sol belge remonte à 75 ans. Aucun parti démocratique ne remet l’abolition en question. Mais la vigilance reste de mise.

«La peine de mort est abolie.» L’inscription s’est ajoutée en 2005 à la Constitution belge. Il y a 20 ans, donc, la Belgique gravait dans le marbre ce principe selon lequel la peine capitale devait définitivement être reléguée dans le passé. 2025 marque également les 75 ans de la dernière exécution effectuée sur le sol belge, celle de l’Allemand Philipp Schmitt, ancien commandant du camp de Breendonk, le 9 août 1950.

L’affaire semble pliée. Dans la culture politique belge, l’abolition demeure un «marqueur civilisationnel», comme l’indique Vincent Lefebve, juriste, philosophe et chercheur au Crisp, le Centre de recherche et d’information sociopolitiques. Peut-on néanmoins imaginer qu’un jour, dans un autre contexte politique, la Belgique fasse machine arrière? La question, pour l’heure, appartient à la théorie. Mais pour en avoir le cœur net, autant la poser.

Le Vif a ainsi adressé une triple question aux six principaux partis francophones, pour prendre la température: si un parti ou une personnalité politique proposait de retirer l’abolition de la Constitution, seraient-ils prêts à l’envisager ou en discuter? Si quelqu’un proposait carrément de la réinstaurer, qu’en serait-il? Et si cela ne concernait que les crimes considérés comme les plus graves ou crapuleux? Pour se rassurer, on constatera d’emblée que pour toutes les formations, il n’en est pas question.

Non, trois fois non

«Le PS défend une justice forte, humaine et efficace, mais jamais vengeresse ni violente, répond-on auprès des socialistes. La peine de mort ne doit en aucun cas être remise à l’ordre du jour, ni même considérée comme une option légitime. C’est un acte inhumain, inefficace et contraire à nos valeurs.» Du côté du PTB, la réaction est tout aussi claire, «il n’y a pas de discussion là-dessus».

«Tout le monde a droit à la dignité, même les criminels. C’est à cela qu’on juge une société», indique Ecolo. Idem du côté de DéFI: «Nous ne reviendrons pas sur cet acquis.»

 «La Constitution est chargée de préserver les droits et libertés fondamentales. Toute révision ne peut l’affaiblir en ces matières», considèrent Les Engagés. Cela ne doit pas empêcher de discuter des peines. «Débattre de la peine de mort, non. Débattre de l’opérationnalisation des peines selon leur gravité et/ou leur caractère crapuleux, oui.» Il peut s’agir, par exemple, d’un débat autour de ce que doit être la notion de perpétuité, selon Les Engagés.

Parmi tous les arguments qui rendent la peine de mort inacceptable, «il y a l’argument ultime, celui qui la rend complètement illégitime, à savoir qu’on ne peut absolument pas risquer de donner la mort à un innocent. Evidemment, on pourra répondre qu’il y a toujours quelques cas d’école, qu’il y a Marc Dutroux, mais l’élément central est qu’on ne peut pas appliquer une peine qui délégitimise le corps social qui est censé rendre la justice», commente le président du MR.

«La peine n’est pas à l’ordre du jour, ni dans l’opinion publique ni sur un plan politique. Elle n’est pas à l’ordre du jour maintenant, à tout le moins…»

Attention à l’opinion

«On est évidemment opposés à la réinstauration de la peine de mort», assure Georges-Louis Bouchez. Pour autant, il redoute que l’idée ressurgisse dans l’opinion plus facilement qu’il n’y paraît. «On peut penser que c’est derrière nous, mais je n’en suis pas tellement sûr. Le fait que vous me posiez la question révèle que, peut-être, c’est un peu  dans l’air. Dernièrement, à la suite d’une expression de Jean-Denis Lejeune sur le sujet, un média faisait un petit « sondage » sur son site Internet sur la question. Interpellant, non?»

Georges-Louis Bouchez identifie une «contre-révolution réactionnaire», qui pourrait potentiellement remettre un sujet aussi tabou sur le tapis dans l’opinion. De son point de vue, cela s’explique notamment par «l’abus de certains droits». En d’autres termes, le fait que certaines peines ne soient pas suffisamment exécutées peut laisser poindre un sentiment d’impunité et, in fine, une tentation pour les solutions extrêmes.

«Il faut pouvoir parler de peines de sûreté plus longues ou du fait que de vraies perpétuités doivent pouvoir exister dans certains cas, comme de certains traitements médicaux pour les actes les plus graves –je pense  à certains agresseurs sexuels, aux pédophiles», ajoute-t-il encore.

La question «n’est pas à l’ordre du jour, ni dans l’opinion publique ni sur un plan politique, rassure aussi Carine Thibaut, la directrice générale d’Amnesty International Belgique francophone. Ce n’est pas à l’ordre du jour maintenant, à tout le moins, mais attention… On observe un goût pour l’autoritarisme, une montée des politiques répressives et un « effet Trump » qui implique que les leaders autoritaires ont le vent en poupe.» Des régimes qualifiés d’illibéraux ont accédé au pouvoir avec, dès lors, un recul sensible de droits fondamentaux.

242 fusillés

La Belgique, elle, a mis un peu de temps à l’abolir formellement. En réalité, ce fut vraiment le cas à l’occasion de la loi du 13 juin 1996, approuvée par l’ensemble des partis sauf l’extrême droite (Vlaams Blok et Front national). La Belgique était alors, sous le gouvernement Dehaene, le dernier pays de l’Union européenne de l’époque à abolir la peine de mort pour les crimes de droit commun, bien qu’elle n’était plus d’application de longue date.

Héritière du code napoléonien et de l’emploi de la guillotine, la Belgique a exécuté à 54 reprises (sur un total de 848 condamnations à la peine de mort) de sa fondation à l’année 1863. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais les contextes propres aux deux guerres mondiales allaient changer la donne. Le 26 mars 1918, un soldat déclaré coupable de l’assassinat de sa maîtresse est guillotiné, la grâce lui ayant été refusée par le roi Albert.

Mais c’est surtout au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la peine de mort ressurgit. De 1944 à 1950, quelque 242 personnes ont été fusillées pour des crimes commis en temps de guerre. Le dernier fut donc le commandant du camp de Breendonk, pour ce qui concerne le sol belge du moins, puisque des exécutions eurent encore lieu dans les colonies sous autorité belge. Le dernier exécuté, un ressortissant grec, le fut le 30 juin 1962, veille de l’indépendance du Burundi.

La dernière exécution sur le sol belge fut celle de Philipp Schmitt, ancien commandant du camp de Breendonk, le 9 août 1950. © Wikimedia

Pour le reste, et jusqu’à la loi de 1996, la totalité des condamnations ont fait l’objet de commutations. A la suite de l’inscription dans la Constitution, le tout dernier reliquat de la peine de mort a été évacué du droit belge à l’unanimité, moins l’abstention du Vlaams Belang, lors du vote d’une loi sur les assurances en 2020. Jusqu’alors, étonnamment, la couverture par assurance d’un décès ne s’appliquait pas lorsque l’assuré mourrait du fait d’une condamnation à mort…

Ce cheminement porte à croire qu’aucun retour en arrière n’est envisageable. «On n’en perçoit pas de risque, ce qui ne signifie pas que ça n’arrivera jamais», considère Carine Thibaut. Le sujet peut être remis sur le tapis, comme il le fut épisodiquement dans le contexte de l’affaire Dutroux, à l’occasion d’un événement particulièrement grave.

Quelque 145 pays à travers le monde ont aboli la peine de mort en droit ou au minimum en pratique, recense Amnesty International. La Belgique n’est pas près de quitter ce groupe, d’autant plus qu’elle s’est s’engagée dans une série de textes internationaux, notamment dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme. «La Belgique est abolitionniste, c’est une position qu’elle défend très clairement, il n’y a aucun doute à ce sujet», soutient Carine Thibaut.

Depuis longtemps, aucun parti, «si ce n’est des gens ayant fondé le parti Islam», n’y songe. «Cela ne fait même pas partie des programmes de partis d’extrême droite comme Chez Nous ou le Vlaams Belang. Même le Rassemblement national, en France, a supprimé ce point de son programme» en 2017, malgré une ambiguïté des discours parfois dénoncée.

Plusieurs verrous empêchent tout retour en arrière du droit.

De solides verrous

Indépendamment de l’état de l’opinion, rappelle Vincent Lefebve, plusieurs verrous empêchent tout retour en arrière du droit. Détricoter ce principe imposerait de passer par les étapes d’une déclaration de révision constitutionnelle: un consensus politique large pour ouvrir l’article à révision, une majorité des deux tiers après un passage aux urnes, etc. «Cela suppose un changement radical de la carte politique en Belgique.»

La question de la peine de mort constitue peut-être une ligne d’horizon infranchissable, mais cela ne doit pas occulter «l’environnement général dans lequel les droits humains se détériorent et avec des responsables politiques de plus en plus critiques par rapport à l’Etat de droit», note Vincent Lefebve, qui s’interroge par exemple sur le hiatus entre «les principes exposés dans la législation pénitentiaire d’un côté, et, de l’autre, le respect de ces principes sur le terrain».

La récente lettre signée par Bart De Wever et huit autres chefs d’Etat et de gouvernement à l’adresse de la Cour européenne des droits de l’homme, réclamant plus de latitude en matière de politique migratoire, peut aussi s’inscrire dans ce contexte, tout comme les multiples jugements non mis en œuvre visant l’Etat belge. Sans oublier, à un échelon plus large, le peu de cas qui est fait du droit international en bien des endroits du globe.

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