La grogne des magistrats se poursuit et entraîne des reports d’audience et des retards dans le traitement des dossiers. Un mouvement que ne cautionnent pas tous les avocats. Certains commencent à s’impatienter.
Depuis mai, un bras de fer se joue entre les magistrats et l’Arizona. Le train de réformes, notamment en matière de gestion des tribunaux et de pensions, passe très mal auprès des représentants du pouvoir judiciaire. Juges, procureurs et greffiers y voient une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire et au bon fonctionnement de la justice. Pour Manuela Cadelli, juge à Namur et membre de l’Association syndicale des magistrats (ASM), cette grève inédite se justifie par le fait que la réforme pourrait entraîner une réduction de 30% à 40% de leurs retraites et par un manque de moyens criants auxquels les gouvernements successifs n’ont pas remédié. «Nous avons des scrupules à nous battre sur un tel sujet, mais, au bout du bout de l’insulte qui nous est faite, il n’y avait pas d’autres solutions», expliquait-elle dans Le Monde.
Selon le Conseil supérieur de la justice (CDJ), un juge sur quatre partira à la retraite au cours des dix prochaines années. Et ce, alors que la Justice sera confrontée à un triplement de la demande de nouvelles nominations. «Le budget de l’ordre judiciaire s’élève à 1,4 milliard d’euros, soit seulement 0,44% de toutes les dépenses de l’Etat», souligne l’organe fédéral autonome.
Peu soutenus
Les négociations avec le fédéral s’annoncent toutefois difficiles, le vice-Premier ministre Vooruit Frank Vandenbroucke ayant fait savoir, dès le lancement du mouvement, qu’il avait «très peu de compréhension» pour les actions menées par les magistrats (De Zevende Dag, 11/05).
Suivi dans les différents arrondissements judiciaires, le mouvement se matérialise à travers des reports de dossiers, sauf pour les affaires pénales urgentes, pour plusieurs mois voire une année.
D’autres actions visent à rappeler au gouvernement fédéral l’état de délabrement de la justice. Des magistrats ont ainsi décidé d’envoyer un billet d’écrou à toutes les personnes condamnées et qui figurent sur une liste d’attente pour aller en prison, en leur demandant de se présenter à l’institution pénitentiaire désignée. Ce billet a été envoyé à quelque 4.000 personnes, alors que les prisons sont saturées et ne sont pas capables d’absorber un tel nombre de détenus.
Ce ralentissement n’est pas sans conséquences pour le justiciable et commence à irriter certains avocats, pas toujours solidaires de leurs collègues de la magistrature. «Ils ne sont pas vites gênés», tranche dans le vif Me Didier De Quévy. Récemment retraité, l’avocat pénaliste, grand habitué des procès d’assises, continue à plaider occasionnellement pour des petits dossiers. Il ne cautionne pas la grève des magistrats. «J’ai toujours eu des relations tendues avec la magistrature mais je considère qu’en tant que fonctionnaires au service de la nation, les magistrats n’ont pas à faire grève. Dans les dossiers roulage, par exemple, les affaires sont souvent remises. En tant qu’avocat, on part pour plaider plusieurs affaires sur la journée et on ignore totalement lesquelles seront prises ou non. C’est scandaleux et cela témoigne d’une justice qui fonctionne mal».
Peu sensible à l’argument de la «goutte d’eau», Me De Quévy estime que la magistrature constitue déjà une catégorie privilégiée, au regard des conditions dans lesquelles doivent travailler les avocats, et pointe ce qu’il perçoit comme une baisse de motivation dans le chef des juges qui rendent parfois des décisions sans réellement chercher à aller au fond des choses. «Je ne dis pas que leurs revendications au sujet de l’état de la justice ne sont pas légitimes mais avec l’Arizona, tout le monde est appelé à se serrer la ceinture. Eux comme d’autres.»
Me Fabian Lauvaux, avocat pénaliste au barreau de Charleroi, livre un avis plus nuancé. «Il est vrai que c’est ennuyant. Bien que les dossiers en droit pénal soient considérés comme prioritaires, on se présente aux audiences sans savoir si le dossier pour lequel on s’est déplacé sera examiné. Le parquet demande des reports et c’est au tribunal à dire s’il est d’accord ou non. Il faut savoir jongler avec tout ça».
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Certains avocats seraient prêts à se joindre à la contestation, non pour protester contre le régime des pensions, mais pour marteler une fois encore que la justice a besoin de davantage de moyens. «Ce matin encore, j’ai reçu une réponse automatique à un mail émanant du service des peines et des recours pénitentiaires expliquant qu’il faudrait un certain temps pour traiter ma demande car il manque 35 membres du personnel.»
«En tant qu’indépendants, quand on se révolte, cela dure moins longtemps. Nous sommes habitués à faire avec ce que nous avons en main et à nous adapter, comme c’est le cas pour d’autres métiers, les infirmiers par exemple. Je ne dis pas que cette grève est inutile, mais il ne faut pas prendre en otage le justiciable, se positionne un autre avocat, qui préfère garder l’anonymat. On sent par ailleurs que certaines personnes, au sein de la justice, ne sont pas prêtes à travailler plus. Il arrive qu’à 15h30, plus personne ne réponde au téléphone». Un manque de motivation qui n’est heureusement pas généralisé, nuance l’avocat. «Il faut aussi se rendre compte que le travail de magistrat implique une incroyable responsabilité. Ceux de la Cour d’appel, notamment, sont fortement mis sous pression. Les hauts magistrats sont soumis à des cadences infernales.»