© Frédéric Raevens

Jérôme de Warzée : « Je rêvais d’être Messi, j’ai été champion de Scrabble »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A quel sport vouent-ils une véritable passion ? Pourquoi ? Depuis quand ? Cette semaine : l’humoriste Jérôme de Warzée, animateur du Grand Cactus à la RTBF, évoque sa dévotion pour le Standard.

Aujourd’hui encore, cela reste mon rêve de devenir footballeur professionnel.  » A 48 ans, Jérôme de Warzée, adepte de l’humour cash, chroniqueur sur Vivacité et animateur de l’émission à succès le Grand Cactus sur la Deux, ne se départit à aucun moment de son sens du second degré lorsqu’il évoque ses passions sportives.  » Je me rends évidemment compte, au fil des années, que je devrais renoncer à cet espoir, sourit-il. Pour que je signe prochainement à Barcelone, il faudra quand même qu’ils soient conciliants. Mais je suis atteint de ce virus depuis tout petit. Et j’ai toujours été frustré à toutes les étapes de ma vie de joueur.  » Il se voyait déjà en haut de l’affiche du ballon rond… Finalement, il a remporté des titres dans une tout autre discipline – le Scrabble – avant d’être porté en triomphe… en tant qu’humoriste.

Pourquoi il est frustré par le foot

Quand il est enfant, les parents de Jérôme de Warzée ne veulent pas qu’il joue au football. Un sport trop populaire à leurs yeux. La famille de Warzée est davantage passionnée par le hockey, voire le tennis, qui correspondent mieux à son standing. Les deux oncles du petit Jérôme ont d’ailleurs participé aux Jeux olympiques avec l’équipe nationale et son arrière-grand-oncle fut quart de finaliste à Wimbledon, après avoir joué la finale de la Coupe Davis, au début du xxe siècle.  » On m’a donc inscrit en hockey, au Léopold, un club assez huppé de la banlieue bruxelloise, raconte-t-il. Je ne dis pas que je ne m’y amusais pas, mais je préférais de loin le foot et j’ai tellement tanné ma maman qu’à 12 ans, elle a fini par m’inscrire dans un club. Mais mes parents n’étaient pas « foot » du tout, vraiment pas. Et cela m’énerve encore aujourd’hui d’en entendre certains refuser d’aller se geler au bord d’un terrain pour accompagner leurs enfants. Dans ce cas-là, n’en faites pas, mettez un préservatif… Combien de Messi en puissance ont été empêchés de réussir par un tel manque de soutien ?  »

J’étais superbon. Je marquais des tonnes de buts.

Jérôme de Warzée exerce son talent en tant que milieu offensif dans un petit club ucclois, en provinciales.  » Cela va peut-être faire très prétentieux de le dire, mais je sais que j’étais superbon, fanfaronne-t-il. C’est de moi que l’on parlait sur le terrain, alors que j’avais complètement décroché à l’école. Un pur gaucher, en plus, ce qui ne courait pas les rues. Comme disait Raymond Goethals, le pied droit ne me servait qu’à monter dans le tram. Je marquais des tonnes de buts. En cadet et en scolaires, nous avons gagné plusieurs fois le championnat. Mais nous étions au milieu des années 1980, les infrastructures n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Je ne savais pas comment m’y prendre, j’étais trop discret pour aller frapper à la porte d’un grand club comme Anderlecht. J’ai joué jusqu’à mes 17 ans, puis je me suis blessé, salement.  » Il doit définitivement renoncer aux étoiles.

Les années 1970 et 1980, ce sont les années où les clubs belges rayonnent encore au niveau international. Jérôme de Warzée a choisi son camp : il est Standard, plutôt qu’Anderlecht.  » Je ne m’explique toujours pas pourquoi, lâche-t-il. J’ai découvert l’équipe liégeoise dans ses bonnes années, juste avant le scandale de corruption de Waterschei. Un de mes premiers grands souvenirs télévisés, c’est la finale européenne perdue contre Barcelone, en 1982, où le Standard a été volé au coin d’un bois par un arbitre allemand qui s’est d’ailleurs vu offrir une villa sur les hauteurs de Montjuich, quelques années plus tard – c’était arrangé, déjà… Mes oncles et tantes, supporters d’Anderlecht, m’ont emmené au stade et je me suis rendu compte que c’était plutôt un club flamand, ce qui ne me correspondait pas vraiment. Et le positif, en tant que supporter du Standard, c’est qu’on n’est guère habitué à la victoire, on en profite donc davantage.  » Voilà pourquoi, affirme-t-il en riant, il comprend ce que vivent ses homologues anderlechtois cette saison, alors que les mauves accumulent les mauvais résultats.

Mon équipe - Le Standard:
Mon équipe – Le Standard: « J’ai découvert l’équipe liégeoise dans ses bonnes années, juste avant le scandale de corruption de Waterschei. Un de mes premiers grands souvenirs télévisés, c’est la finale européenne perdue contre Barcelone, en 1982. »© BELGAIMAGE

Pourquoi il a triomphé avec le Scrabble

A 16 ans, Jérôme arrête l’école, accablé par l’ennui et les mauvais résultats. Il se lance dans l’aventure des sports cérébraux, le Scrabble en particulier.  » J’y jouais régulièrement avec ma mère, confie-t-il. Un jour, elle m’a offert un jeu dans lequel il y avait un petit carnet avec des parties à rejouer, complétée par des adresses de la fédération belge. Je me suis rendu compte qu’il y avait un club au bout de ma rue. J’y suis allé, un dimanche après-midi : il devait y avoir une quinzaine de personnes, dont la moyenne d’âge se situait dans les 70 ans. J’ai été accueilli très gentiment : cela arrivait tellement rarement qu’un jeune se présente à eux. Le Scrabble, pourtant, comme les échecs, devrait être imposé dans les écoles : il y a de la cérébralité, il faut réfléchir à ce que l’on fait, tenir ses nerfs, gérer le temps… On ne doit rien avaler, on doit réfléchir.  »

En un an, le jeune homme se prend au jeu.  » J’ai commencé à faire des tournois, à étudier le dictionnaire et je n’ai plus fait que ça. En réalité, je mémorisais des listes de mots avec des anagrammes. On m’a bombardé au championnat du monde junior, où je n’ai pas été très bon parce qu’il s’agissait de ma première vraie compétition. Mais j’ai finalement intégré l’équipe nationale belge de Scrabble. Et je suis devenu professionnel : je participais à des tournois en France, en Afrique, au Canada, en Roumanie… C’est un vrai microcosme, très organisé. Comme les échecs, où certains peuvent gagner beaucoup d’argent. Au Scrabble, il n’y a pas vraiment moyen d’en vivre même si, en remportant un grand festival en France, on peut décrocher 4 000 ou 5 000 euros. Pendant une dizaine d’années, je n’ai fait quasiment que ça. A côté, pour gagner ma vie, j’étais instructeur de conduite auto-école.  »

A 33 ans, il lui vient subitement l’envie d’écrire un spectacle.  » J’ai dû faire un choix : c’était le Scrabble ou la scène. J’ai arrêté le Scrabble. Mais j’ai été champion de Belgique à trois reprises. Ce fut une expérience incroyable. Tous les mots de la langue française de moins de neuf lettres, je les connais. Tous ! Mais je ne connais pas les définitions. Je « scrabblais idiot », comme on dit. C’est un jeu mathématique, en réalité, plus que littéraire. C’est très stratégique. La preuve ? Depuis deux ans, Nigel Richards, un Néo- Zélandais, est champion du monde francophone alors… qu’il ne parle pas le français. Il a appris, par une nouvelle méthode, toutes les combinaisons possibles. A mes yeux, ce qu’il fait, c’est plus fort qu’Usain Bolt !  »

Mon héros - Nigel Richards
Mon héros – Nigel Richards « Ce Néo-Zélandais est champion du monde de Scrabble francophone alors… qu’il ne parle pas le français. Il a appris, par une nouvelle méthode, toutes les combinaisons possibles. A mes yeux, ce qu’il fait, c’est plus fort qu’Usain Bolt ! »© JONATHAN BRADY/BELGAIMAGE

Pourquoi on peut rire du foot… avec prudence

Jérôme de Warzée trouve finalement sa voie en devenant humoriste. A côté de cela, sa vie reste rythmée biologiquement par le ballon rond.  » Je sais exactement ce que je faisais lors de chaque Coupe du monde, s’enorgueillit-il. Le football est devenu quelque chose d’industriel, on peut désormais regarder un match tous les soirs de la semaine à la télé. En écrivant, ce que je fais tout le temps, je mets du foot. Comme ça, je n’ai pas l’impression de travailler. J’ai rédigé des milliers de chroniques et de spectacles avec, en toile de fond, un match que je suivais distraitement.  »

Ce qui devait arriver arriva : avec Martin Charlier, dit Kiki l’innocent, Jérôme de Warzée est amené, en 2014, à conjuguer son métier d’humoriste avec sa passion d’enfance.  » Michel Lecomte, directeur des Sports à la RTBF, nous a offert l’opportunité de regarder le football avec humour. Nous avons fait la Coupe du monde au Brésil, en direct tous les soirs. Puis, nous étions régulièrement à La Tribune, le lundi soir. Durant toute cette période, nous avons vécu des moments grandissimes. Je me souviens d’un reportage à Lille pour le Belgique – pays de Galles de triste mémoire, lors de l’Euro 2016 : avant le match, les supporters nous ont porté en triomphe pendant une vingtaine de minutes. C’est incroyable de vivre un moment pareil. Nous ne nous rendions pas compte de l’aura que nos séquences avaient auprès des gens.  » Ce sport est un sujet formidable à traiter sur le plan humoristique, entre changements d’entraîneurs, mercatos records, décisions controversées prises avec le VAR, iniquité des play-offs avec le nombre de points divisé par deux…  » C’est hypersociologique, aussi. La ferveur atteint des niveaux invraisemblables. Le football est en outre un sport déconcertant parce qu’il n’y a finalement… que des perdants. Chaque année, en Champions League, il n’y a qu’une équipe gagnante – et généralement, c’est le Real Madrid. Cela fait plusieurs années que les grosses cylindrées ratent chaque année leur saison. L’époque où l’Etoile rouge de Belgrade pouvait remporter un tel sacre est révolue. Seul le titre remporté par Leicester en Angleterre, ces dernières années, a pu surprendre. C’était digne d’un film. Et au fond, tout le monde voulait qu’il le remporte, c’est dire.  » Après quelques années de vannes sur le foot, Jérôme et Kiki l’innocent ont finalement pris du recul.  » Omniprésents, nous utilisions toujours les mêmes codes. Kiki a même composé des hymnes pour des compétitions. Désormais, on utilise ces personnages de façon plus parcimonieuse.  » Il est arrivé, aussi, que certains invités n’apprécient guère d’être chambrés par ces deux hurluberlus. Et qu’ils s’en plaignent : ce milieu n’est pas toujours aussi ouvert qu’il paraît.

Mon personnage - Kiki l'innocent :
Mon personnage – Kiki l’innocent : « Avec Martin Charlier, qui jouait Kiki l’innocent à la RTBF, nous ne nous rendions pas compte de l’aura que nos séquences avaient. Je me souviens d’un reportage à Lille pour le Belgique – pays de Galles de triste mémoire, lors de l’Euro 2016 : avant le match, les supporters nous ont porté en triomphe pendant une vingtaine de minutes. »© LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

Pratiquer l’humour avec le football, reconnaît Jérôme de Warzée, est parfois risqué.  » Avec nos propos parfois corrosifs, nous nous mettions forcément à dos les supporters de certaines équipes. Martin Charlier n’ayant peur de rien, il est sorti un jour de la voiture avec son maillot du Standard et ses cornes face aux supporters des mauves : je me suis dit que cela aurait pu mal tourner. Par la force des choses, je vois cela avec un oeil un peu absurde. Même si je sais qu’il faut faire attention à ce que l’on fait.  » L’histoire du maillot porté pour la photo en atteste. Cette tunique verte de l’ancien gardien japonais du Standard, Eiji Kawashima, lui avait été offert par Kiki.  » Comme je suis un peu bête, je l’ai portée pour assister au match Belgique-Japon devant un écran géant à Stockel, au milieu des supporters. Pour conjurer le sort, sans doute, car Kawashima était sur le terrain. Mais après 50 minutes, c’est 0-2 pour le Japon et l’alcool aidant, certains se disent : « de Warzée fait son malin avec ce maillot japonais ». Flippé, je me suis éloigné et j’ai mis mon maillot à l’envers, avec les coutures visibles. Les Diables l’emportent et, dans l’euphorie, j’ai fait des selfies en ayant oublié l’épisode. Certains se sont dit : « Mais il est con, de Warzée, il a mis son maillot vert à l’envers ! »  »

Jérôme de Warzée a repris le football, il y a trois ans.  » Sur un vrai terrain, en Abssa (NDLR : football amateur). Etant un petit rapide qui dribble, je me suis vite heurté à la rugosité des adversaires. Pour certains, c’est un sport de combat : ils taclent à la hauteur des yeux. C’est plus dangereux à ce niveau-là qu’en première division. Je me suis blessé, puis j’ai traîné une tendinite pendant six mois. J’ai donc opté pour le minifoot avec des copains, dont Adrien Devyver (avec qui il anime Le Grand Cactus), Kevin Borlée, Denis Dupont (coureur automobile)… Mais là, j’ai un problème au genou. La vieillesse est un naufrage. Autant le dire, je suis le Vincent Kompany des terrains amateurs.  » Avec, en plus, un zeste d’autodérision.

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