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J’ai testé la recherche d’ecsta, un soir à Bruxelles

Urbains, proches de la trentaine, ils travaillent, étudient ou chôment. Leur particularité : émailler leurs virées nocturnes de stimulants délivrés sans ordonnance. Le temps d’un soir, immersion au sein d’une de ces joyeuses bandes de fêtards.

« Dedjeu ! C’est fort ! » Un cri étouffé résonne dans la nuit. Il est 0h30. Déchaîné aux abords du Bois de la Cambre, un garnement à la barbe de trois jours est « en pleine montée ». La micro-dose (+ ou – 150 mg) de MDMA qu’il a ingérée 30 minutes plus tôt commence à faire son effet. « Allez, viens! On va rire! », beugle-t-il m’entrainant au rythme des basses sourdes.

Un petit tour un bar, puis mon camarade va se planter dans le fumoir où il m’abandonne, accostant le premier venu avec une facilité déconcertante. « Pour se procurer de l’ecsta ce n’est pas compliqué, me glisse le comique de la clique.

Il suffit de faire un tour aux toilettes ou de demander sur la piste. Après pour se rassurer sur la qualité du produit vaut mieux en acheter avant de sortir via un bon plan ». Comprenez un dealer, digne de confiance, qui pourra vous conseiller et rassurer. A l’instar du monde professionnel, le milieu de la nuit fonctionne par réseaux : « plus tu sors aux mêmes endroits, plus tu connais de monde, plus la confiance s’installe… », résume le surnommé Tonton.

Quelques heures plus tard dans les toilettes d’une autre soirée au nord de la capitale, mon guide barbu s’envoit un « plomb » (pilule d’ecstasy) plutôt coûteux (10€), « mais ça vaut le coup, il est méchamment concentré », justifie mon camarade. Traduction : la pilule stimule plus fortement et plus longtemps. Si longtemps que l’on se fait entraîner comme Emile et Images « jusqu’au bout de la nuit, (…) jusqu’à l’insomnie ».

Il est 7h, le soleil arrose copieusement les Halles Saint-Gerry et pourtant la fête est loin d’être finie. « Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Une vraie tamponne, ça doit se clôturer par une After .Obligé ! « , sourit l’un de ces clubbers de l’extrême après avoir aspiré un petit coup de speed, de l’amphétamine en poudre surnommée parfois la coke du pauvre (10€ au lieu de 50€ le gramme pour la cocaïne), même si les effets ne sont pas totalement comparables.

Après un passage éclair dans un des derniers bars dansant ouvert à proximité de la Bourse, la petite troupe se réunit chez Popeye. On ressort les platines, y’en a qui dansent, y’en a qui s’enlacent, y’en a qui rigolent, et finalement un qui s’endort. Certains ne sont pas prêts de retrouver leurs oreillers. Ils sont en mode « week-end marathon ». Le principe : 2 voire 3 jours de fêtes intensifs sans dormir.

Esquinté, j’abandonne lâchement mes partenaires de soirée. Certains perçoivent encore l’effet de leur ecstase en poudre, en pilule ou en cristaux. D’autres respirent la mélancolie, la tristesse ou la détresse. Il est midi. Ils se sont laissé entraîner par les fantômes de l’ennui…

Un peu d’histoire…

Au début des années ’90, l’émergence de l’ecstasy se conjugue avec le développement de la musique techno. En quelques années, l’ecsta va déborder de ce mouvement rave party et être associée plus largement à l’espace festif des jeunes.

On observe une vulgarisation du produit dans le sens où aujourd’hui « ce n’est plus difficile de s’en procurer, mais aussi parce que les effets (recherchés, mais aussi indésirables) sont infiniment mieux connus qu’à leur apparition, notamment grâce aux interventions des structures actives en réduction des risques », rappelle Miguel Rwubu, chargé de projets chez Eurotox.

Néanmoins, on ne peut pas parler de massification. « En termes de prévalence, la consommation d’ecstasy au sens large reste relativement faible puisqu’elle n’a touché que près de 2% des 15-34ans sur un an en Belgique (n.b. : Selon la dernière enquête de santé réalisée par interview par l’Institut Scientifique de Santé Publique en 2008.), tempère Miguel Rwubu.

L’ecstasy à Bruxelles : Mode d’emploi Qui en consomme?

Dans l’imaginaire collectif, c’est le jeune raveur débraillé et marginal qui se dandine à 20 centimètres des baffles d’un teknival (free-party). À côté de cette consommation récréative, « on observe une exportation du produit des milieux festifs à la sphère privée.

Dérive qui s’illustre par des gens dépendants à l’ecstasy pour pouvoir travailler, lutter contre le stress, etc… », note Antoine Boucher, porte-parole d’Infor-Drogues, autre ASBL qui informe sur la problématique des drogues. Etablir un portrait-robot du gobeur de poudre de perlimpinpin est donc aussi vain que de tenter de dresser le profil-type de l’afficionado du chocolat noir ou de l’accro au fromage de Herve…

Où en trouver ?

En fonction du lieu de la soirée (boite de nuit, rave party, soirée privée) et du style musical de celle-ci (électro, techno, drum), le public varie et l’offre de produits de synthèse aussi (MDMA, kétamine, speed,…). « Etablir un recensement précis à Bruxelles des endroits de reventes et de consommation de la multitude de produits de synthèse devient impossible », déclare-t-on chez Modus Vivendi, ASBL active en matière de réduction des risques liés à l’usage de drogues.

« L’offre est variable, éclatée et énorme et en plus le mode de commercialisation est extrêmement complexe à référencer : ce sont des produits festifs qui s’écoulent facilement au sein de milieux sociaux élargis », rappelle de son côté Brice De Ruyver, coordinateur à la Cellule Générale de Politique Drogues. Et tout cela sans compter, la possibilité de se fournir aisément via le net. « C’est devenu un jeu d’enfant et le consommateur prend moins de risques puisqu’il court-circuite le dealer et se fait livrer directement à domicile », souffle-t-on du côté d’Infor-drogues.

Pour combien ?

A nouveau, difficile d’établir un prix moyen pertinent au vu de la multiplicité des produits. On peut néanmoins estimer qu’une pilule d’ecstasy se monnaie généralement autour de 5€ pour une stimulation de plusieurs heures en fonction de son contenu. Pour un produit plus concentré comme de la MDMA sous forme cristal, le prix oscille entre 30 et 40€ le gramme. Un produit plus cher donc mais qui permet plusieurs prises (en moyenne 8). Vu la pureté du produit 150 mg suffisent pour se percher.

Quels risques ?

Si comme pour toutes les autres substances psychoactives un risque de dépendance existe, l’ecstasy se distingue surtout par des accidents aigus d’ordre psychiatrique, ou physique. « Cela se manifeste pour plusieurs raisons, explique le Dr. Pierre Schepens, responsable de l’unité psychiatrique de la Clinique de la Forêt de Soignes. D’abord, parce que l’usager ne connaît pas le contenu réel du produit, ce qui peut causer des réactions paradoxales.

Il y a également le phénomène de déshydratation lié à l’environnement festif où on se dépense beaucoup dans un endroit confiné, favorisant l’activité de l’ecstasy. On observe également des problèmes tensionnels ou cardiaques, des syndromes sérotoninergiques (une intoxication au niveau du cerveau) mais aussi dans les cas extrêmes des comas. »

TENDANCE

Le come-back de la MDMA

A l’origine, l’ecstasy se présentait sous la forme d’une molécule : la MDMA (3,4-méthylène-dioxy-N-méthylamphétamine) également appelée « drogue de l’étreinte » pour la sensation de rapprochement qu’elle procure avec les autres. Désormais, l’ecstasy renferme une multitude de substances si bien que la signification même du mot ecstasy s’est noyée dans un terme générique vide de sens.

Globalement marquée par une pénurie importante depuis plusieurs années, la MDMA est à nouveau à la mode depuis 2009, mais principalement sous sa forme « cristal » selon un rapport de l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT). Une tendance qui s’explique pour 3 raisons : le cristal provoque des effets plus prononcés, présente une plus grande pureté et affiche un prix en diminution (de l’ordre de 50% en l’espace de trois ans). « Néanmoins, depuis le milieu des années 2000, on observe globalement une stabilité voire une baisse de la consommation d’ecstasy dans l’ensemble des pays européens », analyse Henri Bergeron, membre du comité scientifique de l’OEDT.

Petit lexique de « l’ecstasy man » Percher: Si d’après la définition classique du Robert, percher signifie « se mettre, se tenir sur un endroit élevé », dans le jargon des utilisateurs d’ecsta se percher indique se défoncer

Gober: Avaler une pilule d’ecstasy.

Montée: Début des effets.

Chute: Fin des effets.

Parachute: Dose d’un produit de synthèse (MDMA par exemple) en poudre ou sous forme de cristaux, contenue dans une feuille à rouler pour être ingérée.

Vriller: Phénomènes qui s’observent lors d’une montée puissante : légère déformation du visage ou révulsion des yeux.

Niaker: Contractions de la mâchoire provoquées par l’ecstasy.

Pierre Vangrootloon

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