Une belle écharpe noir-jaune-rouge, mais un pouvoir décisionnel désormais proche du néant. © Christope Licoppe/Isopix

Hervé Jamar…jamais peinard

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le 1er octobre 2015, Hervé Jamar quittait le gouvernement fédéral pour devenir gouverneur de la province de Liège. Si le poste a la réputation d’être un placard doré, il ne protège pas des attaques.

Quand la SNCB invite, les élus rappliquent. Le palais provincial était bondé de bourgmestres, échevins et députés, le 24 mai dernier, venus écouter la présentation du plan de transport 2017. En maître de cérémonie, Hervé Jamar lança quelques mots d’introduction. Brefs, concis. Déjà trop pour une partie de l’assemblée.  » Qu’est-ce qu’il vient faire là ?  » A Liège comme ailleurs, l’entreprise publique s’était adressée au gouverneur MR pour mobiliser les édiles. Mais Liège n’est pas tout à fait ailleurs.  » Ici, on ne procède pas comme ça !  »

Si la SNCB avait perçu toutes les subtilités institutionnelles locales, sans doute se serait-elle tournée vers Liège Europe Métropole (feu la  » coordination provinciale des pouvoirs locaux « ) et l’un ou l’autre de ses coprésidents, André Gilles et Willy Demeyer (PS). Mais puisque la renommée de cette instance ne dépasse guère les frontières principautaires, Hervé Jamar en a pris pour son grade. Une nouvelle fois.

Car on ne lui passe rien, au nouveau gouverneur liégeois. Une tempête de neige plombe plusieurs communes de l’arrondissement de Huy ? On l’accuse d’avoir voulu tirer la couverture médiatique à lui seul. Un accident de train à Saint-Georges-sur-Meuse ? On lui reproche d’avoir été difficilement joignable au moment de coordonner la sécurité. Une grève des transports en commun éclate ? Ses ministres de tutelle, Christophe Lacroix et Paul Furlan (PS), lui rappellent son  » devoir de réserve  » qu’il aurait négligé en véhiculant des étudiants restés à quai, à l’instar d’autres élus MR. Son épouse publie des commentaires engagés sur les réseaux sociaux ? On le gratifie d’un  » Hé, c’est ta femme le gouverneur ?  »

Ses discours font jaser ( » il devrait mieux les préparer ou ne pas partir dans des digressions étonnantes « ), tout comme ses supposées confessions auprès de ministres wallons quant à l’omnipotence du collège provincial ( » et ceux-ci s’empressent de le répéter à qui de droit « ). Même une simple écharpe noir-jaune-rouge portée lors d’un événement officiel lui vaut des commentaires acerbes des élus qui, eux, ne l’arboraient pas.

u0022Hervé aime les gens et la politique. Il semble avoir du mal à décrocheru0022

Comme s’il était attendu au tournant. Ses  » petits couacs à répétition  » énervent. En off, bien sûr. Et ceux qui ne préfèrent pas s’exprimer lâchent tout de même un condescendant  » je ne veux pas l’enfoncer davantage « .

Inadéquation

 » Il y a inadéquation entre la fonction et l’homme, soutient un élu provincial. Sauf que, d’habitude, on se pose ces questions-là avant une nomination, pas après. Le parachutage a été trop rapide « .  » Hervé est issu du tissu local et national. Il aime les gens, la politique. Il semble avoir du mal à décrocher « , approuve un libéral. L’ancien ministre fédéral du Budget n’accepterait pas ce pouvoir décisionnel désormais proche du néant. Il voudrait peser, notamment sur les matières liées à la sécurité.  » Comme sur la réforme de la sécurité civile et le financement des zones de secours, note un élu. Il voudrait intervenir, mais il doit accepter que c’est le collège qui a la main parce que c’est lui qui tient les cordons de la bourse.  »  » Un gouverneur est l’invité du collège sur certains sujets, pas le partenaire « , prolonge un autre.

La collaboration avec le député provincial-président André Gilles, habitué à  » régner en monarque « , dixit plusieurs élus, serait houleuse. Ce dernier admet que  » certains petits ajustements ont été nécessaires « , mais réfute de quelconques relations compliquées. D’autres sont plus directs.  » Travailler avec André Gilles n’est pas simple, mais Hervé donne l’impression de tendre le bâton pour se faire battre « , décrit un élu.  » Ils n’ont pas la même façon de faire de la politique, analyse Marc Hody, chef de groupe Ecolo à la Province. En plus, l’hypothèse d’un gouverneur socialiste à Liège avait un temps circulé. La non-concrétisation de ce scénario a ajouté aux difficultés et frustrations. Pour fonctionner entre eux, il faudrait du respect et la reconnaissance mutuelle d’une certaine épaisseur politique.  »

Hervé Jamar l’assure : l’entente est bonne.  » Il y a eu un jour des échanges vifs, mais dès la semaine suivante, ça s’est calmé. J’ai découvert une institution et un rôle différent de ce que j’avais connu. Il a fallu un mois de digestion, mais aujourd’hui ça se passe bien.  »

Bien ? Certains libéraux n’emploieraient pas ce mot.  » Déjà, ce n’est pas lui qu’on voulait à ce poste « , grogne l’un d’eux, rappelant que le MR liégeois soutenait les rêves de gouvernorat du député wallon Philippe Dodrimont, brisés par la nomination surprise de Hervé Jamar.  » En plus, il a fait très peu de pas vers nous. On mord tous sur notre chique en attendant un retour de sa part. Rien ne vient.  »  » Il est temps qu’il se ressaisisse « , abonde un autre.

« Cela va finir par énerver »

 » Il faut l’aider, plaide un CDH. Il devrait être entouré par un vrai collaborateur de proximité, qui connaît le gouvernorat.  »  » Cela ne va pas pouvoir durer quinze ans, un équilibre devra être trouvé, prédit Marc Hody. Sinon, ça va finir par énerver un certain nombre de mandataires locaux, ainsi que les acteurs liégeois qui comptent.  »

L’intéressé tombe presque des nues. De la rancoeur libérale ?  » Je n’ai pas remarqué du tout. Mais peut-être qu’on le dit derrière moi.  » Non, il ne se sent pas à l’étroit dans son costume de gouverneur. Même s’il concède qu’il fut  » titillé  » de ne plus être bourgmestre de Hannut.  » La politique, c’est une sorte de drogue. Une fois qu’on y est, on y va à fond. J’ai fait ça pendant trente ans, maintenant je fais de la politique non colorée, c’est différent.  » Il s’était donné une année pour se  » situer « . Elle arrive à son terme. Et hormis peut-être un mois de flottement, il juge son bilan positif.  » Je pense que nous avons trouvé progressivement le cheminement de nos compétences respectives. Sereinement. J’en veux pour preuve que lorsque j’ai dû m’absenter pour des soucis de santé, cet été, j’ai reçu des lettres et des lettres, dont une du collège provincial disant « tu nous manques déjà ». Bon, ça, c’était peut-être un peu trop.  »

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