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Guerre des pouvoirs: une nouvelle ère politique s’est ouverte

Le bras de fer budgétaire qui débute entre le gouvernement Michel Ier, les Régions et les Communautés est un test majeur pour le fédéralisme belge. Seule la contrainte européenne amène encore nos institutions à collaborer vraiment. Mais la victoire de la gauche radicale en Grèce va empoisonner l’atmosphère.

C’est « LE » test grandeur nature de la loyauté fédérale : le gouvernement fédéral doit négocier avec ses homologues régionaux et communautaires une trajectoire budgétaire respectant nos engagements européens. Date butoir : fin avril. Les travaux d’Hercule ont débuté discrètement dans les cabinets ministériels. Au départ d’une mauvaise nouvelle initiale : en 2014, le déficit budgétaire s’est envolé à 3,3 % du Produit intérieur brut (PIB), au-delà des 3 % autorisés par l’Union européenne. Une première passe d’armes entre pouvoirs en a résulté, le gouvernement fédéral rejetant la responsabilité de ce dérapage du côté des Régions et Communautés.

La négociation budgétaire rallume un contentieux chargé entre tous les pouvoirs, comme le démontrent déjà les dix-sept points à l’ordre du jour du premier Comité de concertation officiel, qui a eu lieu ce mercredi 28 janvier. « C’est un test ! insiste Rudy Demotte, ministre-président francophone. J’attends que le fédéral démontre concrètement son désir de loyauté fédérale en prenant sa part d’effort. Si nous sommes dans le même lit, il faut répartir équitablement la couverture. C’est d’autant plus important vu le contexte communautaire belge, accentué par les positions idéologiques au fédéral, clairement à droite. La Belgique est au-devant de ce moment décisif-là. Or, lors des premiers échanges à ce sujet, nous avons ressenti une certaine tiédeur au fédéral, surtout dans les rangs libéraux. »

Au sein des cabinets fédéraux concernés, tant chez le Premier ministre, Charles Michel, que chez son ministre du Budget, Hervé Jamar, on souligne que les règles sont claires dans la répartition de l’effort. Chacun devra balayer devant sa porte et, au vu des données concernant le déficit 2014, les entités fédérées devront s’imposer un tour de vis budgétaire supplémentaire. « Notre volonté de collaborer est réelle, dit-on chez Charles Michel. Mais il ne faut pas oublier que le fédéral verra sa capacité budgétaire réduite en conséquence de la sixième réforme de l’Etat, y compris au niveau fiscal. » Un calendrier précis est fixé pour l’élaboration de la trajectoire budgétaire, avec en point d’orgue, le 3 avril, un Comité de concertation, l’organe qui réunit officiellement le gouvernement fédéral et ceux des entités fédérées.

Pour le PS et ses alliés régionaux, il y aura bel et bien un bras de fer pour répartir plus équitablement l’effort entre entités. « Les Régions doivent être très attentives, met en garde Olivier Maingain, dont le FDF gouverne en Région bruxelloise avec le PS et le CDH. Le transfert des charges du fédéral sur les pouvoirs locaux est devenu énorme : exclusion des chômeurs vers les CPAS, diminution des dotations des zones de police, transfert des charges au sujet des services de pompiers… Or, ce sont les Régions qui assumeront in fine cette détérioration préoccupante des finances communales. Là se situe le principal bras de fer à venir. Il y reste en outre beaucoup d’inconnues au sujet des transferts budgétaires liés à la sixième réforme de l’Etat. Nous avions dit qu’il s’agissait d’une politique d’austérité à charge des entités fédérées : cela se confirme. »

« Une nouvelle ère politique s’est ouverte, qui met notre système sous tensions, analyse Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCL. Cette négociation budgétaire est révélatrice de la difficulté d’avoir un réel dialogue entre les différents niveaux de pouvoir en Belgique. Mais ce n’est pas le seul test de la loyauté fédérale : il y en a eu d’autres et il y en aura d’autres. Le dialogue est d’autant plus indispensable que nous sommes dans un système où tant les compétences que les collectivités sont fortement imbriquées, enchaîne Marc Verdussen. En matière économique ou sociale, c’est de la dentelle ! La difficulté supplémentaire, sous cette législature, c’est que les majorités politiques ne sont pas les mêmes selon les Régions. Bien sûr, c’est normal dans un Etat fédéral. Mais en Belgique, cela pose davantage de problèmes qu’ailleurs. Il y a toujours eu une forme de conscience et de sens des responsabilités par rapport aux contraintes européennes, mais la victoire de Syriza en Grèce pourrait créer une onde de choc. »

Résultat possible, selon Marc Verdussen ? « Cela pourrait générer un appel à une plus grande mainmise du fédéral. Dans certains Etats fédéraux, c’est lui qui a le dernier mot en cas de blocage. Cela clarifie les choses. Ce débat resurgira chez nous si la discussion devenait trop difficile. »

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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