Après quinze ans derrière les barreaux, a embrassé une carrière artistique. © RTL

François Troukens, ancien braqueur devenu auteur et scénariste

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

François Troukens se raconte, sans pudeur ni tabou, dans un livre grisant qui montre qu’un homme peut toujours se relever. Le Vif/L’Express l’a lu en primeur.

Il a quelque chose d’animal. Quelque chose du fauve, affamé et roué. Comme braqueur de fourgons, d’abord : François Troukens a aligné les coups avec une incroyable minutie dans leur préparation, avant de flamber l’argent façon rock star. Comme détenu, ensuite: il s’est évadé de prison, mais il y a aussi étudié la cuisine, l’informatique, l’anglais… Comme auteur-réalisateur et animateur, désormais: depuis quelques années, après avoir purgé une peine de quinze ans, l’ex-truand belge a signé plusieurs BD, réalisé un court-métrage (Caïds) et le film Tueurs (sortie le 6 décembre), animé un magazine judiciaire à succès sur RTL-TVI, joué le chroniqueur radio sur Bel RTL…

Toutes ces années folles, il les raconte dans un livre qu’il a écrit, seul, à la sueur de ses souvenirs. Une brique épaisse qu’on avale en ayant l’impression de foncer à 200 à l’heure en Maserati sur le ring de Bruxelles. Il raconte tout, sans concessions: son enfance écolo au sein d’une grande fratrie à Haut-Ittre, ses années « adrénaline » de gangster, sa souffrance en prison (en France et en Belgique), ses amours et ses incartades, son fils Antoine (aujourd’hui musicien), ses remords, ses cavales – au cours desquelles il s’est retrouvé sur le yacht de Madonna, accosté à Saint-Barth, ou dans l’enfer de la guerre civile en Côte d’Ivoire -, son procès d’assises en 2006 et sa longue remontée vers la surface, enivrante mais plus douce, de la création artistique.

François Troukens, né le 31 décembre 1969, à Nivelles, règle des comptes aussi, avec certains magistrats et l’absurdité carcérale, estimant néanmoins avoir payé le juste prix pour ses méfaits, même s’il clame toujours son innocence dans la sanglante attaque de Villers-la-Ville en 1996. Il livre sa vérité. C’est passionnant, car sa vie est romanesque, mais, surtout, parce que son incroyable parcours montre qu’on peut « s’en sortir » après une carrière de criminel recherché par toutes les polices du monde. Son autobiographie est plus qu’un livre de résilience. C’est un livre d’espoir.

Les armes saisies, exposées lors du procès de François Troukens, à Mons, en 2006.
Les armes saisies, exposées lors du procès de François Troukens, à Mons, en 2006.© VIRGINIE LEFOUR/belgaimage

Extraits – Tournage résilient (réalisation du film Tueurs, 2016-2017).

Depuis quelques jours, je tourne une scène d’évasion dans cette maison d’arrêt. Elle vient d’être évacuée, les détenus ont tous été transférés dans la nouvelle prison située dans la zone industrielle d’Orléans, au sud de Paris. Etrange de se retrouver dans ces immenses coursives abandonnées. La présence des détenus se fait encore sentir partout, rien n’a bougé, tout est resté dans son jus. Une aubaine pour en faire un décor de cinéma. […] Je ne peux m’empêcher de me pincer. C’est bouleversant de me retrouver là pour réaliser mon premier long métrage. […] J’entends prouver que tout homme a la capacité de se relever, si on lui en laisse la chance et qu’il en a la volonté.

L’époque des braquages (années 1990).

Le camion-benne conduit par l’un de mes complices s’élance. Dans moins d’une minute, il va fracasser le fourgon. A mes côtés, cagoule baissée, Max arme brutalement son fusil de guerre. Un FAL commando 7,62 Nato pour les puristes. Une arme redoutable, capable de trouer un mur à plus d’un kilomètre! […] Max, c’est mon bras droit. Un mètre quatre-vingt-dix, une gueule de GI et des nerfs d’acier. Dans moins de 30 secondes, le camion-benne va percuter le fourgon. Je devine la silhouette de mon complice dans la cabine. En bon Sicilien, Arma est superstitieux, il doit faire son signe de croix. Il m’a déjà fait rater une opération avec ce satané tic religieux. Les deux secondes perdues à implorer Dieu avaient suffi à laisser au fourgon le temps de filer. Comme si Dieu allait nous aider. Moi, je ne lui demande jamais rien, je suis sans foi ni loi. […] Braqueur, un choix plus qu’un destin imposé par la vie. J’avais une gueule pour faire l’acteur mais j’ai préféré être braqueur. […] Rien de plus excitant sur terre que cette vie de hors-la-loi. Mais ce n’est pas du cinéma. Quand le sang coule, on ne rigole plus. Pour l’heure, cela ne m’est encore jamais arrivé…

EuroMillions (années 1990).

C’est une sensation indescriptible lorsque l’on découvre le magot après un braquage. C’est comme si on gagnait à l’EuroMillions. Ce n’est pas tant le fric que tout ce que l’on peut réaliser avec lui… Une sensation de liberté absolue. Le rêve devient réalité. Pour ma part, aucun cas de conscience. Ce fric ouvre des perspectives incroyables. TOUT devient possible. Pourtant, quand on aura divisé nos parts et donné une belle enveloppe au fermier pour services rendus, il ne nous restera pas de quoi refaire notre vie au bout du monde. Il faut viser plus haut. Toujours plus haut.

Brouiller les pistes (années 1990).

Même nos chaussures de combat seront brûlées. Je pousse le vice jusqu’à changer de marque à chaque braquage, histoire de varier le dessin des semelles. On prend aussi des chaussures plus grandes, afin de semer de faux indices. Raison pour laquelle les braqueurs chaussent souvent du 46! […] La police scientifique devient de plus en plus efficace et il faut s’adapter. Un cheveu, un postillon, une marque de front posé sur une vitre, des cellules de peau retrouvées sous des ongles, quelques gouttes de transpiration et c’est la catastrophe. […] Mais on peut aussi polluer l’enquête volontairement en déposant des cheveux, ou des mégots de cigarettes repris dans un cendrier. Casse-tête garanti pour les experts. Plusieurs de mes amis coiffeurs connaissent quelques flics qui travaillent à la police judiciaire. A ma demande, et contre une petite liasse, ils me donnent des cheveux, principalement avec le bulbe qui renferme l’ADN nucléaire, qu’ils récoltent lorsqu’ils passent au shampoing. N’allez pas penser que je cherche à piéger ces braves enquêteurs.

Non, ce qui m’importe, c’est de contaminer les preuves. Si je laisse une infime trace de mon ADN, mon avocat pourra toujours argumenter qu’on a aussi retrouvé celui d’un enquêteur pourtant étranger à l’affaire. […]

Patrick Haemers,
Patrick Haemers,  » un physique d’acteur mais un zombie en prison « .© Lebrun-De Waele/PHOTO NEWS

Sur les tueurs du Brabant (réflexion intemporelle).

Etrangement, la justice recevra une information tombée du ciel et fera une pêche miraculeuse en fouillant le canal de Ronquières. Dans un sac immergé, on retrouvera une série d’indices liés à différentes attaques meurtrières des tueurs. Des boîtes de cartouches, des chèques volés dans différents magasins, des plaques d’immatriculation… Un peu comme si on avait volontairement cherché à marier certaines affaires entre elles pour les joindre au dossier des tueries du Brabant wallon. On avait la preuve que toutes ces tueries étaient liées… Mais cela ne tenait pas debout.

J’ai une certaine expérience des hold-up et je ne connais aucun braqueur capable de détenir des indices de différents méfaits pendant plus de cinq ans, pour les balancer ensuite au même endroit. C’est le meilleur moyen de se faire remonter en prenant des risques énormes. Ceux qui ont commis ces actes n’étaient pas idiots. Ils ont réussi à échapper à des superflics, ont même eu l’audace de doubler leurs attaques le même jour. Je pense qu’on a volontairement mélangé des affaires entre elles afin de faire croire qu’il s’agissait de la même bande. Dans quel but? Certains avancent la thèse que ces tueries étaient destinées à favoriser l’émergence d’un Etat policier.

Au cours d’une cavale, il se retrouve sur le yacht de Madonna

Audi RS6 (années 1990).

J’avais mis au point une technique douce pour voler ce type d’engin. Je me suis mis à fréquenter les endroits luxueux et, par la même occasion, j’ai appris à jouer au golf. Le propriétaire de l’Audi RS6 était venu taper quelques balles sur le practice. Je me place à ses côtés. Pour taper une balle, il faut de l’espace dans une circonférence de 4 mètres au moins. Concentré, le riche joueur n’a pas vu que je prenais les clés de sa voiture dans son sac de golf. Je n’ai eu qu’à tendre la main. Le temps que le propriétaire fasse son parcours, nous en avions pour au moins deux heures avant que le vol ne soit signalé. Largement de quoi remonter du Luxembourg vers Bruxelles. Pour éviter le suivi d’une puce GPS ou autre, nous branchions toujours notre vaillant petit brouilleur électronique.

Le juge Vandermeersch (1993, première détention, prison de Forest).

Ils sont trois à me cuisiner. Des grosses brutes aux mains velues et je m’attends à recevoir des coups, mais c’est juste pour m’impressionner. Toute la journée, je reste attaché à un tuyau de chauffage placé en hauteur, je ne sens plus mon bras. […] A mon plus grand étonnement, je ne subis aucune violence physique et je me retrouve au cachot pour la nuit, avant d’être déféré devant le juge d’instruction. Le juge Damien Vandermeersch me semble sympa avec son allure un peu bohème, ses yeux clairs et ses cheveux bouclés. Mais il me signe quand même un aller simple pour la prison de Forest, la maison d’arrêt de la capitale belge. Je tente de lui expliquer que je ne suis pas une crapule et que je n’ai rien à faire en prison, mais il me rétorque avec justesse que j’ai commis des actes graves et que je dois payer l’addition.

Joey Starr: un tempérament sulfureux.
Joey Starr: un tempérament sulfureux.© OLIVIER LABAN-MATTEI/BELGAIMAGE

Emmuré vivant (1993).

La porte métallique claque d’un coup sec et je découvre ces 9 m2 aux murs maculés d’excréments. Je me tourne vers la lumière dans l’espoir d’échapper à cette vision. Mes yeux se heurtent à une série de grillages scellés aux barreaux. Je suis emmuré vivant. Sept jours entiers, je suis resté à l’isolement dans cette cellule humide. Mes proches me manquent, comme la beauté d’une nature silencieuse. J’ai le sentiment de dormir au milieu d’une gare. Bruits de clés, claquements de portes, haut-parleurs criards, hurlements et insultes résonnent entre les murs. Il me semble impossible de survivre dans cet endroit. Avais-je honte de mes actes? Un sentiment de culpabilité? Honnêtement non. Juste une énorme boule dans la gorge d’avoir été confondu. Mais au fond de moi, j’avais parfaitement conscience que j’avais raté mon entrée dans la vie active.

Patrick Haemers (1993).

Je le trouve fascinant, même s’il n’est plus que l’ombre de lui-même. Grand, blond, il a un physique d’acteur et possède un humour assez fin. Toutes les femmes en sont folles et il reçoit des centaines de lettres d’admiratrices qu’il me fait lire. Les avocates sous le charme se battent pour le défendre… Pourtant, Patrick n’est plus qu’un zombie depuis qu’il est dans cette prison. Son fils, Kevin, lui manque et il m’en parle souvent lorsque nous jouons aux échecs ensemble. […] Une nuit, alors que seuls les rats troublent le silence, Patrick Haemers met fin à ses jours en se pendant au radiateur avec le câble de sa télé. En voyant, au petit matin, le corps du grand blond partir dans un sac noir, je ressens un frisson terrible dans le dos.

Evasion (1997).

Trois jours plus tard, nous sommes en possession des lames de scie, mais je vais vite déchanter. Après avoir limé les barreaux durant plus d’une heure, de l’extérieur vers l’intérieur pour d’évidentes raisons de discrétion, je n’ai pas réussi à entailler ceux-ci de plus d’un millimètre! C’est comme si j’essayais de couper un arbre avec un couteau à tartiner. De plus, la fenêtre se trouve à plus de deux mètres de haut et il faut s’accrocher à la force des bras. Nous avons décidé de couper les barreaux en forme de croix et d’ouvrir un espace d’une trentaine de centimètres. […] Nous ne scions que le jour, car la nuit le bruit répercuté est impressionnant. Pour l’atténuer, nous plaçons des serviettes de bain torsadées autour des barreaux.

Jury populaire (2006).

Vivre les assises, c’est un événement inoubliable. C’est faire l’acteur, sans n’avoir jamais été préparé à jouer sur scène. Il faut être capable de réfléchir, analyser, intervenir, le tout en l’espace d’une seconde. Une cour d’assises, c’est comme un match de boxe. Au bout du combat, les jurés ne se rappelleront que des coups portés. Il restera des moments forts, ceux qui les auront marqués et sur lesquels ils se fonderont pour innocenter ou condamner. Si l’on ne répond pas immédiatement à une attaque, les convictions risquent de se forger définitivement. Sven Mary (NDLR: son avocat) a un style percutant, une façon très dynamique d’intervenir, limite provocant et bagarreur. Lorsqu’il prend la parole, j’ai le sentiment qu’il va casser la gueule à tout le monde.

Peine (2006).

Quinze ans… C’est la seule chose que je retiens, ils m’ont laissé un espoir et je leur dis merci. Ces gens ont cru en ma capacité de changer de vie. J’accepte cette peine car c’est le prix à payer pour mon passé. Et cette peine englobe aussi les faits où j’ai blessé ce policier. Je la trouve donc juste et équilibrée.

Sven Mary (deuxième à partir de la g.):
Sven Mary (deuxième à partir de la g.): « un style limite provocant et bagarreur ».© VIRGINIE LEFOUR/belgaimage

Joey Starr (2013).

Le 25 novembre 2013, la nouvelle me tombe dessus comme un coup de massue. Une décision de justice délirante me signifie que je vais devoir retourner en prison! Libéré en conditionnelle depuis bientôt trois ans, je n’ai eu aucun problème avec la justice, pas même un excès de vitesse. On me reproche d’avoir eu des contacts avec d’anciens détenus. Dans le cadre de mon prochain long métrage, j’ai proposé à Joey Starr un rôle éventuel. S’il est vrai que le comédien rappeur a fait quelques mois de prison à cause de son tempérament sulfureux, je ne l’ai pas rencontré pour lui proposer un rôle dans un braquage de fourgon, me suis-je défendu. […] J’en veux à ce procureur minable qui m’a envoyé dans cette cellule. J’en fais le serment, je vais me venger de la plus belle manière qui soit, en réussissant artistiquement et l’humilier publiquement. C’est une façon de transformer la haine en carburant positif. […] Les frères Bronckart (NDLR: Versus Production) organisent des visites professionnelles et Giordano, mon coscénariste, se rend chaque semaine au parloir pour continuer à travailler avec moi. Le Lombard aussi se mobilise. Antoine Maurel vient, avec le directeur éditorial Gauthier Van Meerbeeck, m’assurer de leur soutien. Je me sens très entouré et c’est du coup plus supportable. L’acteur et réalisateur Bouli Lanners se rend plusieurs fois à la prison avec Spyk et Sourire…

Le film Tueurs à la Mostra (2017).

Un chauffeur est devant la porte pour nous conduire à l’aéroport de Bruxelles. Sur la route, je reçois un texto de mon père. « On est fiers de toi… » Les larmes montent et j’ai un peu de mal à contrôler mon émotion. C’est clair que pour mes parents, c’est plus agréable de me savoir à Venise que de réussir le casse du siècle.

Réconciliation.

Certes, ce n’est pas du goût de tout le monde et certains trouvent intolérable que je puisse réussir artistiquement et médiatiquement. Je les comprends, mais je leur demande d’être ouverts et de saisir ce que ce parcours peut renvoyer comme signal fort à tous ces jeunes en rupture avec les valeurs de notre société. Je prouve par mes efforts qu’il est possible de se réconcilier avec la société après lui avoir infligé une guerre ouverte.

Les intertitres sont de la rédaction.

Armé de résilience, François Troukens, First Editions, 432 pages.

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