Bart De Wever (N_VA) face à Tom Van Grieken (Vlaams Belang), débattent à la VRT en mai 2019 © Knack

Flandre: le Belang et la N-VA ont encore une grande marge de croissance

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Le CD&V, l’Open VLD et le sp.a ont leur avenir derrière eux : les trois partis traditionnels n’ont presque pas de marge de croissance et de nombreux électeurs s’y opposent de plus en plus. En revanche, les deux plus grands partis, le Vlaams Belang et la N-VA, ont encore une grande marge de croissance.

C’est ce que révèle une enquête sur le comportement des électeurs lors des élections du 26 mai 2019 consultée en exclusivité par nos confrères de Knack. L’histoire d’un véritable revirement politique en Flandre, où la droite peut grandir encore beaucoup plus et où Groen et le PVDA ne semblent pas jouer de rôle significatif.

La veille de leur passage aux urnes, le 26 mai dernier, plus de 20% des électeurs ne savaient pas encore pour quel parti ils allaient voter. Les électeurs de Groen, de l’Open VLD, du sp.a et du PVDA ont hésité jusqu’au dernier moment, alors qu’environ la moitié des électeurs de la N-VA, du CD&V et du Vlaams Belang avaient déjà fait leur choix plus d’un mois à l’avance. C’est l’une des conclusions étonnantes de l’enquête postélectorale sur les récentes élections flamandes, fédérales et européennes.

En Flandre, quatre électeurs sur dix ont changé de parti le 26 mai, soit beaucoup plus que lors des élections précédentes en 2014. Le grand vainqueur, le Vlaams Belang (de 6 % en 2014 à 18 % en 2019) n’a perdu presque aucun électeur et tous les autres partis ont voté en masse. 276.000 électeurs sont passés de la N-VA au Vlaams Belang. D’un seul coup, l’exode de 2009 (moins 112 000) et de 2014 (moins 150 000) a été compensé. Au total, le Vlaams Belang a également pu attirer plus de 150.000 électeurs des partis traditionnels CD&V, SP.A et Open VLD. Le parti d’extrême droite a même réussi à subtiliser des électeurs à Groen et au PVDA.

La N-VA a perdu le plus grand nombre d’électeurs (461.000), mais est restée la plus grande formation politique en Flandre avec 25%. Le parti de Bart De Wever a perdu beaucoup d’électeurs au profit du Vlaams Belang, mais il a réussi à gagner plus de 180.000 électeurs qui ont voté pour l’un des partis traditionnels en 2014. Cependant, la N-VA n’a réussi à détacher que 38 000 électeurs du sp.a, de Groen ou du PVDA.

Réunis, le Vlaams Belang et la N-VA ont pris plus de 300.000 électeurs aux trois partis traditionnels, qui ont dû encaisser. Le CD&V est tombé à 15%, l’Open VLD à 13%, le sp.a à 10%. Ensemble, ils ont vu plus de 500 000 électeurs partir en cinq ans, soit environ un quart de leurs électeurs. Par rapport à 2009, ils ont perdu plus de 900 000 électeurs, soit plus de 40 %. En 2014, les trois partis traditionnels ont encore pu l’absorber, car beaucoup d’électeurs ont fait le mouvement inverse, mais l’année dernière, cela n’a pratiquement pas été le cas.

Les partis traditionnels ne rencontrent guère de succès auprès des jeunes et leurs perspectives de croissance sont très faibles. De plus, l’aversion des électeurs pour les partis traditionnels s’accroît. Aujourd’hui, nous vivons un bouleversement politique : l’avenir sourit à la N-VA et au Vlaams Belang, tandis que le CD&V, l’Open VLD et le sp.a luttent pour leur survie.

Le CD&V

Qui vote encore CD&V aujourd’hui ? Un électeur sur trois est une personne de plus de 65 ans, retraitée, appartenant à la classe moyenne supérieure et vivant dans un coin perdu en Flandre. Les électeurs disent voter pour le CD&V surtout « par habitude et par tradition », et aussi « comme ça, parce qu’il fallait bien choisir un parti ». Étonnamment, pour 10 % des électeurs du CD&V, la liquidation du dossier Arco reste une raison décisive de voter pour ce parti. Arco était le bras d’investissement de l’ACW (maintenant beweging.net) qui a sombré avec Dexia pendant la crise bancaire. Depuis lors, le CD&V oeuvre à ce que le gouvernement indemnise les coopérateurs d’Arco pour les pertes subies. Jusqu’ici en vain.

En 1950, les chrétiens-démocrates remportaient encore 60 % des voix, mais depuis lors, le nombre de leurs partisans n’a cessé de diminuer. Le 26 mai, le CD&V a encore saigné de toutes parts et n’a pu séduire que peu d’électeurs d’autres partis. Heureusement, 40 000 primo-votants ont quand même voté pour le parti, car ils partageaient ses préoccupations concernant la circulation, la famille, l’éducation, les questions éthiques et (l’approche humaine de) la question de l’asile.

Joachim Coens (CD&V)
Joachim Coens (CD&V)© Belga

L’étude postélectorale révèle que la marge de croissance du CD&V est devenue très faible. À peine 8 % des électeurs ont envisagé de voter pour le parti, mais en fin de compte, ils ne l’ont pas fait. De plus, l’aversion du parti a remarquablement augmenté : un électeur sur cinq ne veut plus rien savoir du CD&V. Cela semble être principalement dû aux querelles publiques constantes avec la N-VA. Si possible, le fait que 58% des électeurs se disent indifférents au CD&V, un nouveau record, est encore plus meurtrier pour le parti.

C’est un constat douloureux pour l’ancien président Wouter Beke et le reste de la direction du parti : le CD&V traverse une crise existentielle. Le nouveau président, Joachim Coens, est confronté à un choix crucial. Essaie-t-il de ramener les électeurs perdus à la N-VA et au Vlaams Belang avec un cours de centre droit plus cohérent ? Cela provoquerait encore plus de conflits avec ses propres organisations sociales, qui sont restées assez fidèles aux urnes. Ou préfère-t-il une course centrale qui aplanit les angles de gauche et de droite ? Et opterait-il pour une coalition bourguignonne, arc-en-ciel ou l’opposition ?

L’Open VLD

À l’Open VLD, ce n’est pas beaucoup mieux. Depuis qu’ils ont atteint un sommet de 24 % au tournant du siècle, les libéraux flamands ont accumulé les pertes. Au dernier scrutin, le parti a obtenu de bons résultats parmi les indépendants et les diplômés de l’enseignement supérieur, ainsi qu’en Flandre orientale. Les impôts restent le thème principal pour eux. Environ deux tiers des électeurs sont restés fidèles aux libéraux flamands. Ils doivent ce bon score à leur participation au gouvernement : le gouvernement Michel a instauré, entre autres, un tax shift et une réduction de l’impôt des sociétés. Le parti a réussi à gagner 40 000 nouveaux électeurs, soit autant que le CD&V. Voilà pour les bonnes nouvelles.

L’Open VLD a vu plus d’électeurs partir pour d’autres partis que ce qu’elle a pu en séduire. Par exemple, il n’a pu attirer que 55 000 électeurs de la N-VA, alors qu’il en a vu 87 000 passer à ce parti. La raison de ce transfert était que la N-VA défendait plus fermement la politique économique du gouvernement Michel et accordait plus d’attention à leurs désirs en matière d’asile, de migration et de criminalité.

Gwendolyn Rutten
Gwendolyn Rutten© Belga

La marge de croissance est également faible pour les libéraux : seulement 8 % des électeurs qui ne votent pas Open VLD voient le parti comme une alternative. Pour la première fois dans l’histoire de l’étude postélectorale, l’aversion pour le parti s’est accrue : un électeur sur cinq n’aime pas l’Open VLD. Et puis il y a l’indifférence frappante : 58% des électeurs sont indifférents au parti. Il partage ce score élevé avec le CD&V.

Vingt ans de participation ininterrompue aux gouvernements fédéraux ont coûté de nombreux électeurs aux libéraux flamands. Comment peuvent-ils arrêter cet exode ? L’Open VLD essaie-t-il de ramener les 120.000 électeurs qu’il a perdus au profit de la N-VA et du Vlaams Belang avec plus d’opinions de droite ? Ou choisira-t-il le centre? Ou un profil gauche-libéral ? Tout comme le CD&V, l’Open VLD est confronté à un choix : soutient-il la coalition bourguignonne, arc-en-ciel ou opte-t-il pour l’opposition ? Une bataille féroce fait rage dans le parti autour de la succession de la présidente Gwendolyn Rutten. L’Open VLD a toujours été un parti de petits coqs, les divergences d’opinions restent rarement internes. Et nous le savons tous : un bar où les gens se battent n’attire pas de monde.

Le sp.a

Pour les socialistes, l’avenir s’annonce désastreux. En 2003, le sp.a a encore atteint 24% des voix, en 2019 moins de la moitié. Le parti obtient toujours des résultats parmi les personnes en deuxième phase de leur carrière professionnelle (45 à 64 ans), les gens peu instruits, les ouvriers, les chômeurs et les habitants de Flandre-Occidentale. Ils choisissent les socialistes flamands parce qu’ils adhèrent à leurs vues sur la sécurité sociale (pension, assurance maladie, chômage).

Malgré le fait que le sp.a était dans l’opposition pendant cinq ans, seulement 58% des électeurs de 2014 sont restés fidèles au parti. Les électeurs qui sont restés disent l’avoir fait par habitude et par tradition plutôt que par conviction. En tant que président du parti, on n’a pas envie d’entendre ça.

Ces électeurs sp.a s’écoulaient dans toutes les directions. Les socialistes flamands ont perdu chaque fois 50.000 voix contre Groen, le PVDA et le Vlaams Belang, 30.000 électeurs sont passés à la N-VA. Ils pouvaient difficilement attirer les électeurs des autres partis. Ce pouvoir de recrutement limité est illustré par le mauvais score de ceux qui se sont rendus aux urnes pour la première fois : le sp.a n’a pu en gagner que 14 000. Il est également frappant de constater que de nombreux retraités ont tourné le dos au parti.

Conner Rousseau
Conner Rousseau© Belga

De tous les partis, le sp.a la plus petite marge de croissance : seulement 6 % des électeurs qui n’ont pas voté pour lui ont envisagé de le faire. C’est un chiffre historiquement bas. De plus, un électeur sur trois a une aversion pour le sp.a, un nombre historiquement élevé. Cette aversion est beaucoup plus forte qu’à l’égard du CD&V et de l’Open VLD. De plus, la moitié des électeurs se déclarent indifférents au sp.a. Tout cela fait craindre le pire pour l’avenir.

Entre-temps, Conner Rousseau a succédé à John Crombez à la présidence du parti. Il a la tâche ardue de sortir son parti du pétrin. Groen et le PTB sont de puissants challengers. S’y ajoute le Vlaams Belang, qui a proposé un programme social. Rousseau va-t-il encore essayer de leur enlever des votes ? Veut-il affaiblir Groen et le PVDA et ainsi miner un front progressiste ? Ou bien essaiera-t-il aussi de s’insinuer au centre ? Alors qu’au niveau flamand le sp.a se retrouve dans l’opposition, il a pu entrer dans un gouvernement fédéral grâce au PS. Les socialistes flamands survivront-ils à ce dilemme aux prochaines élections ?

La N-VA

C’est très différent pour la N-VA. L’année dernière, le parti a vu un électeur sur trois partir. Il a été le grand perdant du scrutin. Ces transfuges ont été déçus par la politique du gouvernement, qui n’a pas apporté le « pouvoir de changement » promis. Ils trouvent que le déficit budgétaire n’a pas été suffisamment réduit et s’inquiètent pour leurs pensions. Ils ont estimé que la N-VA, avec Theo Francken, a fait des déclarations fortes sur l’asile et la migration, mais que celles-ci n’ont pas été suffisamment mises en pratique. Et les attentats terroristes islamiques radicaux à Bruxelles et à Zaventem en mars 2016 leur ont donné le sentiment que le gouvernement avait échoué dans sa politique de sécurité. Toutes les raisons de faire défection, surtout vers le Vlaams Belang.

La N-VA a pu compenser partiellement cet important exode en attirant les électeurs des partenaires de la coalition CD&V et Open VLD. Le parti obtient un score particulièrement bon parmi les plus de 65 ans, les retraités, les cadres et les diplômés du supérieur, ainsi que dans la province et la ville d’Anvers, mais reste largement soutenu par toutes les couches de la population. Néanmoins, il y a encore du pain sur la planche, car il n’a convaincu que 33 000 nouveaux électeurs, soit beaucoup moins que le CD&V et l’Open VLD. Les jeunes adeptes de la N-VA disent qu’ils recherchent la stabilité et ont été charmés par l’image du parti et la figure du président Bart De Wever. Il semble être la police d’assurance-vie de la N-VA.

Bart De Wever
Bart De Wever© Belga

Ceux qui votent pour la N-VA aujourd’hui le font par conviction, selon l’étude postélectorale. De plus, la N-VA a une marge de croissance plus importante que les trois formations politiques traditionnelles et seulement 28 % des électeurs ont une aversion pour le parti. C’est moins que pour le Vlaams Belang, le sp.a, Groen ou le PVDA. Et plus important encore : l’aversion stagne, alors qu’elle augmente fortement au CD&V, Groen et sp.a. Les nationalistes flamands laissent également peu d’électeurs indifférents : ils sont clairs dans leurs points de vue et beaucoup de gens apprécient cette clarté.

La N-VA n’est donc pas en mauvaise posture et, selon l’étude postdoctorale, elle détient « un atout important ». Comme la N-VA et le Vlaams Belang sont des vases communicants et que les autres partis s’accrochent au cordon sanitaire, elle peut décider si elle veut voir le Vlaams Belang grandir encore plus et quand elle rejoindra un gouvernement. En même temps, c’est évidemment le choix difficile que doit faire la N-VA. À court terme, elle doit décider si elle rejoint un gouvernement fédéral ou si elle passe à l’opposition. À cela s’ajoute que la présidence de Bart De Wever prendra fin un jour. Combien de votes son départ coûtera-t-il au parti ?

Le Vlaams Belang

Le 26 mai, le Vlaams Belang est devenu le premier parti parmi les jeunes (18 à 24 ans), les travailleurs, les femmes au foyer et les chômeurs. Le parti de Tom Van Grieken a réussi à augmenter le nombre de ses partisans, entre autres parmi les retraités et les diplômés de l’enseignement supérieur. Tous ont indiqué qu’ils considèrent le Vlaams Belang comme un parti « pour des gens comme eux ». Ils voulaient sanctionner les partis au pouvoir pour la politique qu’ils poursuivaient et parfois aussi faire un bras d’honneur aux partis francophones. Les partisans du Vlaams Belang se préoccupent principalement de trois thèmes : l’asile et la migration, les pensions, les impôts et le pouvoir d’achat.

Tom Van Grieken
Tom Van Grieken© Belga

Le Vlaams Belang a réussi à gagner 50.000 électeurs qui se sont rendus aux urnes pour la première fois. Aucun parti n’a fait mieux. De plus, pour la première fois, ce n’est pas Groen qui a attiré le plus de nouveaux électeurs, car il a échoué à 45 000. Les jeunes électeurs du Vlaams Belang n’étaient pas si convaincus du programme de base du parti, mais ils ont quand même voté pour celui-ci en raison du pacte de l’ONU sur l’immigration (‘Marrakech’), du meurtre de l’étudiante Julie Van Espen, des attentats terroristes et de l’agitation autour de Schild en Vrienden. Le Vlaams Belang a manifestement le mieux réussi à engranger des voix sur ces thèmes grâce à Facebook.

Il est frappant de constater que le Vlaams Belang dispose également d’une marge de croissance considérable. Quelque 12% des électeurs qui n’ont pas voté pour le parti ont envisagé de le faire – ce qui donne au parti d’extrême droite la plus grande marge de croissance en Flandre. L’aversion des Flamands pour le Vlaams Belang reste élevée, mais pour la première fois, elle est passée en dessous de 50%.

Conclusion

Nous vivons aujourd’hui un bouleversement électoral, révèle l’étude postélectorale. L’avenir des partis traditionnels est derrière eux, une évolution que nous avons déjà remarquée dans les pays voisins. Jan Drijvers et Jelle Van Loon du bureau d’étude Kantar se demandent, dans leurs conclusions, si le comportement des électeurs lors des dernières élections « n’est peut-être pas tant lié à une aversion pour le contenu politique, mais qu’il s’est surtout voulu radical dans son aversion pour la manière dont les partis au pouvoir font de la politique ».

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