Jonathan Piron

Faut-il débattre avec l’extrême-droite ? Mauvaise question et dangereuses conséquences

Jonathan Piron ETOPIA - Conseiller à la prospective

« Donc, oui, partout où elle existe, il faut aller débattre contre l’extrême droite, sinon on ne gagnera jamais le combat. » Dans une interview accordée au journal Le Soir, le 8 janvier 2020, Raoul Hedebouw revient sur la polémique de la rencontre entre son président, Peter Mertens et Tom Van Grieken, leader du Vlaams Belang.

Relançant le débat sur la nécessité ou non de débattre avec l’extrême-droite pour amener sa déroute, le porte-parole du PTB veut aller rechercher les électeurs du Belang : « Les convaincre passe par ce type d’interview sans concession. » L’interview met en lumière un débat essentiel : comment lutter efficacement contre l’extrême-droite ? La récente percée du Vlaams Belang en Flandre et la montée de ses partis frères ailleurs en Europe doit interpeller les démocrates et les obliger à agir. Cependant, l’attitude défendue par le PTB reste celle d’une démarche politique et non pas sociétale.

Certes, la question de l’efficacité du cordon est un débat à mener. Comme l’a démontré Léonie de Jonge de l’Université de Cambridge, le cordon médiatique a fait ses preuves dans la lutte contre la propagation de l’extrême-droite, pour peu que certaines conditions soient réunies. Encore récemment, Léonie de Jonge rappelait l’importance de ne pas ignorer les partis de la droite radicale mais de ne pas, non plus, les banaliser ou les normaliser. Le but du cordon rejoint donc ces objectifs dont le principal est celui de l’isolement. En effet, débattre avec l’extrême-droite revient à lui reconnaître une légitimité. Comme l’a notamment affirmé Guillaume Lohest, auteur du livre « Entre démocratie et populisme. 10 façons de jouer avec le feu », parler avec le Belang ne signifie pas parler avec ses électeurs. C’est accepter que le Belang soit le représentant de cette population en rupture et donc valider son récit. En outre, les exemples récents de débats où l’extrême-droite est présente montrent, à chaque fois, que celle-ci n’hésite pas à recourir au mensonge et à la déformation des propos. Donner un espace à la promotion de la haine et de la contre-vérité revient à menacer le débat démocratique. Les propos décomplexés se lient d’ailleurs à une gestuelle et une présentation qui se joue des codes du débat.

Débat avec le Vlaams Belang: « En fait, le PTB se trompe de postulat ».

Les interviews récentes entre Mertens et Van Grieken n’échappent pas à cette mise en scène, où le leader du Belang utilise la dérision et l’humour grinçant pour sa communication. Ce que cherche l’extrême-droite est précisément la respectabilité, la légitimité et démontrer le caractère dépassé de ses adversaires politiques. Les médias classiques, disposant encore d’une large audience auprès de différentes catégories de la population, sont donc des cibles à conquérir. Y ouvrir la porte aux partis extrémistes revient à laisser définitivement entrer le loup dans la bergerie.

En fait, le PTB se trompe de postulat. La question ne doit pas être « Faut-il débattre avec l’extrême-droite ? » mais plutôt « Comment faire reculer l’extrême droite ? » Comment apporter une réponse démocratique à la montée des extrêmes et qui doit le faire ?

Peter Mertens et Raoul Hedebouw
Peter Mertens et Raoul Hedebouw© Belga

Les éléments de base sont déjà connus. La crise démocratique, le recul de la confiance vis-à-vis des partis, la défiance à l’égard des institutions sont régulièrement pointés comme étant des problèmes à résoudre. Il y a, évidemment, une réponse globale à proposer contre l’injustice sociale, le défi climatique, le besoin de plus de participation citoyenne. Il y a aussi un besoin de restaurer la confiance envers les institutions. Ce travail doit véritablement se réaliser au sein des partis traditionnels, qui doivent comprendre que la fracture entre leurs discours et leurs actes n’aide pas à pacifier la société. Le PTB est tout aussi peu exempt de critiques sur ce sujet, et c’est une critique à entendre. Polarisant, jouant sur les ressorts faux d’un peuple homogène et victime face à une élite corrompue et coupable, sa posture contribue à aggraver cette défiance et donc à fragiliser la démocratie. Cette stratégie était d’ailleurs encore défendue par Peter Mertens, à Istanbul, en octobre dernier: « Nous disons à ceux qui ont l’intention de voter pour l’extrême droite que nous partageons leur méfiance et leur dégoût envers les politiciens. » Il ne s’agit pas de pacifier des électeurs mais simplement de les récupérer. Cette stratégie, au final, aide le Belang à voir ses thèses validées : la démocratie libérale est l’ennemi à abattre.

Que faire dès lors ? La lutte contre l’extrême-droite est un combat très difficile et les solutions ne se retrouvent pas dans une boîte à outils clairement identifiée. Cependant, il est important de comprendre que combattre les partis extrémistes n’appartient pas uniquement aux partis politiques. Ce projet est sociétal.

Il faut outiller les citoyens face à l’extrême droite et aux populismes. La stratégie est de long terme et nécessite une mobilisation aux différents niveaux. À l’ère des fake news, de l’info pré-mâchée, des slogans auxquels on ne croit plus, des shows politiques et bagarres de comm’ qui lassent tout le monde, le monde politique doit comprendre aussi qu’il fait partie du problème, PTB compris.

Le rôle des médias est donc fondamental. Le business model de certains d’entre eux, tournant autour de la recherche du buzz ou adoptant une volonté de rester neutre tourne à l’avantage des partis extrémistes. Il revient donc aux médias de s’interroger sur des stratégies adoptées et sur des outils à créer. Cela passe notamment par le fait de pouvoir contester les mensonges émis par les représentants des partis extrémistes et de les placer face à leurs responsabilités.

Ce n’est toutefois pas tout. Une autre démarche est de renforcer la culture et son accessibilité. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir que c’est précisément la culture qui est visée par les politiques extrémistes ou populistes dès que celles-ci sont au pouvoir. La culture nous permet de nous questionner sur nous-mêmes, sur le monde, d’ouvrir notre regard et nous sortir de nos certitudes. On ne peut pas ranger la culture dans les livres d’histoire, elle doit rester vivante et être accessible : accessible tout au long de la vie, de proximité, axée sur l’accessibilité sociale, sortant d’un cadre imposé et parfois encore trop élitiste. De cette promotion et défense de la culture, notamment dans l’enseignement, doit se dégager un nouvel esprit critique. C’est cet esprit critique qui doit être une valeur cardinale de nos sociétés, nous rendant autonomes et aptes à ne pas nous laisser manipuler par ceux qui ont un agenda caché.

Ensuite, il est fondamental pour les partis traditionnels de sortir de l’hypocrisie d’un discours politique brisant la confiance entre électeurs et élus. Le ressentiment à l’égard de la classe politique nourrit les populismes et les extrémismes qui, aujourd’hui, gangrènent une grande partie de l’Europe. Retrouver le sens de l’intérêt collectif mais joindre le geste à la parole sur la nécessité d’une nouvelle politique économique, sociale, écologique et démocratique doit être le nouveau quotidien des partis installés.

Le politologue néerlandais Cas Mudde, spécialisé dans l’extrémisme politique et le populisme en Europe, considère qu’il faudra une décennie pour convaincre à nouveau la partie de la population votant extrême-droite et espérer regagner sa confiance. Ce succès ne sera possible qu’en discutant et débattant sur d’autres sujets que ceux récupérés par les extrémistes, bref en refusant leurs règles du jeu. Ces règles valent aussi pour la Belgique francophone, la tentation populiste voire extrémiste n’y étant pas absente. Finalement, par sa stratégie, le PTB capitalise sur la crise de la démocratie pour son profit électoral. C’est un jeu dangereux qui revient à jouer avec le feu.

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