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Familles recomposées : trouver l’équilibre !

Le Vif

En matière de succession, les familles recomposées doivent composer avec un droit successoral qui ne tient pas encore suffisamment compte de leur situation… Une bonne planification successorale s’impose donc !

En Belgique, les familles recomposées, qui comptent au moins un enfant né d’une précédente union, sont de plus en plus nombreuses. On estime qu’elles représentent environ 15 % du total des familles belges. Or, hormis quelques adaptations, notre droit successoral date du code de Napoléon remontant à… 1804. Inutile de dire que les familles recomposées n’étaient pas prises en compte à l’époque et que seul le schéma « classique » était envisagé.

Les beaux-enfants exclus

Pour les familles recomposées d’aujourd’hui, cela peut poser quelques soucis lors de la succession. En effet, seuls les enfants propres du défunt sont pris en compte lors de la répartition de son patrimoine. Ses beaux-enfants éventuels sont donc automatiquement exclus de la succession. De plus, les enfants nés d’une précédente relation sont bien protégés. Par exemple, il n’est pas possible de favoriser son nouveau conjoint par contrat de mariage.

Bien que la situation évolue et que des discussions sont en cours pour avoir plus de libertés lors de la transmission de son patrimoine, la dévolution légale actuelle – règle fédérale qui détermine la répartition des biens en cas de décès – prévaut encore et connaît ses limites, essentiellement à cause de la « réserve » qui est attribuée à certains héritiers, comme les enfants. On ne peut en effet théoriquement pas déshériter un enfant (lire page 34).

S’il y a peu d’enfants dans la famille recomposée, les choses sont relativement simples. Avec un seul enfant, la réserve ne correspond qu’à la moitié de la succession de sorte que le parent peut librement disposer de l’autre moitié. S’il en a deux ou plus, il ne pourra transmettre librement qu’un tiers ou un quart de son patrimoine. Dans ce cas, il devient plus difficile de concrétiser ses dernières volontés.

La dévolution légale

Prenons l’exemple de Jean (55 ans) et Anne (50 ans). Jean a deux fils d’un précédent mariage : Pierre (30 ans) et Alexandre (25 ans). Anne a quant à elle une fille de 27 ans d’une précédente relation : Alice. Ensemble, ils ont aussi eu deux enfants : Hugo (18 ans) et Nathalie (15 ans). Le patrimoine propre de Jean est évalué à 600 000 euros, dont l’habitation familiale de 400 000 euros, tandis que celui d’Anne est évalué à 300 000 euros. Anne et Jean sont mariés selon le régime légal et les biens communs sont évalués à 120 000 euros de placements mobiliers.

En l’absence de toute planification successorale, au décès de Jean, Anne hériterait de l’usufruit de la succession, c’est-à-dire du patrimoine propre de Jean et de la moitié du patrimoine commun. Les enfants de Jean, soit Pierre, Alexandre, Hugo, et Nathalie se partageraient la nue-propriété de la succession. Alice, fille d’Anne, n’hériterait rien. Au décès d’Anne, Alice, Hugo et Nathalie hériteraient de la pleine propriété du patrimoine d’Anne tandis que l’usufruit d’Anne sur le patrimoine propre de Jean s’éteindrait, rendant les enfants de Jean plein propriétaire du patrimoine de leur père. Au final, Pierre et Alexandre toucheraient chacun 165 000 euros, Alice, 120 000 euros et Hugo et Nathalie, 285 000 euros chacun. Une situation pas vraiment équilibrée donc… Si Jean et Anne n’étaient pas mariés mais cohabitants légaux, Anne recevrait seulement l’usufruit de l’habitation familiale en cas de décès de Jean. S’ils étaient cohabitants de fait, elle ne recevrait rien. La situation des enfants resterait toutefois inchangée au décès des deux parents.

Rétablir l’équilibre

Si tel est le souhait des parents, il est possible de réduire les différences par testament ou donation, mais sans entamer la réserve de chacun des héritiers. Dans notre exemple, la réserve d’Anne au décès de Jean sera égale à l’usufruit de la moitié de la succession, avec un minimum de l’usufruit de l’habitation familiale, déterminée prioritairement dans le partage. Elle devra donc au moins obtenir l’usufruit de la maison familiale, évaluée à 400 000 euros. Les enfants de Jean, au nombre de quatre, devront se partager au moins trois quarts de la masse successorale restante, ce qui correspond à 195 000 euros de la pleine propriété du patrimoine de Jean (48 750 euros par enfant) et la nue-propriété de 300 000 euros de l’habitation familiale (75 000 euros par enfant). Le solde, soit 65 000 euros en pleine propriété et 100 000 euros en nue-propriété, correspond à la quotité disponible que Jean pourra librement partager de son vivant (via une donation) ou lors de son décès (via un testament).

Dans notre exemple, si Jean veut maintenir l’équilibre entre ses enfants et sa belle-fille Alice, il peut lui donner ou léguer la pleine propriété de son patrimoine (hors maison familiale) pour 52 000 euros et l’usufruit de la maison familiale pour 80 000 euros. Il doit aussi prévoir de limiter la part d’Anne à la valeur de sa réserve, soit l’usufruit de la maison familiale. Au décès de Jean, chaque enfant touchera donc exactement la même chose, 52 000 euros en pleine propriété et 80 000 euros en nue-propriété relatif à la maison familiale.

Les risques du mariage

Bien entendu, cette situation comporte des risques. Par exemple, Anne pourrait décider de mettre fin à la division usufruit/nue-propriété de la maison et exiger la pleine propriété d’un patrimoine correspondant à la valeur de l’usufruit, qui dépend de son âge. Si Anne demande cette conversion de l’usufruit de la maison familiale à 55 ans, l’usufruit sera estimé à 176 000 euros, qu’elle pourra convertir en pleine propriété… A son décès, ce nouveau patrimoine fera partie de la succession d’Anne, dont hériteront Alice, Hugo et Nathalie. Pierre et Alexandre seront donc lésés dans cette construction.

Cette situation n’arriverait pas si Jean et Anne n’étaient pas mariés car Anne ne serait pas considérée comme une héritière réservataire : Jean pourrait la déshériter complètement. Ce phénomène est bien connu et empêche certains couples de se marier pour cette raison. Le Pacte Valkeniers (lire ci-contre) n’y apporte qu’une réponse partielle. Dans notre exemple, cela ne changerait strictement rien car, en cas de mariage, l’usufruit sur le logement familial reste sacré.

Pas toujours possible

Utiliser la quotité disponible pour mettre tous ses enfants et beaux-enfants sur un même pied d’égalité n’est pas toujours possible. Si Anne voulait intégrer Pierre et Alexandre dans sa planification successorale, sa quotité disponible (un quart du total) ne serait pas suffisante pour mettre tout le monde sur un même pied d’égalité. Dans ce cas-là, il faut envisager d’autres solutions, plus drastiques.

Une première solution pour réduire les inégalités serait de gonfler la communauté des biens. C’est assez délicat lorsqu’il y a des enfants d’un précédent mariage car il faut veiller à ne pas entamer leur réserve. Une clause du type « au dernier vivant tous les biens » est donc impossible. Par contre, il est possible de gonfler la communauté des biens pour le futur en veillant, par exemple, à y intégrer au fur et à mesure l’épargne personnelle de chacun des conjoints.

Certaines constructions successorales préconisent également d’utiliser une clause d’accroissement (tontine) lors de l’achat d’un bien immobilier. Cette clause permet au partenaire survivant de devenir automatiquement propriétaire de l’immeuble – moyennant le paiement de droits de succession – sans devoir tenir compte de la réserve.

Enfin, l’adoption peut parfois être une solution. En général, une adoption simple est suffisante pour mettre tous les enfants sur un même pied d’égalité car l’enfant peut ainsi hériter automatiquement de son adoptant. Il s’agit d’une solution ultime qui ne doit être envisagée qu’avec la précaution nécessaire car le lien d’adoption est un lien définitif et il est très difficile de faire marche arrière. En cas de divorce plus tard, vous serez toujours père ou mère de l’enfant adopté.

Attention aux conflits

Quelle que soit la construction mise en place, il conviendra toujours de veiller à éviter les conflits entre les différents membres d’une même famille et d’éviter les situations inconfortables. Que dire d’un enfant qui reçoit de son père la nue-propriété d’un patrimoine et qui doit attendre le décès de l’usufruitière, sa belle-mère, peut-être très jeune, avant de profiter de la pleine propriété ? De facto, il serait déshérité car il ne pourrait pas profiter du patrimoine de son père… Heureusement, dans certaines situations comme celle-ci, le droit successoral prévoit une protection de l’enfant. Il pourra demander la conversion de l’usufruit du patrimoine à l’exception du logement familial… à moins que l’usufruitière l’accepte. Si l’usufruitière est très jeune, la valeur de l’usufruit, calculée en fonction de l’âge, risquerait d’être très élevée. Dans le cas de conversion de l’usufruit, le beau-parent est considéré comme ayant au moins 20 ans de plus que l’aîné des beaux-enfants…

Par Julien Lheureux

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