© Image Globe/Julien Warnand

Faire grève, est-ce que ça paye ?

Muriel Lefevre

Les Belges font de moins en moins grève selon une étude du Crisp. Partout dans le monde, le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est en péril. De quoi rendre les gens frileux. D’autant plus que les grèves ne sont guère populaires auprès de la population. Elles ont pourtant prouvé leur efficacité à travers les époques. Les dernières en date ne font pas exception à la règle dit De Morgen qui consacre un large dossier au sujet.

Il aura fallu un mois de lutte pour que la grève massive menée par les employés de la compagnie d’aviation à bas prix Ryanair finisse par porter ses fruits. Le 25 octobre, les grévistes font plier celui qui, jusque-là, n’avait jamais cillé. Michael O’Leary admettra, contraint et forcé, que la compagnie va autoriser l’application du droit du travail belge à partir de fin janvier. De quoi permettre au personnel de Ryanair d’avoir enfin droit à des allocations de chômage ou à un congé de maternité. Des choses qui leur étaient jusqu’alors refusées, car leurs contrats n’étaient pas établis conformément à la législation belge. Une victoire historique qui va donner des idées aux travailleurs d’Aviapartner, les bagagistes bruxellois de Ryanair. Juste avant les vacances d’automne, ils vont, eux aussi, déposer le travail au motif que leur employeur ne respecte pas la législation sur le temps de travail. « Les opérateurs de bagages doivent parfois travailler à genoux pendant neuf heures sans pause pour manger et manquent d’équipement essentiel pour faire leur travail », selon eux. Pendant six jours, et donc durant le pic des vacances scolaires, ils feront grève. Il faudra attendre l’annulation de 960 vols qui auront impacté 115.000 voyageurs pour que la direction de l’entreprise concède quelques concessions. Le temps de travail sera désormais respecté, les contrats seront plus sûrs et les investissements seront nombreux l’année prochaine.

Faire grève, est-ce que ça paye ?
© Belga

Une balle dans le pied ?

Ces victoires obtenues de haute lutte ne vont pourtant pas faire que des heureux. Des voix critiques s’élèvent pour dire que les grévistes sauvages se tirent une balle dans le pied. On leur reproche notamment de faire le jeu du concurrent Schiphol. « On l’oublie, mais la grève a toujours un prix », précise l’économiste Geert Noels. « Les grévistes balayent un peu vite le fait que les sociétés transnationales déplacent facilement leurs activités à l’étranger. (…) Combien d’entreprises acteurs des grandes grèves du tournant du millénaire existent encore aujourd’hui ? GM, Ford,…. autant d’entreprises qui ont été détruites par les grèves. La grève peut servir de signal, mais doit être utilisée avec modération. » souligne-t-il. Luc Cortebeeck, ancien dirigeant de l’ACV qui a présidé l’année dernière l’Organisation internationale du travail (OIT), nuance pourtant : « des conflits sociaux non résolus peuvent tuer une entreprise. Mais en général, il s’agit d’entreprises qui sont devenues des  » quasi-bureaucraties « , où les avantages établis à un moment donné mettent en danger le pouvoir économique de l’entreprise et où les gens s’accrochent coûte que coûte à ce qu’ils ont. Dans ces cas-là, c’est aux syndicats de veiller à ne pas se laisser entraîner dans la  » course au finish « , comme ce fut le cas lors de la réforme de La Poste en Bpost. Une grève est cependant toujours un échec, tant pour l’entreprise que pour le mouvement syndical, car cela signifie que la consultation n’a pas fonctionné. Dans le cas d’Aviapartner, il était pourtant clair qu’aucune autre action n’aurait poussé cette direction à faire des concessions. Parfois, il n’y a juste pas d’autres alternatives que la grève » dit-il .

Faire grève, est-ce que ça paye ?
© BELGA/Nicolas Maeterlinck

« On constate souvent un mouvement de vague dans les différentes périodes de grèves. Celles que l’on vit actuellement font fortement penser à celles que l’on a vécues dans les années 1970 », précise encore Cortebeeck . « Comme il y a quatre décennies dans le secteur textile, on fait aujourd’hui grève autour des conditions de travail. À l’époque, c’était la mise en place de production en série qui pressait des employés qui ne pouvaient plus suivre la cadence. Aujourd’hui, la même chose se produit dans notre secteur des services, où les modèles des entreprises à faible coût font qu’elles rognent sur tout. »

On fait moins grève

Une vague de grève qui ne se marque pas forcément dans les chiffres puisqu’en trois ans le nombre de jours a fortement baissé. On est passé de 853 355 jours de grève en 2014 (221 jours pour 1 000 employés), à 247 718 jours de grève en 2017 (63 pour 1 000 employés), selon les chiffres recueillis par l’ONSS. Si l’année 2014 a été une année record suite aux grandes manifestations du secteur public, il n’empêche que les chiffres de 2017 se situent en dessous de la moyenne établie entre 1991 et 2017 et qui se situe à 86 jours pour 1 000 employés. On constate aussi que l’on fait plus grève en Wallonie qu’en Flandre. Pour 39 jours pour 1.000 salariés en 2017 en Flandre, on a comptabilisé en Wallonie 110 jours de grève pour 1.000 salariés l’an dernier. « Cela ne n’est pas forcément dû à un penchant plus marqué pour la grève, mais cela s’explique par le fait que la Wallonie dispose d’industries et d’administrations de type plus traditionnelles qui sont en cours de restructuration alors que la Flandre est déjà plus avancée vers l’économie mondiale des services. Un secteur où les contrats sont plus incertains et où les employés sont moins enclins à abandonner leur travail. » stipule encore De Morgen.

Faire grève, est-ce que ça paye ?
© Belgaimage

La précarité des contrats est d’ailleurs un élément clé dans la baisse du nombre de jours de grève. Un autre est la chute du nombre d’affiliés aux syndicats. Car dans un monde où les services prennent de plus en plus de place dans notre économie et où les entreprises de moins de 50 salariés ne sont pas obligées d’avoir une représentation syndicale, les syndicats voient le nombre de leurs affiliés chuter drastiquement. On estime que, tous syndicats confondus, ils ont perdu 88 000 membres entre 2014 et 2016. Pour Rudi Kennes, négociateur en chef de la FGTB à l’époque d’Opel Anvers, il existe beaucoup de préjugés sur les grèves. Selon lui, on donne l’impression que les gens aiment faire la grève, mais ce n’est pas vrai : le salaire disparaît et on ne reçoit que 30 euros par jour. « La grève est un appel à l’aide et les syndicats sont souvent le dernier barrage au capitalisme sauvage », dit-il. Kennes insiste aussi sur le fait qu’une grève est dans les deux sens. « On oublie un peu vite que celle-ci est aussi une réaction à un service du personnel défaillant. Avia est dans ce cas un bel exemple. Tout s’est soudainement débloqué lorsque le PDG est revenu de vacances. Si cet homme avait été là avant, la négociation aurait pu durer six heures au lieu de six jours. »

Car il y a en effet une constante: les grèves touchent surtout les entreprises qui refusent de s’engager dans le dialogue social. Un constat partagé par Geert Van Goethem, directeur d’Amsab, centre d’étude d’histoire sociale, « les dommages économiques y sont souvent le seul levier de négociation ». Un des points sensibles dans notre modèle de consultation sociale est que les vraies décisions sont souvent prises à l’étranger par des conseils d’administration invisibles qui dépendent de fonds d’investissement financier. « Si vous ne pouvez pas vous asseoir avec les vrais responsables, votre rôle se limite à éteindre les incendies », selon Kennes. « La grève est dès lors parfois le seul moyen d’attirer vraiment leur attention ». « Un point de vue que les employeurs belges ont de plus en plus de mal à expliquer à l’étranger », déclare Annick Hellebuyck, conseillère principale à la Fédération des entreprises belges (FEB). Elle trouve que l’on fait trop vite grève en Belgique et plaide pour une révision du droit de grève. « Nos politiciens doivent ouvrir le débat avec les commissions mixtes de certains secteurs cruciaux sur l’obligation de fournir des services minimums. » Plus d’implication politique est aussi un souhait de Cortebeeck, mais pour d’autres raisons. Les dirigeants politiques et les partenaires sociaux ne se rencontrent que très peu autour d’une table. « J’ai l’impression que notre politique s’éloigne de l’importance du dialogue social. Or ceux qui pensent pouvoir repousser le mouvement syndical classique devraient savoir que quelque chose de nouveau émerge toujours d’en bas. Si vous ne reconnaissez pas la consultation, vous réduisez naturellement les possibilités de compromis et augmentez les risques de grève. Le dialogue social tel que nous le connaissons n’est peut-être pas facile, mais il reste l’un des meilleurs modèles et il bénéficie à tous. » D’ailleurs ce n’est pas parce que les syndicats perdent en puissance que des mouvements alternatifs ne sont pas possibles. Le cas de Ryanair l’illustre bien: les employés se sont regroupés entre eux à travers toute l’Europe et cela a commencé dès 2003 par des procès individuels.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content