Assita Kanko

Excision féminine: il faut éveiller les consciences

Assita Kanko Élue au conseil communal d'Ixelles (MR) et membre du thinktank Liberales. Née au Burkina Faso.

La composition de la population de notre pays a changé. Mais notre système de valeurs, inspiré des Lumières, doit demeurer inchangé. C’est non négociable.

Vendredi, j’ai regardé le film « The Cut » de la réalisatrice kényane Beryl Magoko. Magoko vit en Afrique où elle lutte courageusement contre l’excision. Elle nous raconte pourquoi elle a décidé de donner la parole aux filles de son pays, victimes de cette pratique extrêmement douloureuse. Dans la salle, les spectateurs étaient émus aux larmes. Tout comme les hommes de Ouagadougou (Burkina Faso), lorsque le documentaire a été projeté au Festival panafricain du Cinéma (FESPACO).

L’excision féminine constitue l’une des pratiques les plus cruelles exercées pour des motifs culturels et/ou religieux. Heureusement, dans nos contrées l’excision est fortement désapprouvée et la majorité des gens la considèrent comme un acte barbare qui doit être combattu et sanctionné. Pourtant, je rencontre toujours des personnes, et même des femmes, qui défendent l’excision. Ici en Europe, en 2013.

Ainsi, il y a peu, j’ai reçu un e-mail d’Aïcha (nom fictif) une femme d’origine africaine que je connais depuis un certain temps. Elle mentionnait, et je cite,  » les gens débiles qui trouvent que la pratique (de l’excision) est scandaleuse et veulent la bannir, sans même réfléchir à ses avantages et désavantages ». Quel contraste ! Je lui ai répondu que bien évidemment l’excision ne présentait aucun avantage. Pourtant, Aïcha est dynamique, bilingue et tient des propos cohérents à propos de l’emploi. Elle m’avait déjà dit défendre l’excision, car c’est un « moyen de contraception » qui réduit le désir sexuel des femmes.

J’étais choquée et j’ai essayé de la convaincre du contraire. Il semble que seuls les hommes ont le droit de jouir de la sexualité alors que les femmes servent de machines à pondre. Le droit à la jouissance sexuelle n’est-il pas un droit des femmes ? Et connaissait-elle les risques ? Pour les accouchements par exemple ? Aïcha a répliqué « qu’il n’y avait pas de complications lors des accouchements » et que « de nombreuses femmes africaines ont de nombreux enfants malgré leur excision ».

Je me suis demandé ce qu’elle venait faire en Europe. Si son pays d’origine présente tellement d' »avantages » pour les femmes, pourquoi n’y est-elle pas restée ? Mais je ne lui ai pas dit parce que je voulais la convaincre qu’elle avait tort. Surtout qu’elle est mère … d’une fillette.

L’absurdité de cette conversation me ramena d’un coup à mon enfance, au moment où j’ai vécu la douleur insoutenable de cette pratique traditionnelle. Quelques minutes plus tard, Aïcha me parle avec tendresse de son enfant. Je lui dis en souriant : « tu ne vas quand même pas faire exciser ta fille… ici il existe d’autres méthodes de contraception. » Elle me répond gravement « c’est exactement la raison pour laquelle je ne l’ai pas fait pour elle… ». Même si je ne suis absolument pas son raisonnement, je suis légèrement soulagée. Pour sa fille.

L’excision est une réalité atroce pour plus de 130 millions de femmes et de filles dans le monde, y compris chez nous, au coeur de l’Europe. Selon les dernières estimations, notre pays abrite 2000 victimes potentielles, dont la moitié à Bruxelles ! Il est important d’en parler, de combattre cette pratique.

La composition de la population de notre pays a changé. Mais notre système de valeurs, inspiré des Lumières, doit demeurer inchangé. C’est non négociable. Cependant, certains nouveaux venus n’acceptent pas cette vision pour des raisons culturelles et/ou religieuses, même si celles-ci sont contraires à notre mentalité et à nos lois.

Grâce à des femmes telles que Waris Dirie, la réalisatrice de « Fleur du désert » et Ayaan Hirsi Ali, l’auteur de « Nomade », le sujet a été de plus en plus démythifié. La mutilation génitale féminine devient de moins en moins taboue. Je leur en suis reconnaissante. Elles ont contribué, avec d’autres femmes et l’organisation GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines), à rendre cette pratique punissable même s’il demeure très difficile de constater le crime, d’aider les victimes et de punir les coupables. C’est pourquoi il faut continuer à en parler. Comme la réalisatrice Beryl Magoko. Nous devons éveiller les consciences. Comment se taire alors que ces actes barbares existent toujours?

J’en parle parce qui je suis optimiste. Parce que je suis convaincue qu’il existe des solutions réalisables. Parce que les atteintes aux droits des femmes, si souvent dénigrés, doivent cesser. Parce que pour moi il est insupportable de m’imaginer que des Bruxelloises sont exposées à ces cruautés. Malgré la loi. Simplement parce que certains s’imaginent que leurs traditions sont supérieures à nos lois, ou que nos valeurs sont négociables.

Il faut changer les mentalités. Les connaissances et la prise de conscience par le biais de l’enseignement doivent dépasser les dogmes culturels et religieux. Par exemple, en instaurant l’instruction obligatoire à partir de trois ans afin d’éduquer les enfants à devenir des citoyens critiques et conscients. Cependant, pour prendre cette mesure, il faudrait suffisamment d’écoles dispensant un enseignement de qualité, ce qui n’est pas encore le cas à Bruxelles.

Cette politique éducative devrait aller de pair avec un trajet d’intégration concret afin que chaque citoyen puisse prendre ses responsabilités dans la société. Si nous voulons que l’intégration et la cohésion sociale soient une réussite, il faut que nous soyons plus ambitieux et plus stricts. C’est notre devoir.

Assita Kanko

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