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Euro 2020: comment Vladimir Poutine a fait du sport un instrument politique

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« Pour Vladimir Poutine, le sport est bien plus que du sport. » Le chercheur Lukas Aubin a enquêté sur cette « sportokratura » russe qui veut utiliser les compétitions à des fins patriotiques. Reste à avoir une équipe vraiment compétitive: elle est déjà éliminée.

« Pour Vladimir Poutine, le sport est bien plus que du sport. Il est une philosophie, une spiritualité et une façon de s’approprier et de répondre au mythe national de la puissance russe millénaire dépositaire et gardienne des valeurs traditionnelles. L’objectif ? Pérenniser l’exercice du pouvoir. »

Le constat ouvre pourtant la conclusion d’un ouvrage passionnant, La Sportokratura sous Vladimir Poutine. Une géopolitique du sport russe (éd. Bréal). Son auteur, Lukas Aubin, est docteur en études slaves contemporaines au Centre de recherches pluridisciplinaires et multilingues de l’université Paris-Nanterre. Pour mener son enquête, Lukas Aubin a mené des recherches pendant cinq ans, voyagé pendant dix, réalisé une cinquantaine d’entretiens, écrit pendant des centaines d’heures.

En titrant son livre ‘Sportokratura’, il fait référence à la ‘Nomenklatura’, ce petit cercle qui a dominé le pouvoir en Union soviétique jusqu’à sa chute en 1991. « On retrouve ici la verticale du pouvoir, ce que j’ai appelé la ‘sportokratura’, un système mêlant les plus hautes autorités, le pouvoir, les oligarques, les élites et les athlètes de haut niveau, dans le but de renforcer le patriotisme et d’accroître la domination du président, précise-t-il dans un entretien accordé au Monde. Il suffit de regarder les organigrammes pour s’en rendre compte: tout est verrouillé. »

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La continuité entre le régime russe de Poutine, dans ce domaine comme dans d’autres, est d’ailleurs évidente, souligne le chercheur. Depuis la Révolution d’octobre 1917. Ce n’est sans doute pas un hasard sur Vladimir Poutine est souvent présenté comme un continuateur des méthodes du KGB, le service secret soviétique, là où il a commencé sa carrière ;

« En 1917 et dans les années qui ont suivi, la question qui se posait était: ‘que faire du sport?’, souligne Lukas Aubin. Comment concilier l’esprit de compétition et l’esprit révolutionnaire? La réponse a été trouvée dans les années 1920, avec le courant hygiéniste et la glorification du corps de l’Homo sovieticus. Puis Staline a décidé d’intégrer les instances internationales du sport pour participer aux grandes compétitions et prouver au monde la supériorité du modèle communiste. L’URSS a remporté d’immenses succès, notamment aux Jeux olympiques. La guerre froide intègre alors une dimension sportive qui, elle, va être gagnée par Moscou. La conquête des records se joue dans ces deux domaines : l’espace et le sport. »

Après la parenthèse Eltsine, qui a un temps regardé vers l’Ouest après la chute du communisme en 1991, Vladimir Poutine a réhabilité les sports traditionnels tels que le hockey. Et mis en place un capitalisme sportif dirigé, en mettant à contribution les oligarques, sommés d’investir dans les clubs, les infrastructures. Ce fut le cas jusqu’à l’étranger, d’ailleurs, avec des oligarques prenant le contrôle de grands clubs de football de par le monde.

Le sport est devenu la vitrine de cette Russie qui aspire à redevenir une puissance mondiale, même si elle est surtout une puissance régionale, désormais, qui use de son influence jusqu’à la nuisance vis-à-vis de l’Occident. La Coupe du monde de football 2018 fut un nouvel exemple de cette « soft power » sportive, après les Jeux olympiques de Sotchi en 2014.

« Dans la deuxième moitié des années 2000, la ‘sportokratura’ à l’échelle fédérale et régionale décide de tout mettre en oeuvre afin d’accueillir les plus grands événements sportifs de la planète, écrit Lukas Aubin. C’est un succès sans équivalent dans l’histoire du sport. (…) L’obtention de deux des trois plus gros méga-événements de la planète à quelques années d’intervalle offre un boulevard pour le pouvoir russe afin d’affirmer son visage à travers le monde. La question est désormais la suivante : laquelle? »

Le tout s’accompagne, faut-il le préciser, de scandales retentissants comme des affaires de dopage et, sur le plan géopolitique de tensions avec la répression des opposants, l’annexion de la Crimée et le conflit ukrainien, l’implication en Syrie…

La prochaine étape sera-t-elle… de parvenir à développer des sportifs réellement compétitifs, notamment en football. « En réalité, la ‘sportokratura ‘ ne cherche pas spécialement à accueillir les plus grands événements sportifs de la planète, elle souhaite également les remporter« , acquiesce Lukas Aubin. Le quart de finale atteinte lors de « sa » Coupe du monde 2018 a suscité la ferveur de tout un peuple.

Cet Euro peine à rééditer la même atmosphère. La Russie n’a pas pu sauver son Euro en perdant contre le Danemark (1-4)dans le groupe de la Belgique, lundi soir: la faillite d’une équipe trop faible. C’est Vladimir Poutine qui rit jaune.

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