Thierry Fiorilli

« Et tu oublieras pourquoi tu t’es engagé en politique »

Thierry Fiorilli Journaliste

Benoît Lutgen est-il un traître parce qu’il a rompu la vieille alliance avec le PS, éreinté par les scandales ? Les discussions entre CDH, MR, Ecolo et DéFI pour la confection de nouvelles majorités francophones n’ont-elles illustré, une fois encore, que la seule incapacité des états-majors des partis politiques à se départir du recours aux manigances purement politiciennes ? Les élus finissent-ils tous, tôt ou tard, à confondre intérêt général et profit personnel ?

Dès lors qu’on détient ou qu’on lorgne le pouvoir, et au fond dans quelque domaine que ce soit, devient-on, progressivement ou à partir d’un moment précis, malfaisant, pourri, déloyal, menteur, voleur ? Une sorte de coagulation personnifiée de tous les vices imaginables ? Et si oui, quand ? Pourquoi ? S’en rend-on compte un jour ? Et alors, comment vit-on avec ?

L’époque autorise tous les verdicts, surtout les plus sommaires. Elle raffole des opinions tranchées. Elle traque le doute. Elle réinvente les rigorismes. Mais elle continue à engendrer interrogations et questionnements. Sans y apporter, en fait, la plupart du temps, des réponses incontestables.

En tout cas, publiquement. Parce que, en coulisse, parfois, des voix sages se font entendre. Ainsi celle de ce lecteur du Vif/L’Express, réagissant volontiers à nos éditoriaux. Sur le ton de celui qui assiste, incrédule, aux turbulences de ces dernières années mais qui, peut-être comme pour se rassurer, ou pour ne pas décider de se couper définitivement des hommes, fouille dans le passé et en exhume des pièces, parfois des lambeaux, prouvant que, tout compte fait, ce qui nous révulse ou nous taraude aujourd’hui révulsait ou taraudait déjà il y a des années, voire des siècles. Et que, donc, on peut sans doute encore un peu faire avec.

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Dans son dernier courriel, où il soulignait notre  » obstination à interroger les événements pour en découvrir la trame et donc le sens « , et parce que nous avions écrit (Le Vif/L’Express du 30 juin dernier) que  » beaucoup d’élus du PS mettent en veilleuse les idéaux qui les ont conduits à s’engager « , ce correspondant éclairé nous racontait ceci :

 » Jules V., bourgmestre socialiste et cabaretier depuis longtemps décédé de la Maison du peuple d’une ancienne commune de 900 habitants me disait voici près de cinquante ans :

– Ecoute garchon. Te d’vros faire d’la politique com’ t’sais bin parler et qu’ t’as d’bonnes idées pou les p’tites gins. Mais pou arriver te d’vras les mette su l’côté pace que les otes y veultent aussi leur plache. Te d’vras étes méchant et alors t’y s’ras… Cha prind du temps et quand t’y s’ras, t’ verras qu’ t’auras oublié pourquo qu’t’as cominché.

Son fils Fernand a obtenu une ruelle à son nom. Jules est mort avec pas grand-chose, mais Fernand a su tirer parti de ses conseils pour vivre de ses mandats en « f’sant plaisi aux p’tites gins » : remplir les feuilles d’impôts… et tout ça… pour les siens.

Mal d’un certain point de vue. Efficace d’un autre.  »

Quelques points de suspension, pour laisser infuser. Dans un langage aux antipodes du bois et du coton qui ont colonisé celui de la scène politique francophone belge. Sinon, court et net. Répondant à toutes les questions. Sauf une : comment vit-on avec ça ? Qu’on s’appelle Mayeur, Moreau, Cahuzac, Pire, Drion ou Jules V. ?

Vite que Fernand et notre lecteur avisé nous expliquent.

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