C'est en marchant qu'Eric Domb trouve ses idées. © DR

Eric Domb, tuteur de la forêt

Eric Domb, fondateur de Pairi Daiza, est un amoureux fou de la nature. Il marche pour créer. Créer l’envie d’arpenter ses territoires enchantés, forêt ou paradis terrestre.

Eric Domb revient du Mexique où il a relancé sa machine à rêves en marchant dans le désert. Le vent le porte. Domestiqué et relocalisé à Saint-Michel Freyr, l’ex-projet Nassonia a été bouclé avant les vacances. Elu meilleur zoo d’Europe en 2018, Pairi Daiza est encore tout frémissant de l’arrivée de quatre jeunes aras de Spix, des perroquets bleus très rares. La fondation Pairi Daiza participe à leur sauvetage, comme elle se bat pour la forêt ardennaise.

Vous qui avez des centaines d’ouvrages sur la représentation du paradis terrestre, en avez-vous sur la marche ?

Si je ne devais n’en citer qu’un, c’est L’Homme qui plantait des arbres, de Jean Giono. C’est l’histoire d’un berger, dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui plante des graines de tous les arbres qu’il rencontre au cours de ses tribulations dans la montagne, en suivant son troupeau. Il reverdit une montagne extrêmement pauvre. D’abord, c’est merveilleusement bien écrit ; ensuite, j’aime bien le personnage, parce qu’il est humble. S’il avait exposé publiquement son projet, jamais on ne l’aurait laissé faire à cause du principe de précaution qui annihile toute forme de créativité. Il illustre la posture du héros véritable qui se nourrit de ce qu’il parvient à réaliser et non du regard des autres. Il inscrit sa démarche dans la durée, ce qui en fait aussi un héros intéressant. On n’est pas dans le clinquant rapide ni dans l’éphémère. On est dans le cycle lent de la nature. Ce monsieur est mon héros.

Je suis plus fidèle en amour qu’aux paysages

Quand avez-vous lu L’Homme qui plantait des arbres ?

J’ai commencé à lire Giono à 14 ans. J’étais complètement en dehors du coup. Quand vous avez la tête un peu dans les étoiles, que vous êtes un peu distrait et peu attentif au comportement qu’il faut avoir pour être accepté dans un groupe, forcément, vous êtes seul. La qualité de l’enfance, c’est de remplir sa solitude par l’imagination. Le projet de vie du berger de Giono est ce vers quoi j’aspire, avec une difficulté quand même : dans la vraie vie, quand vous voulez créer et puis développer l’aventure collective qu’est l’entreprise, vous devez forcément être exposé.

Visiter un paradis figé par la nostalgie, n’est-ce pas l’antithèse de la marche ?

Permettez-moi de vous reprendre gentiment… Que font les gens, ici ? Ils passent leur journée à marcher et, croyez-moi, ils rentrent exténués à la maison. C’est assez logique qu’on ait envie de voyager dans un paradis. La beauté naturelle prend d’innombrables formes et vous ne pouvez pas les avoir toutes au même endroit. Il y a des couleurs qui ne se marient pas… Le pire ennemi qui guette l’homme assis quelque part, c’est l’ennui. L’ennui, c’est l’enfer. Forcément, les gens qui aiment bouger ont de fortes chances de parcourir de longues distances, parce qu’ils ne se satisferont pas d’un tableau en particulier. D’autres, par tempérament, resteront à lire des heures sur un banc ou couchés sur la pelouse.

Embrasser le monde

Quel type de marcheur êtes-vous ?

J’adore la marche ! J’aime la marche parce que j’aime la nature. Je vis pour ça. Le rythme de la marche permet idéalement d’apprécier les êtres qui vous entourent. Vous pouvez toucher l’écorce d’un arbre, prendre un galet, vous asseoir sur la mousse… C’est le rythme idéal pour profiter d’un paysage. C’est probablement le comportement qui vous permet le mieux de profiter de vos sens. Cela, c’est pour l’oeil qui est tourné vers l’extérieur, mais il y a aussi un oeil tourné vers l’intérieur. Quand vous marchez depuis trois ou quatre heures, vous êtes dans un état hypnotique, ce qui vous entoure a moins d’importance, vous vous sentez totalement libéré, vous voyagez. Moi, c’est toujours en marchant que j’ai mes idées. J’étais, il y a quelques semaines, au sud de Mexico, du côté de Tehuacan, une région semi-aride ressemblant un peu à l’Arizona, avec de nombreuses variétés de cactus, des paysages assez déchirés, très sobres. J’ai eu un flash en marchant. Je me suis dit que ce serait fantastique de pouvoir faire partager ce sentiment d’être débarrassé du superflu qu’on éprouve dans une zone désertique en recréant le même paysage à Pairi Daiza, avec des squelettes de dinosaures enfoncés dans le sol. Les dinosaures pullulent dans cette région. Voilà une jolie façon de raconter une petite histoire de la vie sur terre. En quelques heures, j’étais déjà en train de greffer un morceau de ce désert dans notre parc. Je ne sais pas encore comment je vais faire, mais ce serait sympa de pouvoir partager le bonheur que j’ai eu à cet endroit.

En voyage, êtes-vous aussi éclectique qu’à Pairi Daiza ?

Je suis très éclectique. Je suis plus fidèle en amour qu’aux paysages. Je vois la beauté partout. Si je devais choisir où passer ma vie, ce serait en Europe, dans un rayon de 500 kilomètres, avec ses quatre saisons, sa diversité de paysages extraordinaires et d’architecture.

Plutôt montagne, mer ou forêt ?

Je suis tout ! Au bord de la mer, j’adore les plantes, notamment celles de la mangrove où l’eau douce se mêle à l’eau salée. J’adore la forêt et ses personnages cachés rehaussés par mes lectures d’enfance. J’aime dans la montagne le sentiment d’être débarrassé des choses inutiles. La montagne, c’est aussi les tapis de fleurs au printemps, le chant des oiseaux dans la pureté de l’air. C’est fou le nombre de lieux sacrés qu’il y a dans les montagnes… Le profane est du côté de la mer, le sacré du côté de la montagne. Je n’ai aucune préférence pour les paysages, c’est pourquoi j’essaie de les réunir tous ici. Je suis tellement heureux d’avoir trouvé une bonne idée pour le désert ! La nuit, le ciel n’est jamais aussi beau que là-bas, il n’y a pas de pollution lumineuse.

Le projet Saint-Michel Freyr : trouver le meilleur équilibre entre les besoins de la forêt et ceux de l'homme.
Le projet Saint-Michel Freyr : trouver le meilleur équilibre entre les besoins de la forêt et ceux de l’homme.© JEAN MARC QUINET/REPORTERS

Avec quelle régularité marchez-vous ? Toutes les semaines ou seulement en vacances ?

Malheureusement, quand je ne suis pas à l’étranger, je suis aimanté par ce parc. Je n’y suis pas créatif, je suis submergé d’émotions, de problèmes à résoudre et, donc, cette force d’attraction fait que je n’arrive pas à marcher. Le matin, je fais un peu de sport, j’ai une horrible machine elliptique où j’essaie de bouger, mais je ne me sens pas assez libre pour passer une ou deux heures à marcher. Je le fais de temps en temps avec ma femme et mes enfants. Je n’appelle pas cela de la marche, mais une promenade. Dans la marche, il y a une forme d’abandon.

Vous préférez marcher seul ou en compagnie ?

J’adore marcher seul et quand je marche avec d’autres, je suis silencieux. En vacances, la marche est l’occupation naturelle de nos journées, c’est probablement mon plus grand plaisir.

Pourriez-vous être un marcheur urbain ?

Je déteste marcher en ville. C’est une autre forme d’aridité, mais je préfère celle du désert. Quand je suis en milieu urbain, je ressens la fatigue de la marche avant d’en avoir fait l’effort. Marcher sur un trottoir, avec des magasins et des voitures, je trouve cela tout à fait inhospitalier.

Même à Rome ?

Rome, c’est différent, c’est un musée à ciel ouvert, un millefeuille de civilisation. Rome, c’est l’exception qui confirme la règle. Avec Barcelone, une ville que j’adore.

Le mirage Nassonia

Le projet Nassonia voulait rendre à un bout de forêt ardennaise toute sa sauvagerie. Le regrettez-vous ?

L’expérience Nassonia est objectivement un échec, mais c’est un échec à court terme, l’occasion de lancer un autre projet qui ira sans doute beaucoup plus loin. Si j’avais été le propriétaire de la forêt de Nassogne ou de Saint-Michel, j’en aurais fait un sanctuaire où, bien sûr, les promeneurs auraient pu circuler, tout doucement. Je suis fondamentalement au service de la forêt. Le projet Saint-Michel Freyr concilie mes affinités profondes pour la préservation de la richesse biologique de la forêt avec les besoins des hommes, et c’est là que je renonce à mon égoïsme. Comme la forêt ne m’appartient pas, je vais travailler avec des scientifiques, l’administration wallonne, des spécialistes de la gestion forestière, des gens qui s’intéressent au tourisme. Non pas avec ma casquette d’entrepreneur de Pairi Daiza, mais avec celle de Pairi Daiza Foundation. Nous allons tenter, avec toute une équipe, d’en faire une espèce de forêt idéale, en réalisant le meilleur équilibre possible entre les différentes fonctions de la forêt, puisque, nous, les hommes, ne pouvons pas nous empêcher d’en avoir une vision utilitariste. Pardon, ce n’est pas la forêt idéale. Pour moi, la forêt idéale, c’est la forêt sans les hommes ou avec quelques hommes. Le projet de Saint-Michel Freyr est une forêt optimale qui peut être le lieu d’un meilleur équilibre entre le besoin de la forêt de poursuivre son évolution et les besoins des hommes : gestion du bois, ressourcement, activités touristiques, Horeca, etc.

Pour moi, la forêt idéale, c’est la forêt sans les hommes ou avec quelques hommes

Dans votre chef, il s’agit d’un projet non commercial…

Celles et ceux qui m’ont mis des bâtons dans les roues le savaient pertinemment. Ils ont pensé que le mensonge serait plus efficace que toute autre forme de lutte. Parce que Domb a créé un parc d’attractions qui est devenu un lieu bien connu, il était assez logique qu’il veuille privatiser une forêt publique : il va transformer la forêt de Saint-Michel en un grand parc animalier, avec des cultures, plein d’animaux, des restaurants, des hôtels au milieu, etc. En réalité, cette forêt optimale vise à réunir en permanence des spécialistes de chacune des fonctions de la forêt : gestion forestière, régulation du gibier, défense de l’écosystème… En général, ces gens se parlent très peu, parce qu’ils sont conscients que leurs intérêts sont en partie divergents. Ils préfèrent renforcer leur position plutôt que mettre de l’eau dans leur vin. Mais toutes les planètes sont alignées au-dessus de Saint-Michel Freyr : les gens qui participent au projet sont tous des passionnés qui ont acquis une espèce de maturité qui les pousse à l’ouverture. Nous allons créer un modèle de réseau d’utilisateurs-protecteurs de la forêt qui accepte de mélanger ses pinceaux pour peindre une forêt qui soit la plus heureuse possible, sans que les humains n’en soient totalement privés.

La forêt portera-t-elle encore le nom de Saint-Michel Freyr ?

Je ne sais pas encore… Moi, c’est un peu prétentieux, je me considère comme le tuteur de cette forêt. Je l’aime, je veux protéger son identité et son patrimoine, je précise, le patrimoine de la forêt plus que celui de la Région wallonne. Si des revenus sont produits par les activités dans ou en bordure de forêt, comme un centre d’observation comparable à celui de Marquenterre, en Baie de Somme, ils seront versés à la forêt au travers d’une société coopérative à finalité sociale, ce qui est quand même assez révolutionnaire. Nous sommes un peu les trésoriers du compte d’épargne de la forêt. Plutôt que la considérer comme un objet, nous la traitons comme une personne qui, malheureusement, ne s’exprime pas dans la même langue que nous. On est là pour interpréter ses besoins et les faire respecter, en harmonie avec les attentes des hommes.

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