Choisie par Georges-Louis Bouchez, la ministre de l’Education est condamnée à réussir. Sous son sourire permanent, elle cache une main de fer et ses nerfs sont plus solides qu’il n’y paraît. © PHOTO NEWS

«Kamikaze», «impatiente», «tenace»… Valérie Glatigny, une ministre de l’Enseignement pas si lisse (portrait)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Choisie par Georges-Louis Bouchez, la ministre de l’Education est condamnée à réussir. Sous son sourire permanent, elle cache une main de fer et ses nerfs sont plus solides qu’il n’y paraît.

Vingt ans que les libéraux en étaient privés. Alors ils l’ont revendiqué, exigé, ce portefeuille stratégique lors des négociations. En échange, Les Engagés obtenaient l’enseignement supérieur. Deal done. Chacun son trophée. Et c’est à Valérie Glatigny que Georges-Louis Bouchez a confié le supermaroquin de l’Education. Aux yeux de son président, elle présente le bon profil et affiche le meilleur bilan de la précédente législature, car «elle a beaucoup réformé». «Elle a démontré qu’elle n’avait pas peur du changement, qu’elle pouvait appréhender les difficultés, qu’elle avait le talent indispensable pour obtenir la refonte du Pacte d’excellence en un Pacte de confiance pour un enseignement d’excellence et, enfin, pour reconquérir la confiance des directions et des enseignants», a justifié Georges-Louis Bouchez lors de la présentation de son casting ministériel. L’intéressée, elle, se dit «chanceuse» et estime que la mission s’inscrit dans «une forme de continuité».

Après avoir été ministre de l’Enseignement supérieur –où on lui reconnaît, en effet, un vrai bilan–, la voilà projetée à la tête d’un ministère qui gère 120.000 personnes, enseignants et administratifs. Le premier budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Elle sait qu’elle a cinq ans pour agir et sa route est tracée, gravée dans l’accord de gouvernement, la Déclaration de politique communautaire (DPC). De quoi lui offrir de la visibilité, de la notoriété. De quoi lui réserver surtout de multiples chausse-trapes. Car, d’emblée, le document politique MR-Les Engagés a provoqué des haut-le-cœur. «Nous ne sommes pas dans un contexte où l’on peut annoncer à tout le monde des millions», souligne Valérie Glatigny. Ce contexte est bien identifié: en 2025, l’institution francophone affiche quasi 1,5 milliard d’euros de déficit et sa dette dépasse les douze millions d’euros. Face à cette «dérive budgétaire», l’exécutif prévoit de réduire les dépenses de 100 millions chaque année. Des coupes auxquelles l’enseignement pourra difficilement échapper. Dans le même temps, la pénurie de professeurs doit trouver une solution rapidement. La ministre, elle, se dit bien décidée à maintenir son cap: «La qualité des apprentissages de base, la pénurie des enseignants, la simplification administrative et la bonne gestion budgétaire.»

Dans les faits, les mesures se sont enchaînées: réforme du qualifiant, test non certificatif en début de 4e primaire, interdiction de l’usage récréatif du smartphone à l’école, hausse du seuil de réussite aux épreuves certificatives, redoublement possible en 6e primaire, etc. Des réformes menées avec pugnacité selon les uns, dans la précipitation et sans concertation, selon les autres. «C’est une ministre volontariste et lucide», estime Yves Coppieters (Les Engagés), ministre de la Santé, notamment. «Ses propositions sont soit dogmatiques, soit périphériques, avance Bénédicte Linard (Ecolo), ancienne ministre de la Culture et députée wallonne et communautaire. Elles sont accessoires et insuffisantes face aux enjeux. Sa vision, c’est une école qui exclut, entre autres les plus fragiles.» Un ex-partenaire de l’exécutif renchérit: «Toute l’action de Valérie Glatigny est inspirée par l’élitisme. Elle en a déjà fait la démonstration lors de son précédent mandat dans le supérieur.»

Sa lettre de mission, hautement risquée et portée par une seule personne, exige de l’expertise, des talents de négociateur autant que du caractère. Et au MR, on l’estimait ne pas être la plus mal placée pour cela. Endurante (c’est une excellente nageuse), efficace, dotée de qualités intellectuelles, elle peut aussi se montrer ferme politiquement. L’épisode des masters en médecine l’illustre parfaitement. En février 2023, son «non» à l’UMons et à l’UNamur, annoncé dans la presse et sans concerter ses collègues, secoue l’exécutif MR-PS-Ecolo durant des semaines. Les chefs de parti montent sur le ring. Ce fut une grosse bagarre, le MR tentant le coup de force, le PS menaçant de trouver une majorité alternative. Finalement, la solution ne viendra pas d’eux. C’est sous l’impulsion du ministre-président Pierre-Yves Jeholet que le gouvernement lui-même s’est entendu.

Plus que de la fermeté, cet ancien membre de l’arc-en-ciel y voit de la précipitation: «Elle a foncé tête baissée et, dans un premier temps, n’a pas mesuré la charge, surtout hainuyère, avant que ce dossier, plutôt banal dans une législature, ne devienne finalement politique. Résultat: elle s’est retrouvée enfermée au milieu d’une épreuve de force entre les présidents.» «Il y a tout de même eu quelques batailles… Elle reste campée sur des positions idéologiques et lorsqu’il a malgré tout fallu fléchir sur certains points, seul Pierre-Yves Jeholet avait son oreille. En ce sens, le ministre-président a plutôt assumé son rôle de coordinateur et de cohésion», ajoute encore cet ex-ministre.

Ce psychodrame montois, elle l’a mal vécu. Proche de l’écœurement, Valérie Glatigny a d’ailleurs songé à jeter le gant, parce que ce n’est pas sa façon de faire de la politique. La sienne, dit-elle, «respecte l’adversaire» et aboutit «à des compromis, à des accords, où chaque parti lâche quelque chose par rapport à sa ligne de départ». Et ça n’a rien à voir avec son genre, parce que, dit-elle, «une femme ne fait pas de la politique autrement».

Un parcours «doré», et rapide

Son parcours débute en coulisse, en 2003. Elle est d’abord conseillère du commissaire européen Louis Michel –son «coup de foudre idéologique», qu’elle appelle souvent– puis de Frédérique Ries, alors députée européenne, et enfin de Guy Verhofstadt, lorsqu’il préside l’Alliance des démocrates et des libéraux au Parlement européen. Sa rencontre avec l’ex-Premier ministre la marque: un personnage «solaire, inspirant, impatient, toujours pressé». «La conviction qu’il pouvait peser sur les événements» et «son courage politique» lui plaisent. Charles Michel, fils de Louis, la propulse quand, en 2019, il la parachute à la Communauté. Cinq ans plus tard, son parti lui confie l’Education. On appelle ça un «parcours doré», rapide du moins.

C’est une espèce de «frustration» qui l’amène à la politique, lassée d’«un certain immobilisme européen, de voir des dossiers reportés de mandature en mandature à cause de décisions à prendre à l’unanimité». Il lui a aussi fallu le temps de se convaincre d’être compétente, voire arrogante, comme elle le confiait au Vif en 2023. Elle a dû attendre ses 45 ans pour «oser mettre sa tête sur une affiche». «Il y a une forme d’arrogance, ou de confiance en soi, de se dire « je suis à mes yeux suffisamment compétente pour pouvoir porter le message d’une collectivité ». C’est la raison pour laquelle je ne me serais jamais sentie en capacité de le faire avant 45 ans. Je comprends que d’autres le soient. Mais je n’ai jamais senti cette urgence.» A cela s’ajoutent peut-être deux faiblesses dans la carrière d’une femme en politique: son petit gabarit et sa voix fluette. Elle s’en accommodera, tantôt en ne prenant jamais la parole si elle n’a pas de micro, tantôt en réservant son siège, lors des meetings, s’assurant ainsi d’être à une position visible.

«Mon viseur reste la situation budgétaire. Ce n’est pas de l’idéologie!»

Arrivée en politique sur le tard, elle semble y avoir trouvé son bonheur. A l’Education, elle veut aller vite et incarner le changement, la rupture avec le passé. «Je reste plus que jamais déterminée et concentrée sur la DPC, déclare-t-elle. Mon viseur reste la situation budgétaire. Ce n’est pas de l’idéologie!» Au vu de son autre vie –de fonctionnaire européenne– et de sa conception du job –«La politique n’est pas un métier, c’est une mission»–, si elle n’était pas venue pour réformer, elle aurait tout aussi bien pu regagner la Commission. «Quand on va vite, cela signifie qu’on laisse peu de marge à la concertation», avance Alexandre Lodez, à la tête du Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec), généralement l’allié objectif des libéraux. S’il lui reconnaît des mesures positives, comme l’alignement du réseau libre sur le réseau officiel pour le financement ou l’aide aux directeurs des petites écoles, il déplore «le manque de dialogue entre les dirigeants et les corps intermédiaires dans une démocratie. Là, c’est morne plaine. On doit ouvrir le bec et ingurgiter ce qui est dit. La marge de manœuvre est très faible. A ce point, c’est inhabituel… Pour ma part, il y a en même temps de l’inquiétude et de la déception.» Les syndicats enseignants ne l’épargnent pas davantage. «Valérie Glatigny n’en fait qu’à sa tête. Il n’existe pas de concertation. Son mode de gouvernance est descendant, affirme Roland Lahaye, secrétaire général à la CSC-Enseignement. La main de fer apparaît clairement sous le gant de velours!» «Le dialogue a lieu. D’ailleurs, la concertation est obligatoire. Mais concerter ne signifie pas être d’accord sur tout», répond Valérie Glatigny.

D’aucuns lui reprochent de sortir des règles du jeux: «Il y a cette volonté, par petites touches, de sortir de la ligne.»

«Elle est la dépositaire du portefeuille le plus exposé»

En duo avec Georges-Louis Bouchez, la ministre effectue actuellement une tournée de conférences en Wallonie. Le thème: «Enseignement: ce qui change pour vous!» Elle explique, va au contact, tente de répondre aux interrogations. A son arrivée, elle est accueillie par des enseignants mécontents. Elle ne le dit pas mot pour mot, mais il n’est pas simple d’incarner un train d’économies, de vivre avec la pression de la rue, d’entendre son nom scandé sous ses fenêtres par des milliers de manifestants, d’être chahutée au parlement et sur les réseaux sociaux. «J’assume», assure-t-elle. Puis mobilise l’histoire récente, celle du Pacte d’excellence, un «moment particulier» négocié entre les pouvoirs organisateurs, les syndicats et les associations de parents d’élèves. «Le politique ne tenait pas le crayon», précise-t-elle. La réforme du qualifiant, par exemple. Les mesures annoncées s’inscrivent dans la philosophie du Pacte mis en œuvre depuis 2017, à savoir mettre un terme au rénové qui multipliait les options et mieux piloter l’enseignement qualifiant. «Il n’y a aucune surprise. Il n’y a rien de neuf ici, sauf qu’à présent, nous abordons les parties moins agréables», réagit la ministre. Ce n’est pas faux. Le Pacte pour un enseignement d’excellence avait dessiné les balises. «Sous le précédent gouvernement, il y a eu des grèves, des manifestations sur la réforme du qualifiant, sur l’évaluation des enseignants.»

«Elle est la dépositaire du portefeuille le plus exposé», fait valoir son partenaire Engagés, Yves Coppieters. «Succéder à Caroline Désir rend, par nature, la tâche plus difficile, concède un libéral. Ce serait plus agréable d’être dans le contexte de 2015, voire de 2019, avant les dépenses liées au Covid, à la crise en Ukraine ou encore aux inondations, quand il a fallu soutenir les écoles à bout de bras.» Une façon de dire que sa méthode n’est pas celle des prédécesseurs, pas celle, du moins, de l’ex-ministre socialiste, qui laissait la main aux acteurs du Pacte, plaidait leur autonomie, renvoyait ceux-ci à leurs responsabilités: ce qui lui permettait d’éviter, la plupart du temps, le face-à-face, et de faire de la prudence une politique.

«Je ne fais pas de la politique pour être aimée. Si j’avais voulu l’être, j’aurais vendu des fleurs ou des glaces.»

Valérie Glatigny, jamais un mot plus haut que l’autre

Au fond, c’est peut-être plus la forme que le fond qui irrite. Valérie Glatigny s’exprime posément. Sa communication est parfaitement maîtrisée, l’argumentaire, ficelé. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais un pas de côté. «C’est une ministre omniprésente dans les médias, constante, affable, sûre d’elle, au discours maîtrisé, elle est peu spontanée», analyse Jean Faniel, politologue et directeur général du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp).

D’elle, peu de choses fusent: on connaît sa passion pour sa famille (deux frères, trois neveux et nièce), celle pour ses chiens, deux border collies (Bob et Rosy), son végétarisme et son goût certain pour les affaires européennes et la philosophie –elle est titulaire d’une licence en philosophie, complétée d’une spécialisation en éthique biomédicale à l’UCLouvain. Derrière ce sourire, se cache –«heureusement», selon un soutien libéral–, un caractère. «Elle n’est jamais dans la frontalité, mais elle tente de passer par la bande, car il y a Les Engagés à bord et porteurs du Pacte, avance Jean Faniel. C’est ce que d’aucuns lui reprochent: sortir des règles du jeux. «Il y a cette volonté, par petites touches, d’aller plus loin, de sortir de la ligne.»

Les syndicats ne disent pas autre chose. «Sur la réforme du qualifiant, elle a ajouté la suppression de plusieurs options de 7e année et l’interdiction d’accès en 3e et 4e aux élèves majeurs», regrette Roland Lahaye. Il cite encore l’interdiction du port de signes convictionnels pour les enseignants du réseau officiel –c’est dans la DPC– et que la ministre souhaite étendre aux élèves –c’est au-delà de l’accord. Ou encore le test non certificatif «CLE» (Calculer, lire, écrire) destiné aux élèves en début de 4e primaire. «Je comprends que ce soit un choc, car pour la première fois, la DPC n’est pas un copier-coller du Pacte, précise Valérie Glatigny. Ma volonté est de faire se rencontrer le Pacte et la DPC. Mais qu’on ne soit pas surpris qu’il y ait des éléments qui ne se trouvent pas dans le Pacte.»

Son côté parfois «kamikaze» peut déplaire. «Elle n’est jamais dans les conflits ouverts mais dans la realpolitik», récuse un libéral. Et des fois, ça se tend au sein de la majorité. «Elle ne se rend pas compte de la sensibilité et de la complexité du monde de l’enseignement. Elle est trop impatiente, elle heurte, elle se met les acteurs à dos. Et avancer sans les acteurs lui sera difficile», admet un ministre Engagés, qui ajoute: «Elle est consciente qu’elle doit entrer dans une concertation plus forte et faire preuve de pédagogie, de communication.» «C’est bien normal qu’il y ait par moments des frictions et des enjeux de force. Le MR et Les Engagés ont des programmes différents et il nous faut trouver des équilibres», résume Yves Coppieters.

Il leur a fallu adapter la cadence, s’accorder. Les libéraux seraient plus fonceurs, Les Engagés, plus prudents, se braquant parfois sur le tronc commun ou sur la réforme du qualifiant. «Il n’est pas seulement question de rapports entre deux partis, mais entre deux personnes, même si ni Elisabeth Degryse ni Valérie Glatigny ne le disent jamais», pense Jean Faniel. Sur l’enseignement, leur vision diffère. Sur la méthode aussi: Valérie Glatigny se montre déterminée, pragmatique, pressée. Elle est plus à droite, Elisabeth Degryse est plus à gauche. La première prend de la place, beaucoup, la seconde doit jouer les équilibristes. «Ce n’est pas ce que je vis, affirme Valérie Glatigny. Je n’aurais pas pu avancer seule. J’ai beaucoup d’estime et de respect pour mes collègues et il n’existe aucune divergence sur l’analyse budgétaire. C’est vrai, je lis parfois des choses, mais la situation est compliquée partout. Il ne faut pas éluder l’influence de l’opposition, dont le rôle est de fragiliser la majorité.»

Le tandem sait que sa survie passe par un compromis durable entre des réformes ambitieuses, une rigueur budgétaire et une paix sociale. Car d’autres efforts s’annoncent dès 2026 dans tous les secteurs et donc aussi dans l’enseignement. Au risque d’être franchement impopulaire… «Je ne crois pas qu’elle s’en soucie. Elle est courageuse, responsable, tenace», déclare un ministre libéral. Dans les années 1990, Laurette Onkelinx qui n’en manquait pas, a bien failli craquer.

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