La ministre de l’Enseignement Valérie Glatigny (MR) a préféré des activités orientantes à un allongement du tronc commun en troisième secondaire. © BELGA

Réforme du tronc commun: pourquoi Valérie Glatigny opte pour la rupture (et fait une croix sur 44 millions d’euros d’économies)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le gouvernement MR-Engagés a présenté sa réforme de l’enseignement secondaire inférieur. L’allongement du tronc commun jusqu’en troisième sera largement revisité, au profit d’activités orientantes. Une proposition qui soulève des interrogations sur le plan pédagogique… et budgétaire.

Valérie Glatigny ne s’en était jamais cachée. L’allongement du tronc commun à la troisième secondaire, tel que balisé par le Pacte d’excellence, était loin d’être sa tasse de thé. Il a d’abord été question de le «geler». Puis, face à la levée de boucliers des acteurs du secteur, de le réviser. Ou, à tout le moins, de le «flexibiliser». Après des mois d’incertitude, c’est désormais chose faite. La ministre de l’Enseignement a présenté, ce mardi 7 octobre, une note d’orientation définissant l’organisation des activités dans le secondaire inférieur dès la rentrée 2026-2027.

Et le big bang attendu se confirme. Si la première secondaire reste épargnée par les changements majeurs, à l’exception d’une sensibilisation accrue aux outils technologiques et numériques et l’intégration de deux journées de découverte professionnelle, la suite du parcours comportera de réelles nouveautés.

En deuxième secondaire, de premières activités orientantes seront proposées à hauteur de huit demi-jours par an, qui devront être dédiées à des stages, des conférences animées par des professionnels ou des visites d’entreprises. La grille horaire sera revue afin de renforcer les apprentissages fondamentaux et les compétences numériques. Les cours de mathématiques et de première langue moderne bénéficieront ainsi d’une période supplémentaire par semaine, passant de quatre à cinq pour le premier et de trois à quatre pour le second. Par contre, la dispense d’une deuxième langue moderne, qui devait être rendue obligatoire par le Pacte, sera finalement reportée en troisième secondaire et, ce, sur base optionnelle. 

«Poudre aux yeux»

Mais c’est surtout la troisième secondaire qui subira la plus grande métamorphose par rapport aux lignes directrices du Pacte. Les activités orientantes y occuperont une place cruciale, à hauteur de huit périodes hebdomadaires, enterrant définitivement l’illusion d’un «tronc commun». Selon leur choix d’option, les élèves rejoindront ainsi la voie de transition, la voie qualifiante ou la voie «polyvalente», combinant quatre périodes de transition et quatre périodes du qualifiant (par exemple, quatre heures de sciences-éco et quatre heures de menuiserie). Un stage professionnel de trois jours dans l’un des domaines choisis sera en outre rendu obligatoire. A noter que chaque établissement secondaire devra garantir l’accès à au moins deux de ces voies

La réussite de la troisième année sera conditionnée à une défense orale du projet d’orientation de l’élève ainsi qu’à un examen certificatif baptisé CESI (Certificat d’enseignement secondaire inférieur). Précision de taille: quelle que soit la voie privilégiée en troisième, l’élève gardera le choix de sa filière (transition ou qualifiant) lors de son entrée en quatrième.

Une disposition que Marc Romainville, professeur émérite à l’UNamur et artisan du Pacte d’excellence, qualifie de «poudre aux yeux». «Comment un élève qui a choisi huit heures de menuiserie, et suivi moins de cours de langues ou d’histoire-géographie que les autres, pourrait-il ensuite réussir dans une filière de transition?, s’interroge le docteur en sciences de l’éducation. Ca n’a pas de sens! Ca paraît même très cruel de l’autoriser à rejoindre cette filière a posteriori. Autant alors aller au bout de la logique pré-orientante et rendre impossible ce passage.»

Interrogé, le cabinet de la ministre Glatigny précise que cette transition sera envisageable grâce au maintien de la formation commune à l’ensemble des élèves. «C’est la force de cette réforme car même s’il n’y a plus de tronc commun en tant que tel, il y a une formation commune renforcée pour tous.» Un accompagnement spécifique aux élèves ayant modifié leur parcours sera également proposé en quatrième, assure la ministre MR.

Plus globalement, Marc Romainville s’inquiète d’un «retour en arrière» en termes d’inégalités scolaires. «A l’époque, l’élaboration du Pacte d’excellence reposait sur un diagnostic extrêmement clair: l’enseignement, en Belgique francophone, n’était ni équitable ni efficace, rappelle l’expert. Toute l’architecture du Pacte a été pensée sur cette base. Etendre le tronc commun, et donc conserver un maximum d’élèves ensemble dans le même système plus longtemps, devait permettre davantage d’inclusion. Or, on semble vouloir réintroduire un système de relégation et de différenciation précoces.»

Indice socio-économique

Un constat partagé par Marie Göransson, professeure en gestion publique et sociologie des organisations à l’ULB. La spécialiste de la gouvernance des établissements scolaires ne cache pas sa perplexité face au projet présenté par Valérie Glatigny. «Quelles solutions offre réellement ce plan, tel que défini aujourd’hui, en matière d’inégalités? En quoi évite-t-il de retomber dans les mêmes travers que par le passé?». L’experte rappelle d’ailleurs que la voie empruntée par les élèves à l’adolescence, loin de résulter d’un «choix éclairé», reste largement influencée par leur indice socio-économique. «Affirmer, comme le fait la ministre, que les élèves optent pour le qualifiant car ils ont un projet professionnel à 14 ans, ce n’est pas vrai, insiste Marie Göransson. Ce parcours s’apparente avant tout à une trajectoire de relégation, majoritairement dans le chef d’élèves issus de milieux défavorisés, qui sont confrontés au redoublement, et donc, redirigés vers le qualifiant.»

Outre des interrogations pédagogiques, la feuille de route présentée par Valérie Glatigny soulève des questions budgétaires. Alors que les finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont exsangues, la coalition Azur a promis de réaliser 300 millions d’euros d’économies d’ici 2029. Un assainissement partiel de la dette auquel aurait justement pu contribuer l’extension du tronc commun. Selon les calculs d’un groupe d’experts mandaté par la FWB, qui a livré ses conclusions le 24 septembre, le renforcement et l’allongement du tronc commun jusqu’en troisième secondaire aurait ainsi permis d’épargner quelque 44 millions d’euros.

«Ce sont des économies qui avaient été estimées au moment de l’élaboration du Pacte, précise Marie Göransson, par ailleurs membre du groupe d’experts. Elles reposent en partie sur l’idée que ce qui coûte le plus cher dans l’enseignement, c’est le niveau secondaire et, plus particulièrement, le qualifiant, en raison de la fragmentation de l’offre d’options.» Certaines options se retrouvent ainsi peu fréquentées, parfois à hauteur de trois élèves par classe pour un seul professeur. «Le taux d’encadrement est parfois hallucinant, confirme la spécialiste de la gouvernance des établissements scolaires. Alors que, dans certains cas, cette option est également dispensée dans l’établissement voisin, mais comme il n’appartient pas au même réseau, on est obligé de dédoubler l’offre.»

Des emplois sauvés dans le qualifiant?

La proposition de Glatigny, adoptée en plein conclave budgétaire, a ainsi de quoi surprendre. Pour Marc Romainville, l’argument idéologique semble avoir primé sur la logique financière. «Depuis le début, le MR s’oppose au tronc commun car il prône une autre vision du système scolaire, qui repose davantage sur un modèle séparatiste, estime le professeur émérite. Le parti est donc allé jusqu’au bout de sa logique, quoi qu’il en coûte sur le plan économique

De son côté, la ministre Glatigny argue que sa proposition permettra de limiter drastiquement les pertes d’emploi dans le qualifiant, qui étaient évaluées à 1.400 équivalents temps plein sous le Pacte. Et d’insister: «Je ne suis pas ministre pour faire des économies. Je ne fais pas de réformes dans lesquelles je ne crois pas pédagogiquement.»

Outre la «rupture» du Pacte sur le fond, Marc Romainville pointe également une rupture dans la méthode de travail. «Alors que l’essence même du Pacte était basée sur une approche de co-construction avec les acteurs de terrain, la ministre semble faire les choses à l’envers, en annonçant une concertation a posteriori avec ceux-ci.» Une approche décriée par la CGSP-Enseignement, qui a refusé une rencontre avec la ministre ce mardi après-midi, dénonçant des modalités «incompatibles avec une concertation sociale sereine et constructive». Sur le fond, la CGSP-Enseignement fustige la vision prônée par le gouvernement, qui «fait le choix de renforcer la dualité de l’école et de favoriser l’orientation précoce des plus faibles et des plus défavorisés.»

Les autres syndicats et les fédérations de PO ont toutefois assisté à la rencontre avec la ministre, qui assure que le dialogue n’est pas rompu. «Les rencontres agendées toutes les six semaines sont toujours d’actualité, tout comme nous avons annoncé des consultations sur les modalités d’implémentation des 8 périodes d’activités orientantes avec les acteurs de l’enseignement, assure le cabinet libéral. Des consultations auront également bien lieu comme dans tout parcours d’un texte législatif, entre la première et la deuxième lecture du texte.»


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