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Interdire le téléphone à l’école ? «Le smartphone prive les élèves de l’essence même de la société»

Ancien préfet de discipline devenu prof d’éducation physique, Ludovic Gillet pointe surtout les désavantages de l’usage du téléphone portable dans le cadre scolaire, laissé à l’appréciation des établissements.

Qu’est-ce qui vous gêne dans l’utilisation du téléphone à l’école?

Dans l’école où j’enseigne, à Habay, l’utilisation du GSM est interdite uniquement à la récréation du matin. Au quotidien, sans caricaturer, je vois des garçons qui ne se parlent plus et jouent en réseau à des jeux souvent violents. Puis des filles, adeptes de TikTok, qui partagent des mises en scène folles dans lesquelles elles portent des minijupes discrètement enfilées à la place de leur jeans dans les toilettes. Moi, je prône la relation humaine. Laisser libre accès au téléphone à l’école, c’est priver les élèves de l’essence même de la société. C’est laisser les élèves s’enfermer, s’isoler. Ce «tout au numérique» a trop de désavantages.

Je ne veux pas contribuer à fabriquer des cons

Lesquels?

Déjà, le côté «addict» me gêne. Le smartphone est aussi susceptible de favoriser le harcèlement à l’extérieur des cours. Il y a également des répercussions sur la santé: ainsi, j’ai lu une enquête selon laquelle une exposition trop importante à l’écran avait provoqué une épidémie de myopie chez des enfants en Asie. En privilégiant le numérique, on travaille de moins en moins la psychomotricité fine alors qu’elle développe beaucoup d’éléments du cerveau. Il y a de plus en plus de photocopies, moins de prises de notes, davantage de livres où il ne faut compléter que quelques trous en pointillés, l’apprentissage de l’orthographe perd en importance en raison de l’existence du correcteur automatique, la culture générale serait moins indispensable qu’une bonne méthode de recherche sur Google… J’observe surtout que le niveau général baisse: des élèves de deuxième secondaire m’ont déjà demandé pourquoi il n’existait pas de vidéos de Jésus. Certains prétendent qu’avec le smartphone, le numérique, on développe une autre intelligence. Personnellement, je crois que l’on crée surtout des assistés. Et je ne veux pas contribuer à fabriquer des cons.

En privilégiant le numérique, on travaille de moins en moins la psychomotricité fine alors qu’elle développe beaucoup d’éléments du cerveau.

Le numérique en milieu scolaire, vous n’y croyez pas?

Cela fait plus de vingt ans que l’on nous vante ses mérites. Mon école est d’ailleurs devenue une «école numérique»: on nous demande d’utiliser tablettes et téléphones, même en éducation physique! On a remplacé tous les tableaux noirs par des versions interactives, chaque élève et professeur a une adresse e-mail de l’école. Je reçois donc des messages du style «Je n’ai pas mes affaires de piscine» alors que l’élève concerné sait qu’il me croisera dans la journée. Ce contact numérique n’est pas plus efficace ou plus simple. Pendant que les parents limitent le temps d’écran des enfants, l’école l’augmente: la direction nous impose, par exemple, de compléter le journal de classe et de prendre les présences à l’aide du smartphone. Je refuse, je ne veux pas être un geek tout en demandant à mes élèves de ne pas l’être.

Même s’il est interdit dans certains établissements, le GSM est – dans de nombreux cas – utilisé dès la sortie. L’école n’a-t-elle pas ce rôle de former le citoyen de demain à gérer les outils actuels?

Le smartphone est à la fois un outil superbe et une arme qui peut se retourner contre soi quand on n’a pas assez de recul. Chaque année, je diffuse à tous mes élèves le documentaire Derrière nos écrans de fumée. Celui-ci donne la parole à des entrepreneurs qui ont quitté l’univers du numérique parce qu’ils en ont découvert les effets pervers. Si cela se fait à l’école, à la place d’une séance d’éducation physique, c’est aussi parce que certains parents ne prennent pas toujours le temps de le faire. Voici quelques années, l’enseignement primait sur l’éducation. Aujourd’hui, on demande de plus en plus à l’école d’aborder la politesse, les addictions, le tri des déchets, la sécurité routière… Est-ce normal? Quoi qu’il en soit, cela se fait au détriment de la matière.

Que vous inspire la justification, mise en avant par de nombreux parents, de garder un contact permanent avec l’enfant?

Quand j’étais ado, je loupais parfois le bus, mais il y avait – et il y a toujours – des téléphones fixes à l’école. Je trouve que c’est une fausse excuse. S’ils ont un problème, les parents téléphonent à l’école et pareil pour les élèves. J’ai l’impression que dire à un ado qu’il n’aura pas son téléphone pendant une heure, voire une journée, crée automatiquement un vent de panique.

Croyez-vous à cette solution qui consiste à placer tous les téléphones dans un panier en arrivant en classe?

Certains collègues ont demandé de déposer les smartphones dans une armoire, mais il y a eu des vols. C’est délicat. Moi, je préfère discuter avec les parents et les étudiants en début d’année pour que les appareils restent dans les sacs. Je peux comprendre qu’on puisse avoir besoin de son téléphone dans le cadre d’activités après l’école, mais pas pendant la journée. D’autant que les appels ne représentent qu’une infime partie de l’utilisation, comparé aux jeux, aux photos et aux réseaux sociaux.

Les élèves comprennent-ils votre point de vue?

Ceux du premier degré (NDLR: 1re et 2e secondaires), dans le nœud de l’adolescence, sont enfermés avec leur téléphone. Les plus âgés ont un peu plus de détachement. Lors des reconnexions que l’on organise en cours de gym ou pendant les retraites, ils arrivent assez facilement à se séparer de leur smartphone pendant trois jours. De manière plus générale, j’ai l’impression que l’on arrive à une sorte de virage. Quand j’étais enfant, la mode était aux supermarchés et aux fast-foods, tout le monde y allait. Aujourd’hui, on se tourne vers le local, le bio… De plus en plus de jeunes voient donc leurs parents opérer un retour en arrière, faire attention à leur santé via leur alimentation, leur activité quotidienne mais aussi prendre leur distance avec leur GSM.

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