Les frais liés à la rentrée scolaire passent parfois du simple au quintuple selon le degré de scolarisation de chaque enfant. C’est dans le qualifiant et le professionnel que ces coûts sont les plus élevés. Des dépenses (trop) peu compensées par les aides mises à disposition par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Personne n’y aura échappé. Dans les rayons des supermarchés, les cahiers à spirale et les plumiers colorés ont détrôné les carnets de mots fléchés. A l’arrêt de bus, les promotions pour les boîtes à tartines et les feutres dernier cri se sont substituées aux publicités pour les protections solaires. Autant de signaux marketing qui enterrent définitivement les vacances estivales. Et laissent place à la rentrée scolaire… douloureuse pour le portefeuille des parents.
Car derrière le mythe de la gratuité, le retour sur les bancs de l’école coûte (très) cher. Selon une étude de la Ligue des Familles publiée en 2024, les frais liés à la rentrée se comptent en dizaines, en centaines, voire en millier d’euros. Sans surprise, c’est en maternelle (80 euros par enfant) et en début de primaire (de 152 à 197 euros) que ces coûts sont les plus limités, notamment en raison de la prise en charge du «petit matériel scolaire» (contenu du cartable et du plumier) par les établissements eux-mêmes. Ce dispositif a été mis en place dans le cadre du Pacte d’excellence, et est aujourd’hui d’application jusqu’en 3e année primaire. A partir de la 4e primaire, les coûts grimpent donc logiquement (301 euros), d’autant qu’ils coïncident avec l’achat des premiers manuels scolaires plus conséquents.
La double peine du qualifiant
En secondaire, l’addition devient encore plus salée (784 euros) en raison du prix du matériel informatique, désormais quasi indispensable à chaque enfant. «L’époque où on avait un seul ordi par foyer est révolue depuis bien longtemps, observe Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec, qui représente les parents de l’enseignement catholique. Pour les familles nombreuses, le tribut en est d’autant plus lourd à payer.»
Déjà élevés dans le général, ces coûts explosent littéralement dans les filières techniques et professionnelles. La scolarité des élèves dans le qualifiant génère en effet des frais spécifiques, estimés entre 250 et 350 euros. «Il peut s’agir d’équipements de protection (chaussures de sécurité, casques de soudure…) ou d’outillage (couteaux de cuisine en hôtellerie, lisseur ou sèche-cheveux en coiffure)», liste Merlin Gevers, chargé d’étude à la Ligue des Familles. Du matériel informatique spécifique à l’option qualifiante est parfois également imposé, comme une suite Adobe pour les étudiants en infographie. La facture de rentrée peut donc rapidement dépasser le millier d’euros, selon les filières et les options choisies, souligne la Ligue des Familles. Un constat déjà observé par l’Ufapec dans un rapport de 2023, qui identifiait l’hôtellerie et la restauration ainsi que l’électricité et la mécanique parmi les sections les plus onéreuses. Notons en outre que ces estimations n’incluent pas les frais liés aux stages ou aux sorties scolaires (salons professionnels…), qui font encore grimper la facture tout au long de l’année.
Pour Bernard Delvaux, sociologue de l’éducation et collaborateur scientifique à l’UCLouvain, ces frais élevés représentent un «véritable paradoxe», alors que ces options –qualifiées à tort de «filières de relégation»– attirent un public en moyenne plus défavorisé. En effet, parmi les 30% des élèves de 16 ans les plus précaires, un sur deux est inscrit en technique ou professionnelle, relève l’étude de la Ligue des Familles, alors qu’ils ne sont qu’un sur cinq parmi les 10% les plus aisés. Les frais de rentrée importants pèsent donc dans les choix d’orientation des élèves et «empêchent des vocations», regrette Merlin Gevers.
Des aides méconnues
D’autant que les dépenses liées à la rentrée scolaire, quelle que soit la filière, font trop peu l’objet d’aides publiques, déplorent la Ligue et les associations de parents. Avec des montants compris entre 24 et 105 euros, la prime de rentrée scolaire (ou «supplément d’âge annuel») allouée automatiquement mi-août apparaît insuffisante. En outre, s’il existe des allocations d’études pour les élèves du secondaire issus de milieux moins favorisés, elles sont parfois méconnues du grand public. «Certains parents ignorent tout bonnement qu’ils y ont droit, d’où l’importance pour les associations et les écoles de davantage communiquer à ce sujet», insiste Bernard Hubien. L’obtention de ces bourses nécessite en outre des démarches, ce qui peut être un facteur décourageant pour certaines familles moins à l’aise avec l’administratif, pointe Bernard Delvaux. «Cela implique un phénomène de non-recours à ce droit, ajoute Merlin Gevers. Or, en Flandre, l’accès à ces allocations est totalement automatisé.»
Globalement, ces frais colossaux à charge des parents creusent les inégalités entre familles, regrette l’Ufapec. Variant fortement d’un établissement à l’autre, ces coûts imposés à la rentrée peuvent en outre participer à entretenir un «jeu de concurrence» entre écoles et agir comme un «filtre de sélection», réduisant de facto l’homogénéité des publics scolaires. Pour limiter ces effets néfastes, l’Ufapec appelle les écoles à multiplier les mécanismes de solidarité et la mutualisation des ressources. Elle rappelle en outre l’obligation de transparence qui incombe aux établissements en matière de frais scolaires. «Chaque année, le Conseil de Participation (CoPa) est tenu d’organiser une discussion franche entre les différents acteurs sur ces frais, insiste Bernard Hubien. Cette information doit ensuite être clairement communiquée aux parents, qui doivent être informés de l’entièreté des coûts qui les attendent au fil de l’année. ll n’est pas question que de nouveaux frais surgissent quelques mois plus tard.»
Un droit fondamental
Surtout, l’Ufapec et la Ligue des Familles plaident urgemment pour étendre le dispositif de gratuité scolaire au-delà de la troisième primaire. Ce transfert de la charge du «petit matériel» des parents vers les écoles, initié sous les précédentes législatures, a été gelé par la coalition Azur faute de budget suffisant. «Or, la gratuité scolaire, c’est un droit fondamental et non pas de l’aide sociale, insiste Bernard Hubien. En la pensant comme une aide, on exclut certaines familles, et on en oblige d’autres à se déclarer comme « nécessiteuses », ce que nous voulons à tout prix éviter. Car si certains parents ont « l’habitude » de demander de l’aide, d’autres, issus par exemple de la classe moyenne inférieure, rechignent parfois à le faire, par pudeur et crainte des regards désapprobateurs.»
«La gratuité scolaire, c’est un droit fondamental et non pas de l’aide sociale.»
La Ligue des Familles déplore en outre que la ministre de l’Enseignement Valérie Glatigny (MR) ait suspendu, à la rentrée dernière, l’inspection des frais scolaires, chargée de vérifier l’application des règles. Certaines écoles réclament en effet parfois des frais non autorisés. «Or, c’est bien à l’administration, et pas aux parents, de vérifier que la réglementation soit bien respectée, insiste Merlin Gevers. D’autant qu’à l’occasion de ces inspections, l’administration prodiguait aux écoles des conseils et des bonnes pratiques pour tendre le plus possible vers la gratuité.»
Globalement, la Ligue des Familles rappelle que la gratuité scolaire, garantie par la Constitution, devrait être financée par les contributions fiscales des parents. «C’est déjà le cas en Flandre, observe Merlin Gevers. Or, la Fédération Wallonie-Bruxelles a des décennies de retard en la matière, et les familles se retrouvent à payer deux fois (NDLR: via leurs impôts et les frais de rentrée) pour un droit censé être fondamental.»