De plus en plus de candidats se pressent aux différents jurys pour décrocher le diplôme manquant. Avec l’aide d’écoles privées, si on y met le prix. Un miroir aux alouettes?
Les chiffres posent question. Les jurys du secondaire, autrefois appelés «jury central», organisés par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), voient le nombre de candidats augmenter ces dernières années: en croissance depuis 2017, leur nombre a bondi de 60% en cinq ans. A tel point que pour l’administration de l’enseignement, mettre sur pied les sessions d’examen relève parfois du casse-tête: moyens humains et financiers de plus en plus lourds à déployer, locaux adaptés à toujours plus de postulants. Ainsi, lors des épreuves écrites des deux dernières années, il a fallu louer pas moins que le Palais des congrès de Liège et l’Aula Magna à Louvain-la-Neuve.
Pour autant, rapporté aux 889.000 enfants scolarisés dans les établissements de la FWB, le nombre de candidats à ces jurys concerne toujours un faible pourcentage d’élèves (environ 1%). Mais il est supérieur aux années pré-Covid. En 2019-2020, 1.984 jeunes étaient inscrits dans l’enseignement à domicile.
Comment expliquer l’engouement pour les jurys du secondaire? Si l’administration a noté une nette hausse durant la période du Covid, elle ne s’explique pas que les chiffres n’aient pas diminué ensuite, soulignant que les parents n’ont cependant pas l’obligation de motiver leur choix s’ils choisissent l’école à la maison. Pour le cabinet de la ministre de l’Education, Valérie Glatigny (MR), la recrudescence est en partie liée à l’abaissement, à la rentrée 2020, de l’âge de l’instruction obligatoire à 5 ans. Ce qui est susceptible de faire gonfler les chiffres. La crise sanitaire, également: une expérience positive lors du confinement a encouragé des «parents instructeurs» à choisir cette option. Enfin, s’ajoute un suivi administratif plus efficace. En effet, «le renforcement du cadre réglementaire a conduit à une meilleure déclaration des situations d’enseignement à domicile qui auparavant échappaient au radar administratif», note le cabinet.
Chaque année, une centaine d’élèves retournent à l’école, dont la moitié forcée par l’inspection.
L’élève et ses parents sont ainsi contrôlés au moins à l’âge de 8 ans et de 10 ans. Mais à tout moment, ils peuvent être convoqués par l’inspection pour vérifier le niveau d’études. S’il s’avère insuffisant, une seconde convocation aura lieu entre deux et six mois plus tard. Dans le cas contraire, l’inspection peut exiger un retour de l’élève à l’école pendant au moins un an. Il doit également réussir les épreuves certificatives communes, celles de 6e primaire (CEB), de 2e secondaire (certificat d’étude du 1er degré), de 4e secondaire (certificat d’étude du 2e degré) et de 6e secondaire (certificat d’enseignement secondaire supérieur). Chaque année, une centaine d’enfants retournent à l’école, dont la moitié forcée par l’inspection.
Des profils variés
Qui sont ces «parents instructeurs»? Les rares travaux de recherche sur le sujet dessinent des profils et des motivations très variés. Alice Tilman, spécialiste des sciences de l’éducation, les a interrogés dans le cadre de sa thèse. On y trouve surtout des partisans de pédagogies alternatives, des parents d’enfants souffrant de phobie scolaire ou qui «n’entrent pas dans le moule». Dans d’autres cas, ce sont des personnes à la recherche d’une pédagogie adaptée à des troubles d’apprentissage (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie…). Certains souhaitent échapper à une réorientation scolaire ou à un redoublement. D’autres encore évoquent des raisons de handicap et de santé. Seule une très petite minorité serait en itinérance ou en voyage. «L’expansion du recours à l’instruction à domicile s’inscrit dans une tendance plus large, globale même, qu’on observe dans de nombreux autres pays, y compris chez nos voisins européens, relève Alice Tilman. L’augmentation constatée en FWB ne peut donc pas se résumer aux conséquences d’un contrôle administratif plus strict. Ces chiffres sont au contraire emblématiques de l’émergence d’un nouveau mode d’instruction, qui fait sens pour de plus en plus de parents chez nous, mais également aux quatre coins du monde.»
La plupart d’entre eux s’affranchissent totalement des établissements scolaires. Ainsi, en 2023-2024, deux tiers ont opté pour l’enseignement à domicile. A la maison, l’instruction peut être délivrée par les parents ou n’importe quelle personne, sans diplôme particulier. Les candidats (1.016, cette année-là) se tournent aussi vers des écoles privées, souvent chères et de qualité variable, qui préparent aux jurys du secondaire. L’option est coûteuse, entre 550 et 1.800 euros mensuels, généralement pendant un an. En dessous de 1.000 euros, mieux vaut se méfier de la qualité offerte, glisse un directeur de l’un de ces établissements.
Les CESS, général et professionnel, attirent le plus de candidats.
Beaucoup d’absents, peu d’«élus»
C’est le CESS qui attire le plus de candidats. En 2023-2024, 1.384 étaient inscrits aux épreuves du CESS général, 1.073 au CESS professionnel. Et c’est l’hécatombe! D’abord, beaucoup jettent l’éponge et ne se présentent pas aux examens. Le taux moyen d’absents s’élève à 50%, engendrant un coût inutile à l’administration. Les taux de réussite, eux, sont cruels: celui au jury professionnel est de 47% (22% si l’on ajoute les absents) contre 23% seulement (12% si on compte les absents) pour l’enseignement général. Le CESS général est, en effet, réputé difficile. Une session se décompose en trois groupes d’épreuves, étalées sur cinq mois environ. Elle embrasse six branches et porte sur la matière de deux années (5e et 6e). Il est dès lors rare de réussir en une seule session. Un système de dispenses pour toute branche réussie avec 50% permet néanmoins d’alléger les sessions ultérieures, car il est possible d’en repasser plusieurs dans les cinq ans. En moyenne, les candidats présentent trois ou quatre sessions et mettent donc deux ans, comme dans l’enseignement ordinaire, pour décrocher le CESS. Quand, évidemment, ils ne se sont pas découragés entre- temps.
Réputé plus «léger» et nettement moins exigeant, le jury professionnel attire, à chaque session, de plus en plus de candidats. Sa réussite donne également accès aux études supérieures et universitaires. La très grande majorité des inscrits au jury professionnel souhaite en effet accéder au supérieur. De sorte que sa vocation première est détournée: traditionnellement, il était destiné à ceux qui s’orientent vers un métier, à des adultes qui souhaitent reprendre des études ou valider leur expérience professionnelle. Pour quel résultat ensuite? Dans les tableaux de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (Ares), on trouve ces terribles statistiques. En haute école, le taux de réussite en 1re bac des titulaires d’un CESS professionnel n’est que de 14%. A l’université, à peine 6,9%.
L’alternative au «jury central»
Pour contourner le jury général ou parce qu’ils y ont échoué, certains tentent l’examen d’admission aux études supérieures de premier cycle. L’épreuve est organisée par les universités et confère les mêmes droits que les diplômés de l’enseignement secondaire. Au départ, elle s’adressait essentiellement aux étudiants étrangers, mais elle aussi capte toujours plus de jeunes Belges. Le taux de réussite –autour des 20%– n’est pas plus encourageant, même si les examens ne durent que deux semaines et portent seulement sur une partie des matières du secondaire.
L’exécutif MR-Les Engagés veut dès lors inverser cette tendance. La Déclaration de politique communautaire (DPC) prévoit de «diviser par deux le nombre d’élèves scolarisés à domicile d’ici à 2028». Selon le cabinet de la ministre Valérie Glatigny, l’objectif est de «s’assurer du respect de l’obligation de dispenser un enseignement aux enfants au bénéfice des apprentissages de ces derniers, et de renforcer le suivi des situations d’enseignement à domicile». En France, Emmanuel Macron a tranché dès l’après-Covid: depuis la rentrée de 2021, l’instruction scolaire à domicile est interdite, sauf pour raison médicale.
En chiffres
• 4.072 élèves ont suivi l’enseignement à domicile durant l’année scolaire 2023-2024. Dix ans plus tôt, ils étaient 1.296.
• 1.384 enfants étaient inscrits aux épreuves du CESS général en 2023-24, 1.073 au CESS professionnel.
• 20 ans, l’âge médian des jeunes qui présentent le jury du secondaire supérieur (CESS).
• 23% (12% si on compte les absents) réussissent les épreuves du CESS général, 47% (22% si on ajoute les absents) pour le jury professionnel.