Georges Dallemagne © Belga

Droits de l’Homme : vers un embryon d’Institut

Michelle Lamensch Journaliste

La commission des Relations extérieures de la Chambre approuve la création d’un Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits de l’Homme. Mais il ne sera pas compétent en matière de discriminations linguistiques des entités fédérées.

La commission des Relations extérieures de la Chambre a adopté, ce vendredi, à l’unanimité moins la N-VA, une proposition de loi CD&V-MR-CDH « portant création d’un Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits de l’Homme » (IFPPH). Les partis flamands et le MR ont rejeté l’amendement de Georges Dallemagne (CDH) visant à étendre les compétences d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, au traitement individuel des plaintes portant sur des discriminations linguistiques. PS et Ecolo ont voté pour. La proposition de loi sera mise au vote, le jeudi 25 avril, lors de la dernière séance plénière de la législature. La majorité MR-CD&V-Open VLD, délestée des nationalistes flamands, espère ainsi concrétiser in extremis un engagement de législature et répondre à ses obligations internationales. Les ministres de la Justice et de l’Égalité des chances, Koen Geens et Kris Peeters, tous deux CD&V, ont loué le « rôle pionnier de la Belgique en matière de droits de l’Homme » Tout comme le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR). Mais…

L’IFPPH renforcerait, au niveau fédéral, la protection des libertés de réunion, d’association et d’expression. Il devrait aussi contrôler le suivi des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme et les recommandations du Conseil de l’Europe. Mais, dans sa forme aboutie d’Institut interfédéral (ce qui est loin d’être concrétisé), il ne permettrait toujours pas la pleine exécution de la loi antidiscrimination de 2007. En effet, il ne sera pas compétent pour la prise en charge des discriminations linguistiques dans les matières gérées par les entités fédérées (emploi, logement, contacts avec les administrations locales, etc.) et ne traitera pas des plaintes individuelles. On songe ici à toutes les tracasseries administratives subies par les francophones dans les communes à facilités linguistiques. Et la méconnaissance systématique des arrêts du Conseil d’État et de la Cour de cassation par la ministre flamande de l’Intérieur, Liesbeth Homans (N-VA). Pour la Coalition des associations francophones de Flandre, « la société civile et les victimes de discriminations linguistiques sont roulées dans la farine. »

Secrétaire d’État à l’Égalité des chances avant le départ des nationalistes flamands et la démission du gouvernement, Zuhal Demir (N-VA) avait toujours freiné la création d’un tel Institut. Sa prédécesseure, Elke Sleurs (N-VA), avait demandé à un groupe d’experts (présidé à l’époque par la juge Françoise Tulkens) d’évaluer l’exécution des lois antidiscrimination de 2007. Leur rapport, remis au parlement en novembre 2017, suggérait d’étendre la compétence d’UNIA, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, à la prise en charge des plaintes fondées sur des discriminations linguistiques. Le gouvernement n’en a rien fait. Une proposition de loi DéFi, en ce sens, soutenue par le CDH, végète toujours à la Chambre… Elle recueille pourtant, sur le fond, l’aval de tous les partis francophones, de l’Open VLD (timidement), et du SP.A et de Groen dans le questionnaire adressé à toutes les formations politiques par l’Association pour la promotion de la francophonie en Flandre, à l’occasion des prochaines élections.

La défense de la langue, laissée pour compte

La langue est le seul critère de discrimination à n’être pris en charge par aucun organisme. Demandeur de cette compétence, UNIA reçoit des centaines de plaintes (dont beaucoup émanent de néerlandophones…) liées à une discrimination linguistique, mais il ne peut les traiter. Après le départ des ministres N-VA, Koen Geens et Kris Peeters étaient parvenus laborieusement à la rédaction d’un avant-projet de loi visant la création d’un Institut national des droits de l’Homme. La démission du gouvernement Michel avait toutefois empêché le texte d’aboutir au parlement. La proposition de loi CD&V-MR-CDH en question ici a donc pris le relais de cet avant-projet de loi avorté. Cosignée, à l’origine, par des députés CD&V et par Richard Miller (MR), elle a recueilli ensuite les signatures de Damien Thiéry (MR) et de Georges Dallemagne (CDH).

Le texte présente une autre faiblesse : l’article 5 stipule que « la mission facultative d’examen des plaintes (…) n’est pas reprise au rang des missions de l’Institut fédéral. (…) Il est toutefois loisible au citoyen de déposer plainte pour non-respect des droits fondamentaux devant les juridictions ou auprès des services de médiation. » Ceci alors que toutes les autres discriminations (sexe, opinions politiques, handicap, santé, âge, genre, etc.) peuvent être prises en charge devant la justice par un organisme spécifique (UNIA, le MRAX, le Commissariat aux droits de l’enfant, etc.). Le futur institut fournirait « à titre consultatif » au gouvernement et au parlement des avis, recommandations, propositions et rapports concernant toute question relative à la promotion et à la protection des droits de l’Homme. Il pourrait également attaquer devant le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle des arrêts, lois et décrets qu’il jugerait contraires aux ambitions de la Belgique en matière de droits fondamentaux.

Gagner du temps

La procédure définie par la proposition de loi est, en outre, très lourde. On créerait, dans un premier temps, un Institut fédéral, compétent pour les matières fédérales touchant aux droits de l’Homme (sauf celles déjà traitées par les organismes indépendants visés ci-dessus) et, dans un deuxième temps, cet Institut serait appelé à devenir interfédéral, pour pouvoir traiter des matières régionales et communautaires relatives aux droits de l’Homme. « Le choix d’un Institut fédéral est dicté par des considérations d’agenda, reconnaissent les auteurs du texte, l’objectif est de gagner du temps en créant encore sous la législature actuelle la base juridique nécessaire pour lancer la structure. La mise en place pratique prendra en effet inévitablement du temps. »En effet, l’interfédéralisation de l’Institut nécessitera la conclusion d’un accord de coopération entre l’État fédéral et les Communautés et Régions… ainsi que l’aval d’élus flamands. La partie est donc loin d’être gagnée…

Mais il n’y a pas que l’obstacle N-VA. En novembre 2016, déjà, répondant à une question du député Olivier Maingain (DéFi), qui insistait sur la nécessité d’avoir un organe qui puisse prendre en charge des plaintes individuelles fondées sur des discriminations linguistiques, le ministre Geens avait déclaré qu’il appartiendrait à l’Institut lui-même de déterminer ses activités et domaines prioritaires. « Le gouvernement ne pourra pas inclure de thèmes particuliers (la langue, par exemple Ndlr)…) dans l’accord de coopération État fédéral/Entités fédérées portant création de l’Institut interfédéral, car cela reviendrait à porter atteinte à son indépendance, une qualité imposée par les Nations-Unies. »

Le Premier ministre, Charles Michel (MR) vient, de surcroît, de déclarer qu’il ferait tout ce qui est son pouvoir pour imposer une nouvelle législature (2019-2024) débarrassée de tout problème communautaire… Mais, ici, il n’est pas question de nouvelle revendication communautaire. Il s’agit simplement de veiller à la bonne exécution de la loi antidiscrimination de 2007.

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