Dossier spécial Namur: les noms de rue, un écho enfoui du passé
La toponymie, à Namur, est entourée d’un voile de brume, dont quelques références ont mal vieilli, et révèle une certaine histoire de la cité mosane.
Derrière les noms de nombreuses rues de leur ville, il y a fort à parier que les Namurois ne voient pas grand-chose d’autre que… des noms de rue. Ici comme ailleurs, la toponymie n’est pour l’essentiel et pour beaucoup qu’une longue liste d’évocations aussi datées qu’obscures. Pour autant, ce «matériau» n’est pas sans intérêt. Car nombreuses sont les appellations des rues, avenues, boulevards et places qui témoignent de l’histoire d’une ville, de son activité, de sa culture, de son folklore, de ses grands hommes – de ses grandes femmes, parfois – et de ses chers disparus…
«En s’y intéressant, on peut observer l’histoire de la ville par le petit bout de la lorgnette», assure Bernard Anciaux, habitant passionné de la cité mosane, qui publiera dans quelques mois un livre sur les plus de 1 700 voiries traversant Namur et ses localités. Certains noms remontent au Moyen Age et à l’Epoque moderne. Des siècles successifs où la ville se développe, malgré une série de menaces et de soubresauts, au Grognon puis sur la rive gauche de la Sambre. «Dans ce cœur historique, on trouve des noms de rue qui ont un lien direct avec les réalités d’alors», confirme Isabelle Parmentier, professeure d’histoire environnementale à l’UNamur.
C’est le cas des voiries, bien connues des Namurois, qui font référence aux métiers traditionnels, par exemple: rues des Bouchers, des Brasseurs, du Tan, des Tanneries… «Peut-être la rue de Fer également, avance Isabelle Parmentier. Mais, à son sujet, il existe une double interprétation: une première associe le nom à la présence de la porte de Fer, une seconde le lie aux métiers du fer qui y étaient installés et à l’arrivage de minerais par la Meuse, située juste à côté.»
Références religieuses
D’autres noms évoquent la forte «activité» religieuse qui s’est déployée à Namur dès le Moyen Age et durant la majeure partie de son histoire. Selon les cas, ils pointent le statut particulier de la ville, devenue, dès 1561, siège de l’évêché (place du Chapitre, rue de l’Evêché), font référence aux ordres religieux qui s’y sont installés (rue des Carmes, des Croisiers, des Dames Blanches…) ou, plus prosaïquement, soulignent la proximité de tel ou tel édifice religieux (rue Saint-Loup, Saint-Jacques…) «Avec du recul, ce qui surprend, c’est la persistance de ces noms, relève Isabelle Parmentier. La Révolution française a tout de même coïncidé avec un grand effort d’effacement de tout ce qui était lié à la religion et à la monarchie.»
Les anciennes communes namuroises ont eu des politiques différentes dans l’utilisation de noms de personnalités.
Deux rues namuroises (les rues de Bavière et de la Monnaie) rappellent également une brève parenthèse historique (1711-1714) durant laquelle Namur fut capitale d’un Etat s’étendant sur le comté de Namur, le duché de Luxembourg et quelques territoires hainuyers, dirigé par Maximilien-Emmanuel de Bavière et ayant battu monnaie.
Des références historiques affleurent encore à d’autres endroits. Comme à proximité de la Citadelle, avec des rues qui évoquent le statut de chef-lieu de comté, durablement attribué à la ville autrefois, et qui mettent à l’honneur des personnalités de l’époque à l’instar de Marie d’Artois, de Blanche de Namur (reine de Suède), de Catherine de Savoie, de Jean Ier. «Toutefois, avertit Isabelle Parmentier, ces dénominations sont contemporaines. Elles correspondent à une volonté de souvenir par rapport à ce passé.»
Les rues des localités namuroises ne manquent pas d’intérêt, elles non plus. Elles portent notamment, la trace d’une série d’industries ou d’activités parfois oubliées aujourd’hui. Comme une mine de terre plastique à Wierde (rue des Dièleux), des verreries (rues des Verreries à Jambes et des Verriers à Namur), une fabrique de porcelaine et de faïence à Saint-Servais (rue Adolphe Ortmans, du nom de son directeur), une émaillerie dans la même localité (rue des Emaillés). «A Vedrin, la commune a récemment voulu se souvenir des mines qui ont existé en dénommant des voiries rues de la Pyrite, de la Blende et de la Galène», complète Bernard Anciaux.
Absences militaires à Namur
Une série de personnalités sont également mise en évidence dans les rues namuroises. En centre-ville, on trouve surtout les patronymes d’hommes politiques (les boulevards Frère Orban et François Bovesse, rue Joseph Grafé…), de juristes (rue Galliot), d’artistes (les rues Félicien Rops, Joseph Calozet…), de bienfaiteurs (rue Fumal) et de bienfaitrices (rue Rupplémont, boulevard Isabelle Brunell). Dans les localités environnantes, l’accent est mis essentiellement sur des édiles locaux et des habitants associés aux deux conflits mondiaux.
«Les anciennes communes ont eu des politiques différentes, indique Bernard Anciaux. Dans certaines, on trouve les noms des morts pour la patrie, des déportés, des prisonniers ; dans d’autres, le choix a été fait de recourir à des dénominations plus généralistes, comme rue ou avenue des Combattants, rue des Prisonniers de guerre ou des Déportés.»
Toutes ces «couches» de références superposées résument-elles la ville et son histoire? Isabelle Parmentier est mitigée. «Je crois que l’importance historique de Namur s’exprime à trois niveaux. D’abord comme place religieuse. Ces références, on l’a vu, sont bien présentes. Ensuite, comme place militaire. A ce niveau, la toponymie a quelques lacunes avec aucune référence, par exemple, aux sièges que la ville a connus durant son histoire. Enfin, comme place commerciale, à la confluence de la Meuse et de la Sambre. Cette dimension est, selon moi, très discrète dans les noms de rue avec très peu de mentions des deux cours d’eau et des activités qui s’y rapportent, pourtant à l’origine de la cité. J’ajouterais encore un élément: la très faible présence dans les noms de rue de l’université de Namur, pourtant présente depuis 1831.»
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