Gérald Papy

Désespérance américaine

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Face aux émeutes raciales, Donald Trump n’oppose et ne propose rien parce que rouvrir ces questions fâcherait ses électeurs pour lesquels ces problèmes soit n’existent pas, soit ne nécessitent pas plus d’intervention de l’Etat.

L’essayiste américain Ta-Nehisi Coates, auteur en 2015 d’une Colère noire qui mit en exergue le racisme institutionnalisé en vigueur dans son pays, avait raison de qualifier Donald Trump de « premier président blanc des Etats-Unis » en arguant du fait qu’il était le seul à avoir dû son élection au fait d’être… blanc. Cette conviction anime plus que jamais le locataire de la Maison-Blanche à quelques mois d’une éventuelle réélection lors du scrutin du mardi 3 novembre prochain.

Face aux émeutes raciales les plus importantes qu’aient connues les Etats-Unis depuis celles de 1992 à Los Angeles, le président américain a pris le parti de s’afficher comme le grand défenseur de « la loi et de l’ordre » contre les extrémistes antifascistes qui ont dévoyé le combat de la minorité noire pour l’égalité des droits face à la police. Mais en réduisant les manifestants aux seuls casseurs et pilleurs, Donald Trump ignore les revendications originelles des protestataires pacifiques et transforme ce qui devait être un débat de société en question strictement sécuritaire. Sur les méthodes exagérément musclées de la police qui, en 2019, ont coûté la vie à 1 099 Américains toutes communautés confondues, sur le ciblage des Afro-Américains dans ces interventions illustré par des meurtres à répétition, sur l’impunité dont jouissent le plus souvent les policiers ou les vigiles impliqués dans ces dossiers, sur ce racisme institutionnalisé documenté par nombre d’experts, Donald Trump n’oppose et ne propose rien. Pourquoi ? Parce que rouvrir ces questions fâcherait ses électeurs pour lesquels ces problèmes soit n’existent pas, soit ne nécessitent pas plus d’intervention de l’Etat.

Aux Etats-Unis et ailleurs, des dirigeants politiques souffrent de cécité face aux problèmes de certains de leur contemporains et, comme pour éluder leurs responsabilités, les travestissent sciemment en confrontation binaire là où les nuances seraient impérativement requises. Fustiger l’extrême brutalité de certains policiers américains n’est pas les ravaler tous au rang de brutes épaisses ; certains dénoncent eux-mêmes les agissements racistes de leurs collègues. Questionner l’influence de la Chine sur l’Organisation mondiale de la santé est légitime sans qu’on doive pour autant décréter que tout ce qu’elle a entrepris pendant la crise du coronavirus a été inutile. Confiner sa population pour la préserver d’un coronavirus meurtrier ne signifie pas que l’on se contrefiche des conséquences économiques de pareille mesure.

Vivre au temps de la dernière année du mandat de Donald Trump consiste donc à supporter la menace d’une guerre froide entre les deux grandes puissances américaine et chinoise, à déplorer la perte de crédibilité d’une grande nation amie incapable d’affronter les maux qui l’agitent et à ne même plus pouvoir se raccrocher aux vertus du multilatéralisme de la raison. Et qui plus est, cette période sombre risque de se prolonger parce que les dirigeants démocrates américains n’arrivent pas à s’extraire du piège dans lequel Donald Trump les a enfermés et parce que, de Minneapolis à Washington, des pseudo-activistes trahissent un combat noble et ne prendront pas la peine d’aller voter le 3 novembre.

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