© Anthony Dehez

Dépasser l’individualisme pour jouer collectif: le portrait d’Olivier Onghena

Il y a dix ans, l’ex-CEO à succès plaquait tout pour se mettre au service des autres. Depuis, il a créé Ginpi, une entreprise qui aide chacun à trouver son noble purpose. Ou comment notre raison d’être a le pouvoir d’améliorer la société.

C’est une demeure sublime, dont les restaurations à l’identique se marient parfaitement avec de l’art contemporain, très loin de cet art « comptant pour rien » que l’on remarque parfois chez ceux dont on dit qu’ils ont réussi. Ici, rien de tout cela, seulement un goût sûr porté vers le beau et le vrai. Si Olivier Onghena est à l’image de son intérieur, on le sent également connecté à toutes les vibrations extérieures, l’environnement, certes, mais aussi celles émises par son interlocuteur. Et comme il nous « sent bien », après la visite de la maison, il nous laissera le choix de la pièce où partager un thé fumé raffiné qu’il posera finalement dans la salle à manger, sous un impressionnant lustre Murano.

Physiquement, notre hôte évoque à la fois l’acteur Yul Brynner et l’aéronaute-psychiatre Bertrand Piccard. Professionnellement, Olivier est un ancien CEO qui, après avoir raté deux fois son MBO (NDLR: management buy out , ou le rachat de son entreprise auprès des actionnaires), prenait un congé sabbatique pour donner un nouveau sens à sa carrière. Une carrière qui, jusque-là, pourrait être qualifiée de « fort belle », pourtant.

Son plus gros risque: « Après avoir quitté mon job de CEO d’Ormit, je prends une année sabbatique sans avoir de plan B. Une période difficile mais il faut accepter l’inconfort pour trouver ensuite davantage de joie encore. »

Né dans une respectable famille de la bourgeoisie gantoise, il étudie le droit et les sciences politiques, intègre la Commission européenne d’abord en tant que stagiaire, passe deux ans à New York comme attaché auprès des Nations unies avant de revenir sur le Vieux Continent pour monter sa première entreprise, qu’il revend deux ans plus tard. Suivront quatre années parmi les pontes de Belgacom, dix comme CEO chez Ormit, réseau d’entreprises au sein duquel de jeunes cadres prometteurs évoluent – la fameuse société qu’il ne parviendra pas à racheter. Et là, c’est la claque. Nous sommes alors en 2008 et, avec son compagnon, Olivier Onghena vient d’acheter leur belle maison dont – un malheur n’arrivant jamais seul – ils découvrent que le toit et les murs menacent ruine. Dehors, c’est la crise financière; à l’intérieur, Olivier est en crise personnelle car, pour la première fois de sa vie, il a tout quitté « sans avoir de plan B, C ou D ». Les six mois de pause carrière prévus initialement dureront un an et demi, une période faite d’angoisses et de nuits blanches sur fond de « que vais-je faire de ma vie? » et « à quoi je sers? » Dix-huit longs mois qui forceront l’ex-dirigeant d’entreprise à plonger en lui-même à la recherche de sa raison d’être, du sens à donner à son existence, en un mot son noble purpose ; pour lui, ce sera aider les autres à découvrir le leur.

Son mantra: « On devient ce en quoi on croit. »

Première fêlure

Mais comment le déniche-t-on, ce fameux noble purpose ? Pour Olivier Onghena, ce fut en se reconnectant à un épisode tragique de son existence, une première fêlure intervenue des années plus tôt et qui, comme le disait Leonard Cohen, a déjà laissé « entrer la lumière ». A 27 ans, le Gantois est kidnappé sur une route de Colombie. Lorsque la police le retrouve, ses ravisseurs ont pris la fuite non sans l’avoir grièvement blessé. Funeste Noël de 1993, où miracle quand même, il finit par arriver à l’hôpital, trois balles dans le corps. L’une a traversé sa jambe gauche, en détruisant les muscles, l’autre s’est logée dans sa jambe droite, où elle se trouve toujours aujourd’hui, et la dernière lui a transpercé le dos, au niveau des cinquième et sixième vertèbres. Le verdict est hésitant, les opérations nécessaires, et la possibilité de remarcher un jour « envisageable » mais au prix d’intenses efforts. Qu’il fera. Reste la question existentielle, « Pourquoi ne suis-je pas mort, pourquoi je vis? » La réponse ne viendra que des années plus tard, lors de ces dix-huit mois sabbatiques. Après avoir pris conscience à 27 ans de l’existence de son corps, Onghena entend s’occuper de son « âme » et de son être.

Sa plus grosse claque: « CEO d’Ormit, je tente d’acheter la société mais j’échoue à deux reprises. Un échec entrepreneurial mais ma plus grande chance professionnelle et personnelle. Grâce à cela, je trouverai mon but dans la vie et fonderai Ginpi pour aider les autres à faire de même. »

Quand sait-on que l’on est en phase avec soi-même et que l’on vit sa « noble cause » personnelle? Vaste interrogation, à laquelle Olivier Onghena consacrera un livre entier (1) en 2020. Aujourd’hui, il synthétise pour nous sa méthode faite de questions essentielles à se poser: « Pour commencer, « est-ce que ce que je fais me procure de l’énergie où au contraire m’en supprime? » Si l’on se sent « vidé  » par ce que l’on fait, c’est le premier indice d’un problème. Ensuite, il faut s’interroger sur ce qui – en dehors de notre famille – nous procure le plus de joie, avant de réfléchir à une manière d’implémenter de manière durable cette joie dans son existence. En un mot: comment rendre pérenne ce sentiment de félicité? Une question que j’estime tout aussi pertinente est « qu’est-ce que je voudrais que les gens disent de moi à mon enterrement? » Ou bien encore « si j’étais libre de toute obligation, que ferais-je différemment dans ma vie? » », conclut-il.

Dépasser l'individualisme pour jouer collectif: le portrait d'Olivier Onghena
© Anthony Dehez

Citant alors une étude de Gallup, il expose que la démarche a l’air « toute simple » au premier abord mais qu’en réalité, 85% de la population mondiale ne fait pas ce qu’elle aime dans la vie. Selon lui, le ratio reste le même que l’on soit dans un pays riche comme la Belgique – où il rappelle que la consommation d’antidépresseurs est la plus élevée de la planète – que dans un pays en voie de développement. « Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les travailleurs les moins engagés ne sont pas ceux qui se situent en bas de l’échelle mais les cadres, plus précisément ceux qui font partie du « management intermédiaire ». D’un côté ils ne participent pas aux décisions des grands patrons, de l’autre ils ne bénéficient pas de la camaraderie des ouvriers et surtout, à l’inverse de ces derniers, ils n’ont jamais la satisfaction de voir les produits finis, ou ne fût-ce que les retours clients, auxquels ils ont contribué. » Autre donnée avancée par l’auteur Ferdinand Fourniès, que cite Olivier Onghena: « 98% des travailleurs puisent leur motivation ailleurs que dans l’appât du gain ou la seule recherche du profit. Que l’on soit ouvrier, employé ou dirigeant, le principe est identique, enchaîne-t-il. C’est le sens que je donne à mon travail qui donne du sens à ma vie. Si la motivation n’est que financière, l’énergie que l’on y met ne sera tournée que vers cet objectif et, à terme, c’est l’entreprise dans sa globalité qui sera confrontée à un vrai problème, susceptible de menacer sa survie même. » Et c’est là qu’intervient Ginpi – The Global Inspiration & Noble Purpose Institute – la boîte créée par Olivier Onghena.

Ses 5 dates clés

  • 1984 « Le décès de mon grand-père, la première injustice de ma vie. Pourquoi est-ce qu’un homme aussi extraordinaire à dû partir si tôt? »
  • 1991 « Stagiaire à la commission européenne chez Jacques Delors, je suis envoyé comme attaché politique aux Nations unies, à New York. »
  • 1994 « En vacances en Colombie, je suis victime d’un kidnapping et reçois trois balles dans le corps. La première fois que j’ai pu enfin courir à nouveau, j’en ai pleuré. »
  • 2004 « Je rencontre Luciano. Impossible d’être aussi proches alors que nous sommes pourtant si différents. Après la Covid, nous nous marierons. »
  • 2010 « Après dix-huit mois de réflexion, je me lance en créant Ginpi. Dix ans plus tard, j’écris Le Livre du Noble Purpose pour partager ma méthode avec les autres. »

Comme le grand amour

Dès le départ, le fondateur de Ginpi a eu pour principe de ne jamais démarcher les clients. Selon lui, c’est à eux qu’il appartient de faire le premier pas, comme on le ferait chez un psy. Sa clientèle? Elle compte désormais une cinquantaine d’entreprises aussi prestigieuses que Air France, ArcelorMittal, le groupe automobile français PSA ou le bureau de consultance Vinçotte. « Le modus operandi efficace, c’est que l’initiative soit prise par le CEO et le président du conseil d’administration ou du comité exécutif qui, en général, viennent me consulter pour remotiver leurs troupes. Mais je reçois par ailleurs des administrateurs de société qui cherchent un sens à leurs investissements ou leurs engagements, des ministres ou des politiques. Ma première question est toujours la même: « Que voulez-vous, ou que voulez-vous qu’apporte votre entreprise à la société? Pourquoi existe-t-elle? ». Un questionnement philosophique dont la réponse existe parfois déjà dans l’acte de constitution de la société mais a été perdu de vue. Et le constat pourrait tout autant s’appliquer aux individus, qui souvent portent en eux la solution à cette grande énigme qu’est « Pourquoi je vis? ». »

Depuis qu’il a épousé sa cause personnelle, Olivier Onghena affirme n’avoir plus agi qu’en fonction, en ne posant que des actes et des actions « alignés » avec celle-ci. A l’arrivée, non seulement il jouit d’une plus grande confiance en lui mais il récolte également des résultats professionnels nettement supérieurs à ce qu’il aurait imaginé. Ce cercle vertueux, où les énergies se renouvellent et aboutissent à créer une « force au bénéfice du bien » dépassant celui qui l’engendre pour rejaillir sur ceux qui l’entourent, l’ex-CEO s’applique à l’implémenter auprès de ceux qui le consultent. Définir son but pour parvenir à transcender l’individualisme et l’appât du gain pour seuls objectifs, pour ne plus se battre qu’ « en collectif » et sur le long terme, peut aller vite ou prendre un certain temps. Mais une fois le but atteint, dans sa vie personnelle ou pour son entreprise, il est là pour toujours. Lorsque nous lui demandons si nous l’avons trouvé, Onghena-‘t Hooft répond, dans un sourire: « Le noble purpose, c’est comme le grand amour, on ne sait que c’est lui que lorsqu’on l’a trouvé. »

(1) Le Livre du Noble Purpose, par Olivier Onghena-‘t Hooft, Racine, 324 p.

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