Théo Francken se félicite de l’acquisition de système antidrones après l’incursion d’engins russes en Belgique. Nicolas TUCAT / AFP

«On aurait pu commander 10 F-35, plutôt que 11, et investir dans la lutte antidrone»

Sylvain Anciaux

Le survol de la base militaire d’Elsenborn par des drones, probablement russes, fait ressurgir la question du budget de défense en Belgique. Theo Francken veut accélérer les investissement, experts et partenaires de coalition ne sont pas du même avis.

L’ombre qui a plané, dans la nuit du 2 au 3 octobre, au-dessus du camp militaire d’Elsenborn a amplifié la peur d’une menace russe en Europe de l’Ouest. Si le ministre de la Défense, Theo Francken (N-VA), n’a pas confirmé l’origine de ces drones d’environ deux mètres d’envergure, d’autres l’ont fait. Ces dernières semaines, des objets volants partiellement identifiés –lorsque l’origine russe n’est pas avérée, elle est systématiquement suspectée– ont également survolé la Pologne, l’Allemagne, le Danemark, la Lituanie ou encore la Norvège.

Ces épisodes confortent Theo Francken dans sa stratégie d’investissement massif depuis sa prise de fonction et dans sa volonté d’accélérer encore l’agenda prévu par ces plans. «Nous avons un plan d’action et une vision stratégique qui ont été validés par le gouvernement en juillet. Maintenant, nous devons aller beaucoup plus vite, acheter des équipements, dresser une liste de priorités.» La Belgique sera donc bientôt munie d’appareils antidrones.

Un plan sans boussole

«Theo Francken plaide pour une augmentation des dépenses sans boussole, estime sèchement Yannick Quéau, directeur du Grip, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité. Il n’y a pas vraiment de plan derrière l’augmentation de ces dépenses.» La question de la lutte contre les drones est, selon le Grip, bien trop vaste et surtout largement décontextualisée. D’abord, parce qu’on ne lutte pas contre les drones en temps de paix comme le fait l’Ukraine sur le front, où abattre le moindre appareil volant non identifié comporte des risques minimes sur la sécurité civile. «Sur le terrain de guerre, il existe des systèmes de brouillage, ce qui est impossible ici, car certains signaux sont indispensables à la circulation civile, notamment autour des aéroports», précise Samuel Longuet, chargé de recherche au Grip.

Et puis, surtout, parce que la Belgique, avec ses nombreux niveaux de pouvoir, n’a pas réparti clairement les compétences pour chaque zone survolée. Au-dessus de la base militaire d’Elsenborn, il revient à la Défense d’identifier (et de gérer) les drones la survolant. Mais qu’en est-il des gares, des bâtiments administratifs, des hôpitaux et des centres-villes? «Le contrôle aérien civil n’est en tout cas pas de l’apanage de la seule Défense», estime Samuel Longuet. L’utilisation de drones à des fins militaires existe pourtant depuis l’entre-deux guerres. Selon le chercheur, la lutte contre les drones ferait intervenir une pluralité d’administrations selon les espaces aériens concernés. Et plus encore depuis leur massification qui a révolutionné leur usage militaire.

Contacté par Le Vif, le ministère de l’Intérieur confirme avoir récemment analysé avec la police les moyens disponibles pour détecter et neutraliser les drones. «Le ministre a également convoqué une réunion de travail qui se réunira une première fois cette semaine. Il rassemblera les cabinets de la Mobilité, de la Défense, le centre de crise, la police, la Direction générale trafic aérien, etc. L’objectif sera de coordonner nos actions pour mieux lutter ensemble, à tous les maillons de la chaîne, contre le phénomène, définir plus clairement les responsabilités et analyser les éventuelles modifications du cadre réglementaire qui seraient nécessaires.»

MR et Les Engagés favorables à un investissement raisonné

En «situation de crise», la Belgique doit «acheter des choses», a donc rappelé Theo Francken. Les appareils antidrones commandés par la Belgique pourront donc intercepter des drones 1 et 2, soit allant de quelques grammes à plus de 500 kilos. «Il faudra trouver la parade pour classifier ces drones, prévient Samuel Longuet. Le premier pas sera de réfléchir de façon sectorielle, car le mot “drone” veut tout et ne rien dire. Un vélo est un véhicule au même titre qu’un camion de déménagement, mais ils n’ont pourtant pas les mêmes finalités.»

Chez les politiques, y compris du côté de la majorité, on observe dubitativement la politique de Theo Francken, jugée trop soumise à celle de l’Otan. «Dans les fameux 5% du PIB consacrés à la défense comme l’exige la norme de l’organisation politico-militaire, il y avait 3% pour le militaire et 2% pour les dépenses de sécurité, rappelle Mathieu Michel (MR), qui siège dans la commission Défense. Dans ces 2%, certains ont voulu mettre des dépenses fourre-tout, mais c’est là que l’on doit faire de la cybersécurité et s’occuper des drones.» Son collègue Stéphane Lasseaux (Les Engagés) estime également qu’il n’est pas nécessaire d’investir plus, mais mieux. «On a commandé onze F-35 cet été, on aurait pu en commander dix pour investir dans la lutte antidrone.» Mathieu Michel utilisera le même exemple.

Par ailleurs, l’utilisation d’un simple petit drone, qu’il soit russe ou non, peut causer énormément de tort à l’économie belge. C’est, en effet, leur plus grande menace, estiment les chercheurs du Grip. «Durant la guerre froide –les drones existaient déjà– il y avait des accords entre les ennemis pour protéger les activités commerciales et la sécurité civile», rappelle Yannick Quéau. Et l’expert d’ajouter que les investissements massifs dans des missiles antidrones ou d’autres appareils de défense sol-air plaident, côté russe, pour une augmentation des dépenses militaires. Or, «il est possible de créer d’autres moyens de dissuasion», assure-t-il. Histoire d’éviter de voir enfler, un peu plus encore, la «psychose russe».

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