La Défense recrute
Plus de 10.000 personnes se sont portées candidates pour être militaires dans le cadre actif à la Défense en un an. Mais ce sont surtout les 2.636 candidats réservistes qui gonflent les chiffres.

La Défense séduit et recrute les jeunes, mais parviendra-t-elle à les garder?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Quelque 4.800 postes seront ouverts l’an prochain à la Défense, qui recrute et recrutera encore massivement dans les années à venir. Mais elle fait face à deux grands enjeux: former les jeunes… et les garder.

La Défense recrute, elle a le vent en poupe. Elle se trouve au centre de toutes les attentions. Le gouvernement fédéral, à travers le ministre de tutelle, Theo Francken (N-VA), se plie en quatre pour y consacrer les budgets pour lesquels il s’est engagé. L’objectif annoncé à l’horizon, difficile à atteindre, correspond cette année aux fameux 2% du PIB exigés par l’Otan. Lors du sommet de l’Alliance, au début de l’été, la Belgique s’est en outre engagée à s’aligner sur les 5% (dont 3,5% de dépenses militaires à proprement parler) demandés. Les investissements en matériel sont colossaux. La Défense se trouve également au cœur de l’actualité en raison de l’arrivée de ses premiers avions de chasse F-35 à la base aérienne de Florennes, le 13 octobre.

En parallèle, elle s’est engagée dans une importante campagne de recrutement. Les ambitions ont été officialisées il y a un mois. La Défense recrute massivement: en 2026, elle ouvrira 4.800 nouvelles places, à savoir 2.800 militaires en service actif (336 officiers, 1.064 sous-officiers, 1.400 soldats et matelots), 960 civils et 1.050 réservistes. Ces chiffres constituent un record, assure le ministre Francken.

Pour la petite histoire, les postes militaires se répartiront comme suit: 1.338 pour la force terrestre, 410 pour la composante aérienne, 178 pour la marine, 164 pour le service médical, 710 dans les états-majors et écoles.

Des objectifs atteignables?

Comme le rappelle Theo Francken, pour qui cette Défense qui recrute est redevenue «sexy», quelque 10.017 candidats militaires ont postulé au cours de la dernière année de recrutement, entre septembre 2024 et septembre 2025. Il ne s’agit pas en soi d’une augmentation par rapport à l’année précédente. Mais 2.636 candidats réservistes se sont aussi pressés au portillon, soit une augmentation de 26,4%.

L’opération séduction se déploie auprès de la jeunesse, puisque 2026 verra aussi une nouveauté se mettre en place: la fameuse année de service militaire sur base volontaire, qui sera proposée à 500 jeunes de 18 à 25 ans. Pour un salaire net de l’ordre de 2.000 euros, ils travailleront pendant une année comme réservistes, avec l’objectif de leur donner l’envie de poursuivre. Theo Francken compte toujours envoyer, cet automne, une lettre de sensibilisation à tous les jeunes qui atteindront l’âge de 18 ans l’an prochain, ce qui signifie l’envoi d’environ 130.000 missives.

10.017

candidats militaires ont postulé entre septembre 2024 et septembre 2025.

A plus long terme, c’est-à-dire à l’horizon d’une décennie, la Défense souhaite doubler ses effectifs en atteignant 34.500 militaires, 12.800 réservistes et 8.500 civils. Selon les données récoltées auprès de la Défense, il faut remonter une quinzaine d’années en arrière pour retrouver un personnel militaire aussi fourni (35.668 en 2010). Ce nombre n’a pratiquement fait que diminuer depuis lors, pour se situer aujourd’hui aux alentours des 25.000. A titre de comparaison, on se souviendra que la Défense recensait 46.000 militaires en 1996, première année durant laquelle elle ne comptait plus aucun milicien. Une autre époque.

La Défense recrute et a besoin d’instructeurs

Une fois ces ambitions affichées, il appartient à la Défense d’assurer quelques défis. Le premier, et non des moindres, consistera à former tout ce monde. «Un des plus grands enjeux réside à amener les jeunes à devenir soldats, à un moment», résume le lieutenant-général en retraite Marc Thys. L’ancien vice-chef de la Défense rappelle ce qui constitue une des spécificités du métier, à savoir que «le plus souvent, nous sommes notre propre formateur». Petit à petit, un vrai manque d’instructeurs pourrait se faire sentir. La rançon d’un certain succès, en quelque sorte.

«Je ne peux que le constater, beaucoup de jeunes veulent venir à la Défense, ce qui est une très bonne chose, se réjouit Marc Thys. Il faut aussi souligner le succès du troisième degré du secondaire», lancé en 2022 pour les aspirants aux métiers de la défense et de la sécurité: 37 écoles le proposent.

Premier défi, former tous ces jeunes. Mais y aura-t-il suffisamment d’instructeurs? © BELGA

«Le problème de la formation est connu. Je l’avais déjà écrit dans mes directives commandement en 2019: à partir de 2025, on commencerait à sentir les effets du recrutement à ce niveau. Petit à petit, il faut recréer une masse critique d’instructeurs», poursuit l’ancien numéro deux de la Défense. L’idéal, selon lui, consiste à avoir accumulé suffisamment d’expérience pour occuper cette fonction. «Le grand tsunami des départs à la retraite des personnes recrutées dans les années 1980 et 1990 est passé, en grande partie. Mais les gens qui ont accumulé cinq, dix, quinze ans d’expérience, qui sont déjà amenés à remplacer ceux partis à la retraite, devraient aussi devenir instructeurs pour les jeunes qui entrent.»

«Instructeur, c’est un magnifique métier, mais aujourd’hui il s’exerce à flux tendu», abonde Boris Morenville, responsable du syndicat SLFP-Défense. Pour ce dernier, les conditions matérielles et l’encadrement humain mis en place pour former les futures recrues seront aussi des enjeux de taille pour atteindre les objectifs. «Soyons clairs, 4.800 recrutements l’an prochain, c’est une bonne chose, mais ce n’est pas non plus une augmentation spectaculaire», recadre le syndicaliste. Il y a un an, la Défense annonçait 4.500 personnes pour cette année, à titre de comparaison.

«Quand je suis sorti de l’école, nous étions 37, mais seuls 19 ont terminé leur carrière à la Défense.»

A cela s’ajoute l’épineuse problématique de l’attrition, donc des personnes qui entament une formation mais s’en vont en cours de route. «C’est fluctuant, mais l’attrition de formation peut atteindre 40% des personnes», estime-t-il, sachant que ces proportions s’observent en général chez les volontaires, davantage que chez les sous-officiers (sous les 30%) et plus encore que chez les officiers (sous les 25%). «L’attrition de carrière, elle, est moins élevée», rassure Boris Morenville.

«Ça a toujours existé. Quand je suis sorti de l’Ecole royale militaire en 1985, nous étions 37, mais seuls 19 ont terminé leur carrière à la Défense», illustre Marc Thys. Le fait que le problème ne soit pas neuf ne change rien au fait qu’il devra être tenu à l’œil, pour atteindre les objectifs de recrutement.

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